Retour aux articles →

En débat. Une vision progressiste de la Défense est possible

Doit-on vraiment investir dans la Défense ? Oui, pour Juliette Delacroix, qui estime qu’entre une fuite en avant militariste et un affaiblissement structurel qui laisserait notre pays vulnérable face aux défis sécuritaires contemporains, il existe une voie équilibrée et responsable.

Dans un monde toujours plus interdépendant et complexe, où les menaces sécuritaires se multiplient et évoluent constamment, il importe de préserver les fonctions régaliennes de l’État comme garantes de la sécurité nationale et des libertés fondamentales. Cette approche globale doit être la colonne vertébrale de la politique extérieure, de même que la résolution pacifique des conflits.

Garantir la sécurité nationale et l’autonomie stratégique ouverte

Le panorama global est sombre : distinction entre menaces internes et externes de plus en plus ténue ; menaces sur l’ordre mondial fondé sur des règles ; retour de la guerre sur le continent européen suite à l’agression non provoquée et injustifiée de la Russie contre l’Ukraine et sa population… Dans ce contexte, la Défense a plus que jamais un rôle essentiel à jouer pour favoriser la résilience de la société et la préservation de notre liberté et de nos valeurs fondamentales. Ce rôle s’exerce certes via des opérations à l’étranger, mais aussi en matière de renseignement, de protection des infrastructures critiques, du cyberespace et des institutions, ainsi que de l’aide à la nation lorsque la sécurité de la population sur notre territoire national l’exige.

Il convient donc de poursuivre la mise en place d’une politique générale qui permette à la Défense d’atteindre un niveau de préparation, de profondeur et de soutenabilité toujours plus élevé. Face aux menaces diverses, asymétriques, cybernétiques, terroristes et hybrides, une véritable Défense européenne est indispensable. Notre pays doit en être un moteur résolu afin d’assurer notre autonomie stratégique au sein de l’OTAN. L’enjeu est double : garantir la sécurité nationale tout en défendant une souveraineté européenne face aux défis géopolitiques actuels.

 Quand une accélération de la trajectoire de croissance budgétaire de la Défense est envisagée, elle ne peut se faire aux dépens de la sécurité sociale ou d’autres départements qui ont déjà subi des économies.

Investir dans l’humain

La recapitalisation de la Défense ne se limite pas à la seule augmentation des moyens budgétaires exprimée en pourcentage du PIB, mais bien à un réinvestissement dans l’humain. Au début de la législature 2019-2024, le défi était grand : le gouvernement MR/N-VA avait mis à mal ce département. Sur les plans humain, stratégique et infrastructurel, la Défense belge était dans un état alarmant : affaiblissement du statut des militaires, perte d’attractivité, baisse des recrutements, érosion des compétences, fermetures de casernes, absence de politique de bien-être et de concertation sociale. De plus, les investissements militaires étaient réalisés sans vision socio-économique cohérente, avec une priorité donnée à l’OTAN au détriment de l’UE et de l’ONU, menaçant ainsi l’autonomie stratégique du pays et les missions d’aide à la nation.

Arrivée en 2020 à la tête du ministère de la Défense, la socialiste Ludivine Dedonder a posé les actes indispensables pour reconstruire le département et en assurer la mutation qui s’imposait. La Défense a ainsi retrouvé son rôle de levier, qu’il soit humain, stratégique ou industriel. Des décisions importantes et structurantes ont été prises pour assurer son avenir et restaurer un équilibre entre ses différents domaines, dimensions et composantes (Terre, Air, maritime, médicale et Renseignement-cyber-influence). L’importance des missions du Service général de renseignement et de sécurité (SGRS) a également été renforcée, de même que sa collaboration avec les partenaires civils.

Le PS a à son actif un bilan solide avec plusieurs actions clés : le plan POP pour moderniser la politique du personnel de la Défense, le plan Quartiers pour maintenir les casernes et créer deux nouveaux sites, et le plan STAR fixant les ambitions stratégiques à 2030. S’ajoutent la création d’une composante cyber contre les menaces hybrides, la revalorisation du statut des vétérans et un engagement pour plus de transparence dans l’action de la Défense, en Belgique et à l’international.

Afin de continuer cette reconstruction et de la pérenniser, les priorités devraient être les suivantes : accroître l’opérationnalité internationale de la Défense tout en assurant un contrôle parlementaire fort ; renforcer l’aide à la nation et à la société en général ; contribuer à la construction de l’Europe de la Défense, notamment via la consolidation de notre base industrielle et technologique de défense ; développer, de manière accrue, le rôle de la Défense comme un acteur sociétal et mémoriel ; et poursuivre les politiques de réinvestissement dans les femmes et les hommes du département.

À cet égard, la Défense doit continuer à répondre aux défis de l’importante vague de départs à la pension, ainsi qu’éviter les nombreux départs de militaires en début de carrière. Il convient de poursuivre l’effort de recrutement entamé lors de la législature 2019-2024 (plus de 10 000 militaires recrutés en quatre ans), y compris en ce qui concerne le personnel civil. Disposer de suffisamment de personnel, bien formé et déployable sur le plan opérationnel, constitue la clé de voûte de toute capacité militaire.

L’augmentation du nombre de femmes et de personnes issues des minorités est et doit également rester une priorité pour faire que la Défense soit constamment un reflet de la société, dans sa diversité et sans aucune place pour les discriminations.

Plus largement, pour atteindre ses ambitions en capital humain, la Défense doit être et rester un employeur toujours plus attractif et compétitif, qui assure des formations de qualité et qui s’illustre par la volonté d’être un ascenseur social avec un rôle de formation important.

Il est clair que cela nécessite de renforcer la concertation et le dialogue dans le but de favoriser une coopération toujours plus efficace en faveur du bien-être des femmes et des hommes de la Défense.

La modernisation et la consolidation de la Défense belge ne sont donc pas seulement une nécessité stratégique, mais un engagement envers celles et ceux qui en assurent la mission au quotidien.

Le maintien de la prise en compte de la particularité et de la pénibilité du métier de militaire doit être un impératif tout au long de la carrière. L’accompagnement médical et psychosocial des membres du personnel militaire et civil et de leurs familles reste crucial avant, pendant et après les opérations.

La modernisation et la consolidation de la Défense belge ne sont donc pas seulement une nécessité stratégique, mais un engagement envers celles et ceux qui en assurent la mission au quotidien.

L’aide à la nation : une mission incontournable

Enfin, la Défense doit jouer un rôle moteur au profit de l’ensemble de la société via son rôle d’aide à la nation. Si l’aide à la nation, et à la société en général, dans le cadre de la résilience nationale, est déjà une priorité opérationnelle, elle doit devenir une mission à part entière de la Défense. Cela recouvre de nombreuses tâches et fonctions non militaires, structurelles ou non, de la Défense. Ces dernières sont, par définition, multidisciplinaires et interdépartementales au niveau des autorités civiles et des différents bras de l’action de l’État, tel que B-Fast à l’international.

Comme l’ont tristement démontré les inondations ayant touché la Wallonie en juillet 2021 ou la crise sanitaire du Covid-19, la population belge compte sur une aide humanitaire coordonnée en cas de catastrophe ou de crise sur son territoire. La Défense a toujours répondu présente en termes humains et logistiques.

Alors que le dérèglement climatique conduit notamment à une augmentation des catastrophes naturelles, l’importance de la Défense, de son expertise et de sa palette de missions est indéniable pour venir renforcer les acteurs de la sécurité civile (protection civile, zones de secours, services d’urgence, etc.) lorsque la situation l’exige. La Défense est en mesure d’accomplir de nombreuses tâches au service de la nation, de la population ou de la communauté internationale : hôpital militaire Reine Astrid (HMRA), service d’enlèvement et de destruction d’engins explosifs (SEDEE), sauvetage en mer (missions Search & Rescue), surveillance de l’espace aérien (Quick Reaction Alert), prêt de matériel à des camps de jeunesse ou encore mise à disposition de casernes aux pouvoirs locaux et à des structures humanitaires dans le cadre de la crise de l’accueil ou des plans « grand froid ».

De telles missions doivent cependant s’exécuter lorsque les acteurs civils y font appel et lorsque leurs capacités sont dépassées ou insuffisantes. Celles-ci ne peuvent pas non plus s’exercer au détriment des opérations menées dans le cadre de la sécurité extérieure de la Belgique.

Sortir d’un faux débat

Renforcer nos capacités stratégiques et opérationnelles ne saurait se faire au prix d’un affaiblissement de la sécurité sociale, de l’éducation ou des services publics.

Il faut sortir des oppositions binaires concernant l’armée : il ne s’agit pas de remettre en cause son existence, mais de l’adapter aux enjeux du XXIe siècle. Son rôle dépasse largement le cadre strictement militaire. La Défense doit devenir un pilier essentiel de la sécurité nationale et de la résilience du pays, en adoptant une approche globale et intégrée. Aide à la nation et investissements dans l’humain doivent notamment être au cœur de son évolution. Il s’agit de poursuivre le développement d’une Défense moderne, cohérente et pleinement intégrée, tout en veillant à ce que ses orientations stratégiques restent en accord avec les principes de justice sociale et de solidarité. Cette ambition repose sur une conviction forte, à rebours des orientations en la matière du gouvernement De Wever : la sécurité nationale ne doit jamais être pensée en opposition aux priorités sociales, mais comme un élément complémentaire du bien-être collectif.

Renforcer nos capacités stratégiques et opérationnelles ne saurait se faire au prix d’un affaiblissement de la sécurité sociale, de l’éducation ou des services publics. C’est pourquoi il faut veiller à ce que chaque investissement dans la Défense s’inscrive dans une trajectoire budgétaire équilibrée, garantissant à la fois la protection du pays et la préservation des piliers fondamentaux de notre modèle social. Au-delà des questions budgétaires, la pérennité de la Défense passe par une reconnaissance sociétale de son utilité et de son rôle dans la construction d’un avenir sécurisé.

Article écrit avec la contribution de Maxime Leclercq-Hannon.