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En débat. Sous-traiter, stop ou encore ? (1/2)

Andrii Leonov. Unsplash
Andrii Leonov. Unsplash

Il est temps de réhabiliter le service public

Lorsqu’un accord de gouvernement aura été conclu, tant au niveau fédéral que régional, les diverses stratégies de conquête du pouvoir auront abouti à la désignation de ministres, puis à l’approbation parlementaire des premières déclarations de politique
générale. Celles-ci, rédigées par les nouveaux gouvernements, seront présentées au moment de l’approbation des budgets de l’année 2025. Le timing de rédaction sera donc serré. Quelle place sera accordée par les nouveaux exécutifs aux défis rencontrés par les services publics? Parmi eux, se trouve notamment la continuité et le maintien de la qualité du service, mais aussi le fossé croissant entre certaines politiques décidées « d’en haut » et les réalités de la gestion concrète. Prenons un exemple parmi d’autres : l’augmentation structurelle du nombre de détenus, décidée par le gouvernement fédéral, alors que la capacité des établissements pénitentiaires dépasse déjà toutes les limites du raisonnable et du respect de la dignité humaine.

Plus d’experts dans les services publics que dans les cabinets.

Au-delà de la mise en œuvre de politiques, c’est l’exercice concret du pouvoir qui commence en début de législature, avec son cadre légal mais aussi ses us et coutumes. Si les organismes appelés couramment « parastataux »1 bénéficient d’une autonomie de gestion, il n’en est malheureusement pas de même pour les administrations. Le mode d’interaction entre les décideurs politiques et ces administrations est un point d’attention essentiel.

On ne saurait insister suffisamment sur le fait que le respect mutuel des rôles est porteur d’une confiance réciproque, et donc d’une plus grande efficacité de l’action publique. Si les dirigeants et collaborateurs des services publics doivent bien entendu respecter la légitimité démocratique des ministres, ceux-ci doivent, comme eux, adopter un comportement éthique basé sur le respect des principes fondamentaux du service public2 et de l’État de droit.

Or, la réalité montre que la soif d’exercice du pouvoir politique perturbe souvent cette apparente évidence. Certains décideurs politiques sont en recherche permanente de scores médiatiques et succombent facilement au piège d’une apparente rapidité qui se fracasse plus tard sur le mur de la réalité, laquelle est, comme chacun sait, « plus forte qu’un lord-maire de Londres ».

L’intégration de la réflexion stratégique dans les administrations et une réduction drastique des effectifs des cabinets ministériels permettrait de contribuer de manière significative à l’amélioration de la mise en œuvre des deux types d’objectifs précités, et de réaliser une économie significative en termes de moyens budgétaires. Un investissement dans le maintien et le développement de l’expertise au sein des services publics est l’exemple du bon choix structurel d’affectation des moyens en personnel aux priorités3. La qualité de la prise de décision politique serait renforcée et ses choix seraient d’autant plus adéquats.

Faire plus avec moins, un sabordage public

L’efficience et la qualité des prestations des services publics fera-t-elle effectivement partie des priorités des nouveaux gouvernements ? La tentation de réduire de manière linéaire les moyens en personnel des services publics est grande. Pourtant l’expérience montre que c’est un piège à bien des égards. C’est en effet tout le contraire d’une véritable politique. Cela revient à ne pas faire de choix et à mettre en péril des missions essentielles. Citons comme exemple flagrant et toujours actuel, l’entretien négligé des infrastructures routières dans les trois Régions.

La réponse facile serait de plaider pour un accroissement du recours à la sous-traitance au secteur privé. Cela permet de vanter la réduction « courageuse » de l’effectif de personnel, en masquant soigneusement l’augmentation vertigineuse des coûts liés à l’externalisation. Cette logique perverse peut mener loin : par exemple à ce que l’on fasse appel à des entreprises privées pour contrôler d’autres entreprises privées… pour s’occuper de missions publiques. Ce qui revient à une perte grave de maîtrise de l’utilisation des budgets votés par les parlements.

Or, n’en déplaise à certains démagogues, le souci d’efficience et l’expertise sont bien présents au sein des services publics. Mais une partie des décideurs politiques y prêtent trop peu attention. Négligeant les rapports qui leur sont faits par les dirigeants des services publics, ils préfèrent chercher des recettes soi-disant miracles au sein du privé, dont les objectifs et le cadre ne sont absolument pas de même nature que le secteur public.

Comment réduire drastiquement les consultants ?

Les thèmes concernés par le recours à la consultance ont souvent trait à l’évaluation du fonctionnement des services publics et à la mise en œuvre de changements importants dans ceux-ci, avec des aspects très divers : gestion des ressources humaines, processus organisationnels et financiers, utilisation des locaux, informatisation, etc.

Or, ce recours pourrait être réduit de manière significative et mieux ciblé, si là aussi on puisait plus dans l’expérience et l’expertise présentes au sein du secteur public. Après tout, un « consultant » ne fait souvent que mettre en évidence ce que l’on connait déjà.

Tout d’abord, en recourant à la méthodologie d’évaluation conçue et développée au plan européen par les services publics pour les services publics : le « Common Assessment Framework »4. Celle-ci intègre complètement les spécificités du secteur public tout en encourageant les administrations et organismes publics à concrétiser une amélioration significative de la qualité du service rendu et du fonctionnement. Elle permet d’évaluer les résultats obtenus à l’égard des utilisateurs du service public et de son personnel, mais aussi par rapport à leur responsabilité sociétale, et aux performances-clés attendues.

Un « consultant » ne fait souvent que mettre en évidence ce que l’on connaît déjà.

La création d’équipes d’audit interne5 au sein du secteur public, comme certains services publics l’ont déjà fait en Belgique, peut également être utile et pertinente pour le développement d’une culture de maîtrise interne des coûts et des processus, permettant à nouveau d’éviter des recours inutiles et coûteux à des acteurs privés.

Mais aussi l’intégration de manière plus importante dans la culture interne des administrations, du « travail en mode projet », c’est-à-dire en affectant de manière transversale certains collaborateurs à la mise en œuvre des changements souhaités, en mettant de côté les barrières bureaucratiques et en apportant un soutien clair et concret à leur action.

Enfin, un recours plus fréquent à l’expérience d’autres services publics pour les objectifs concernés permet également d’éviter un recours superflu à des acteurs externes.

D’autres carrières professionnelles pour les experts

Un élément décisif, pour encourager les experts déjà actifs à rester au sein des services publics et encourager d’autres à les rejoindre, est assurément d’apporter un changement en profondeur dans l’organisation des carrières professionnelles. En effet, les possibilités d’évolution sont trop souvent liées au fait de devenir le responsable d’une équipe de collaborateurs.

Sur le plan de la sélection du personnel, cela n’a pas beaucoup de sens d’attendre de chacun une telle capacité. Sur le plan des actions citées ci-dessus, mais aussi du marché de l’emploi, c’est une contradiction majeure. Pour attirer et garder les talents dont les services publics ont besoin, un changement en profondeur doit intervenir permettant de faire co-exister deux types de carrières, celle liée à la gestion et celle liée à l’expertise. Voilà un beau défi à porter tant au niveau politique que syndical pour tous ceux qui affirment leur attachement au service public.

Tout au numérique ?

Il est de bon ton chez certains d’affirmer : «il n’y a qu’à informatiser toutes ces administrations» pour assurer la continuité et la qualité du service aux usagers des services publics. Comme la plupart des propositions « yaka », celle-ci fait fi de tout ce qui a depuis longtemps été entrepris au sein des services publics et ce de manière approfondie. Ainsi par exemple, la Banque-carrefour de la Sécurité Sociale, qui a permis d’alléger et de simplifier bien des démarches des usagers.

Mais si l’on évalue la numérisation au regard des principes du service public, notamment celui de l’égalité de traitement des usagers, la perspective est moins réjouissante. En effet, elle progresse souvent en ne procédant pas à une analyse fonctionnelle correcte des besoins des usagers dans la conception des applications informatiques, et partant en éliminant ou en réduisant de manière drastique toute possibilité de contact humain. C’est nier la complexité des dossiers concrets des personnes ou des entreprises, mais aussi rejeter les personnes qui n’ont pas la capacité d’utiliser aisément le numérique.

Une récente campagne, menée par diverses associations bruxelloises, a fort opportunément mis en évidence l’importance de questionner le «tout au numérique » prôné par certains et de mettre en lumière une série de problèmes que cette technologie soulève, que ce soit aux niveaux démocratique, écologique, philosophique ou social. L’interroger permet de resituer le numérique au cœur des contradictions qui traversent la société. Le numérique se voit, de la sorte, transformé en une question politique, dont la dimension sociale permet de fédérer une partie conséquente de la population dans un combat collectif. La lutte autour d’un symbole (l’ordonnance Bruxelles numérique) et pour des guichets physiques en a été la traduction dans des revendications concrètes6.

En débat. Sous-traiter, stop ou encore ? (2/2)

Pourquoi priver l’État de consultance ?

La réponse de Vanessa De Greef