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En débat. Sous-traiter, stop ou encore ? (2/2)

Si la consultance peut se révéler bénéfique au secteur privé, pourquoi voudrions-nous absolument en priver l’État ?

Il peut, à première vue, sembler surprenant que des professeurs d’université soient également consultants. Cependant, chaque
université développe des activités de recherche contractuelle. C’est donc ici de manière totalement subjective que je partage mon expérience et mon point de vue en tant que professeure et consultante auprès des pouvoirs publics, en réponse à mon collègue à Politique, Jean-Paul Gailly.

Accords et désaccords

Nous sommes d’accord sur plusieurs points, notamment la confiance indispensable qui doit être instaurée entre un cabinet politique et une administration, ainsi que l’importance de réfléchir aux moyens de valoriser la fonction publique. À cet égard, plusieurs éléments méritent d’être interrogés : la rémunération qui permet d’attirer des profils qui partent dans le privé, mais aussi les conditions de travail des agents des administrations. Le secteur public n’est en général pas le meilleur élève dans le domaine du bien-être au travail et de nombreuses mesures de prévention devraient être mises en place dans ce secteur…1 Analyser le système d’organisation du travail et les compétences des travailleurs mériterait d’être réalisé tant dans le secteur public que dans le secteur privé.

Des administrations continuent à financer des projets, simplement parce qu’elles ont « un bon feeling » à leur égard.

À l’heure actuelle, force est de constater que certaines compétences nécessaires pour mener ce type d’analyse font défaut au sein du secteur public. En outre, même si ces compétences étaient présentes, une prise de recul sur ses propres pratiques est parfois, sinon salvatrice, du moins bénéfique.

Cette démarche peut s’apparenter à un véritable acte de courage. Combien d’administrations ou d’acteurs liés à elles ai-je vu refuser d’évaluer leurs politiques ou leurs pratiques, qu’ils estimaient automatiquement bonnes pour les citoyens et citoyennes? Des administrations continuent alors à financer des projets, simplement parce qu’elles ont « un bon feeling » à leur égard ou parce qu’elles s’entendent bien avec certains partenaires. Il m’est également arrivé de voir certains acteurs remettre en cause des résultats de recherche, car ils étaient dérangeants et ne convergeaient pas avec le discours politique en vigueur.

Les réalités du service public

Parmi les « marchés » obtenus – pour utiliser ce terme, sans le masquer derrière l’expression « projets de recherche » –, c’est la possibilité de co-construire une analyse et des solutions avec l’administration qui a, pour moi, pris le plus de sens. Unir nos expertises, interroger des pratiques avec des fonctionnaires ouverts d’esprit, heureux de recevoir des retours et désireux de trouver ensemble des solutions aux problèmes identifiés. Il est arrivé qu’ils connaissent déjà certains des problèmes rencontrés, mais qu’ils ne parviennent pas à les résoudre. Les causes peuvent être multiples : un blocage politique, une position dans la hiérarchie de l’administration sans pouvoir de décision, ou un problème tellement connu qu’on a fini par se résigner à ne pas pouvoir le résoudre.

Il est crucial que les responsables politiques définissent les orientations et gardent le contrôle du projet.

Dans ces expériences-là, les solutions élaborées conjointement requièrent du temps… et donc de l’argent, ne fût-ce que pour financer correctement l’équipe de recherches qui travaille avec l’administration. Toutefois, il est évidemment crucial que les responsables politiques définissent les orientations et gardent le contrôle du projet en collaboration avec leur administration. Il leur incombe de veiller à cet aspect, ce qui implique de bien réfléchir à leur « commande » auprès du secteur privé.

Des recours qui peuvent poser question

Il est vrai que certains recours à la consultance peuvent poser question, que ce soit en raison d’une commande mal conçue, mal exécutée ou d’une analyse qui n’est pas utilisée par l’administration ou les responsables politiques. Dans ces cas de figure,
il est clair que cela équivaut à gaspiller de l’argent public.

Du côté du partenaire privé ou consultant, il est de son devoir de proposer les différentes options qui s’offrent à l’administration et aux responsables politiques, sans orienter la décision finale. Il devrait pouvoir proposer les meilleures méthodes de recherche afin d’améliorer la chose publique, alliant théorie et pratique pour contribuer à la fabrique de l’État.

Ne serait-il pas dommage – voire même indirectement coûteux à l’État – que des chercheurs et chercheuses restent confiné·es dans leur tour d’ivoire tandis que les administrations fonctionnent en vase clos, sans bénéficier de l’aide de la consultance, y compris celle des scientifiques ?

Enfin, pourquoi la consultance devrait-elle se limiter à dynamiser le secteur privé, plutôt que de participer à l’intérêt général recherché par l’État?