Politique
Éloge de la cotisation
10.10.2011
Activité, travail, emploi
La notion qui a la plus grande extension est l’activité, c’est-à-dire le fait de produire des valeurs d’usage, des biens et services. Je fais mon café le matin, je conduis des gamins à l’école, je construis un avion… Tout cela c’est de l’activité, et l’essentiel de notre vie éveillée, qui consiste à être actif, sauf quelques fonctions strictement physiologiques ou quelques activités de stricte consommation. Le travail quant à lui n’est qu’une partie seulement de l’activité, celle à laquelle nous attribuons une valeur économique, outre la valeur d’usage. Impossible de définir le travail par son contenu. Si c’est moi qui conduis mes gamins à l’école, ce n’est pas du travail ; si c’est une assistante maternelle, c’est du travail. Si je fais une tarte en famille, ce n’est pas du travail ; si je la fais dans un restaurant, c’est du travail. La forme essentielle – pas la seule – que, dans notre société, prend l’attribution d’une valeur économique à une activité est l’emploi. Si je fais une activité dans le cadre d’un emploi, c’est du travail, quoi que je fasse, y compris d’ailleurs si c’est inutile. Il y a en effet nombre d’activités notoirement inutiles ou même néfastes : produire des semences stériles pour une multinationale ; enseigner les mathématiques financières, ce qui ne consiste jamais qu’à expliquer comment spéculer et mettre la planète à feu et à sang : c’est pourtant bien de l’emploi, donc du travail, ça produit de la valeur économique, mais pas pour autant de la valeur d’usage. Le PIB mesure la valeur économique. Il augmente d’une part, bien évidemment, par l’augmentation de la production des biens et des services, éventuellement d’ailleurs, on vient de le voir, par la voie de la mise en valeur de capitaux sous des formes extrêmement dangereuses pour les personnes et la planète. D’autre part aussi par l’attribution de valeur à des activités qui, avant, n’en avaient pas. Exemple massif : au cours des années 1970, la base de nos comptabilités nationales a changé : l’activité non marchande des fonctionnaires – qui est une activité productrice de valeur d’usage – a été considérée comme productrice également de valeur économique. Depuis lors, les fonctionnaires ne sont plus ravalés à la situation de personnes certes très utiles, mais qui ne travaillent pas ; non : désormais ils travaillent ! Il a été estimé que la valeur économique produite par les fonctionnaires correspondait à la somme de leurs salaires, et le PIB a augmenté d’autant. Concrètement, cela veut dire que, dans nos sociétés capitalistes développées, nous disposons de deux institutions pour transformer l’activité en travail : d’une part l’emploi, d’autre part le grade des fonctionnaires… qui est le contraire de l’emploi ! Car en effet, quelle est la différence entre la fonction publique et le privé ?
L’emploi ne se limite pas à avoir un poste de travail : ledit poste est aussi le support de droits. Pas de poste = pas de droit ; c’est le poste qui est qualifié, ce n’est pas moi ; jamais un salarié du privé n’est qualifié, il n’est que certifié par un diplôme ; c’est pour cela que le salarié a toujours peur que son poste disparaisse ; s’il est sans poste, il se retrouve nié comme porteur de qualification et doit se convertir en demandeur d’emploi. En attribuant les droits sociaux au poste de travail, l’emploi donne toutes cartes à ceux qui ont la maîtrise des postes de travail : les employeurs, les actionnaires. L’emploi est bien une institution capitaliste, qui donne aux actionnaires tout le pouvoir sur le travail : eux seuls décident quels sont les postes, leur localisation, leur nombre, leur qualification, leur titulaire. Tout autre est le grade, qui attribue la qualification à la personne. Il n’y a pas de chômeurs chez les fonctionnaires, parce qu’il n’y a pas d’emploi. Ce ne sont pas les postes qui sont supports de droit : c’est au nom du grade que je suis payé ; c’est moi qui suis qualifié. L’institution est clairement anticapitaliste. C’est pour cela qu’elle est systématiquement délégitimée par ceux qui construisent et diffusent les représentations, que les réformateurs s’emploient à tarir le recrutement des fonctionnaires. En bref, aujourd’hui, le travail est pris entre deux institutions contradictoires : l’emploi, institution capitaliste ; la qualification de la personne, institution anticapitaliste. Laquelle va l’emporter ? C’est tout l’enjeu des réformes.
Retraites : la solution plutôt que le problème
Analysons à présent le dossier des retraites, éclairés par les constats qui précèdent. Les 13% du PIB qui, en France, vont aux pensions (le chiffre est un peu inférieur en Belgique) sont simplement une attribution de valeur à une activité qui, jusqu’ici, n’en avait pas ; c’est la reconnaissance de la valeur économique produite par l’activité des retraités. Ce ne sont pas des condoléances qu’on adresse aux retraités qui partent à la pension. Car une moitié d’entre eux répondent, lorsqu’on les interroge : « Je n’ai jamais autant travaillé, et je n’ai jamais été aussi heureux de travailler ». Ils ont même acheté un agenda ! Auparavant, leur emploi du temps était tellement déterminé par leur emploi qu’ils n’en avaient pas besoin ! Aujourd’hui, ils le montrent, leur agenda : il est plein ! Certes, il faut nuancer : une autre moitié des retraités est dans la survie, surtout des femmes, à cause du mode de calcul discriminant de la pension. Mais dans la présente contribution, on focalise sur la fraction des retraités heureux. Car les plus heureux au travail sont bien les retraités. Au temps de l’emploi ils étaient perpétuellement dans l’angoisse de savoir ce qu’ils allaient devenir, ou dans le chantage sur leur « employabilité ». Désormais, tout cela est fini, et ils sont payés à vie. Le retraité prendra le ton de la confidence et avouera : « Je n’ose pas le dire, surtout quand je pense à mes petits-enfants qui ont tant de mal : ça tombe tous les mois ». Dans le système bismarckien, système à prestations définies fondé sur le remplacement du salaire (tout le contraire du système à cotisations définies fondé sur le rendement des cotisations que tentent de nous imposer les réformateurs), un retraité est quelqu’un qui touche un salaire à vie ; il n’a plus besoin de passer par le marché du travail ; il est libéré de l’emploi. Le salaire à vie, c’est aussi le cas des fonctionnaires. Un salarié du privé qui entre en retraite devient comme le fonctionnaire, défini par sa qualification. Du coup, il travaille puisque son activité s’inscrit dans le cadre d’un salaire à vie, une des deux institutions, nous l’avons vu, qui transforment l’activité en travail. Il n’y a aucun problème démographique dans des pays qui choisissent de faire de la pension non pas la contrepartie des cotisations passées mais la poursuite du salaire. Il n’y a que du bonheur démographique. Nous allons passer de 2/3 de notre vie consacrés à l’emploi à 1/2 : ouf ! L’autre moitié est payée par du salaire à vie, qui fait que l’activité est du travail. En d’autres termes, les 13% du PIB qui vont aux pensionnés sont produits par les pensionnés eux-mêmes ; il n’y a pas transfert des actifs vers les inactifs.
Nous sommes en train de changer le sens du travail
Les pensionnés produisent peu de kilomètres d’autoroutes, mais beaucoup de liens social. Nous changeons le sens du travail en attribuant de la valeur non seulement au non-marchand des fonctionnaires, mais aussi à l’activité des retraités. Une retraitée qui utilise ses 1 100 euros pour être conseillère municipale n’est pas une bénévole : elle travaille ; les 1100 euros qu’elle reçoit s’ajoutent à la valeur du PIB ; ce n’est pas un montant qui serait retranché d’on ne sait où. Un retraité travaille, qui utilise ses 1 600 euros pour cultiver des tomates bios ou garder ses petits-enfants. Son activité s’inscrit dans une institution légitime pour transformer l’activité en travail : la qualification personnelle. C’est pour cela que les réformateurs ont deux cibles : les fonctionnaires et les retraités. Pour les réformateurs, il s’agit d’en finir avec cette alternative à l’emploi que représente le salaire à vie. Mais nos institutions sont extrêmement solides et résistantes : les réformateurs ne parviennent pas à leur fin.
Ainsi sommes-nous, dans la réalité, très en avance sur nos représentations : nous avons déjà conquis l’attribution de valeur à autre chose que la production de marchandises pour mettre en valeur des capitaux, et cet autre chose pèse plus du tiers de nos PIB ! Ainsi inventons-nous, à travers la sécurité sociale, des institutions nouvelles, émancipatrices du marché du travail et de la loi de la valeur. Tout ce que nous faisons depuis 50 ans dans nos pays, c’est attribuer de la valeur à de plus en plus d’activités économiques infiniment plus humanisantes que celles que nous faisons souvent dans l’emploi. Dans les années 1950, le soin infirmier n’était pas du travail : ce n’était que de l’activité utile exercée par des bonnes sœurs, qui n’en obtenaient qu’une rétribution symbolique, la révérence, c’est-à-dire l’inverse d’une rétribution réelle ! Cette activité utile est devenue un travail lorsque les religieuses ont été remplacées par des infirmières, qui avaient soit un emploi (dans le privé) soit un grade (dans la fonction publique). Le soin est ainsi devenu producteur de valeur économique : c’est le soignant qui produit la valeur correspondant à la cotisation santé, ce n’est pas le cotisant !, c’est lui qui produit la valeur par son travail. Tout comme le fonctionnaire produit la valeur correspondant à son salaire : ce n’est pas le contribuable ! De même, dès lors qu’il touche un salaire à vie, c’est le pensionné qui produit la valeur correspondant à la cotisation vieillesse. La cotisation, comme l’impôt, est un flux de monnaie mais pas un flux de valeur. En effet, ceux qui produisent le non-marchand ne peuvent pas être payés sur du chiffre d’affaires : il n’y a pas de chiffre d’affaires ! Il faut donc bien qu’il y ait un flux de monnaie qui aille du prix des marchandises vers les retraités, les fonctionnaires, les soignants, les parents (pour les allocations familiales), les chômeurs : ce sont les impôts et les cotisations. C’est une opération parfaitement blanche : l’équivalent de ces impôts et cotisations va de toute façon être dépensé sous la forme d’achats de marchandises. Bref, il y a un circuit, qui part de la marchandise et y retourne ; en soi, ça ne coûte rien du tout à l’univers de la marchandise. Mais, tout nécessaire qu’il soit pour attribuer une valeur au travail non marchand, ce flux de monnaie n’est pas pour autant un flux de valeur. Le prix de la marchandise agrège tout à la fois la valeur du non-marchand et la valeur de la marchandise : la cotisation sociale entre dans le prix, mais ne correspond pas à la valeur de la marchandise, et n’est pas produite par le cotisant.
Dépassement du capitalisme
Ainsi, produite par le fonctionnaire, le soignant, le parent, le retraité, la cotisation sociale correspond-elle à la valeur attribuée au non-marchand. Résultat remarquable pour nos PIB européens : celui de l’Allemagne correspond à celui de la Chine ! S’il est bien clair que nous produisons beaucoup moins de valeurs d’usage que les Chinois, nous convertissons néanmoins considérablement plus d’activités en production de valeur économique : en Chine, il n’y a pratiquement pas de fonction publique, ni de sécurité sociale. C’est un progrès de civilisation que de sortir le travail du carcan de la production de valeur pour le capital ; c’est parce que nous y arrivons pour une part significative qu’on peut affirmer que nous sommes beaucoup plus proches d’un dépassement du capitalisme que les Chinois. Creusons à présent la question de la cotisation. Les données qui suivent se réfèrent à la France, mais les ratios ne sont pas très différents de ceux de la Belgique. Sans valeur ajoutée, il n’y a pas de possibilité d’affronter l’avenir : la production française liée à la valeur ajoutée est de l’ordre de 2 000 milliards d’euros, qui se répartissent en 60% pour les salaires et 40% pour le profit. La moitié seulement du profit est investi. Le reste : 100 milliards vont aux revenus des travailleurs indépendants, ce qui est normal ; quelques dizaines de milliards vont à l’impôt sur le patrimoine, c’est normal aussi. Il subsiste 250 milliards, qui sont entre autres les dividendes des actionnaires après investissement, soit un peu plus de 11% du PIB. C’est ce qui part en fumée, qui ne crée aucune valeur, qui crée même de quoi en détruire. Prenons l’illustration des offres publiques d’achat : des dizaines de milliards sont généreusement versés à des actionnaires, pour racheter des boîtes qui sont ensuite dépecées sous l’argument du double emploi : ainsi détruit-on de la valeur pour la bonne santé de la propriété lucrative. Entre nous, cela met nos sociétés en beaucoup plus grand danger que, exemple pris au hasard, quelques milliers de Roms. Que se passe-t-il du côté des 1 200 milliards d’euros consacrés aux salaires ? 500 milliards sont consacrés aux salaires directs du privé (y compris ce qui ira à l’impôt sur le revenu, qui n’est pas retenu à la source en France) ; 200 aux salaires directs de la fonction publique ; et encore 500 pour les cotisations sociales. Tout ce qui vient d’être détaillé est pris sur le travail : pas seulement, comme on le dit souvent, les cotisations sociales, mais aussi les profits et les salaires directs. La question est dès lors moins de savoir sur quoi est prise la cotisation – c’est évidemment sur le travail – que ce au nom de quoi elle est prise – cela change radicalement la perspective.
Religion du marché
Au nom de quoi sont pris les 800 milliards qui vont au profit ? Au nom du droit de propriété lucrative. Nous pensons que les marchés sont un « mal nécessaire ». Que ce soit un mal, nous sommes bien d’accord ! Mais « nécessaire » ? C’est une religion qui s’est construite. Écoutons ce qui se dit : « les marchés sont inquiets » ; « malgré les décisions courageuses du G20, on n’a pas apaisé les marchés » ; quels sacrifices allons-nous faire pour les apaiser ? Pourquoi à toutes les heures, la radio nous donne-t-elle les cours de bourse, sur le ton du moulin à prière, et jamais depuis le studio mais depuis le Temple ? Pourquoi nous fait-on participer, contre notre gré, à cette liturgie permanente ? Pour le sermon de l’économiste, le curé de notre temps. Un sermon d’avant le concile, qui envoie le message : « Silence et courage, car demain sera pire qu’hier ». Il suffit de changer le mot « marchés » par le mot « dieu » pour se rendre compte qu’il y a bien une religion, à laquelle nous sacrifions notre bonheur collectif. Elle repose sur une très étrange croyance : l’accumulation financière serait de l’accumulation de valeur. En réalité, elle n’est que de l’accumulation de droits de propriété sur la valeur. Illustration par le mécanisme de l’épargne en général, via l’exemple plus précis des fonds de pension. Que s’y passe-t-il exactement ? Il s’y accumule des titres financiers. Plus tard, disons en 2020, lorsque les gestionnaires d’un fonds devront payer des pensions, ils reconvertiront ces titres en monnaie : mais il faudra que la monnaie existe à ce moment-là ! Si elle n’existe pas, les titres ne pourront être convertis. En eux-mêmes, les titres ne sont pas de la valeur, ils ne sont qu’un droit sur la valeur qui existera au moment de leur conversion. En aucun cas, l’épargne n’est un « congélateur à valeur », qui ferait qu’on arriverait en 2020 avec de la valeur venue d’hier s’ajoutant à la valeur du moment du travail vivant ; c’est sur la production de 2020 qu’on convertira en monnaie les titres accumulés. Ainsi, épargner n’est-il pas accumuler de la valeur, mais accumuler des droits sur la valeur produite au moment de la conversion de l’épargne en monnaie. En économie, dans la valeur, il n’y a que de l’aujourd’hui. La cotisation sociale est un danger pour la religion des marchés : elle démontre que nous pouvons nous passer et de l’emploi et du droit de propriété lucrative. Revenons à la question « au nom de quoi le PIB est-il distribué ? » Le critère de la distribution des salaires directs du privé, c’est l’institution capitaliste de l’emploi : pas d’emploi, pas de salaire direct. Celui de la distribution des profits, c’est l’institution capitaliste du droit de propriété lucrative. Par contre, le critère de la distribution des salaires directs de la fonction publique et des prestations de sécurité sociale, c’est l’institution anticapitaliste de la qualification de la personne (à la place de l’emploi) et de la cotisation à la place de la propriété lucrative. La cotisation est réellement révolutionnaire !
Une cotisation économique plutôt que la propriété lucrative
La cotisation remplace avantageusement la propriété lucrative. Il n’y a pas photo. On le voit bien, dans l’Europe des Quinze, les pensions sont financées à 90% par la répartition, et non par l’épargne ; la répartition n’est pas une forteresse assiégée, un dispositif en voie d’extinction. Au contraire, elle est une institution extrêmement florissante. Depuis 25 ans, les réformateurs essayent sans succès d’augmenter la proportion de financement par capitalisation. Et ce sont les pays qui n’ont aucun fonds de pension, ou très peu, qui financent les taux de remplacement les plus élevés pour un pourcentage supérieur de pensionnés parmi les plus de 60 ans. Qu’avons-nous fait pour un tel succès ? Nous avons remplacé les revenus du patrimoine par la cotisation sociale. Même chose, et même succès, pour la santé : nous l’avons libérée de la propriété lucrative des caisses d’assurance privées grâce à la cotisation-maladie. Ce que, pour leur part, les Américains n’ont pas fait : en confiant la santé à la propriété lucrative, ils doivent dépenser 15% de leur PIB pour un système de santé en moyenne inférieur à celui des Européens qui ne consacrent à la cotisation santé que 10% du PIB.
Puisque la cotisation nous débarrasse de la propriété lucrative, il nous reste à en élargir le champ, en créant une cotisation économique. On sera d’accord pour laisser 100 milliards pour les travailleurs indépendants. Mais on consacrera désormais 30% du PIB à l’investissement, et non pas les 20% que nous concèdent, à grand renfort de taux d’intérêt, les détenteurs de la propriété lucrative, ce qui laisse l’Europe dans un invraisemblable sous-investissement. Ces 30%, nous les ponctionnerons sur la valeur ajoutée sous forme de cotisation qui ira à des caisses d’investissement, que nous gérerons nous-mêmes et qui financeront l’investissement sans taux d’intérêt et sans remboursement, puisqu’il n’y aura plus d’accumulation privée de valeur à des fins lucratives, et donc plus de crédit à rembourser. Ainsi allons- nous supprimer le droit de propriété lucrative au nom du salaire socialisé.
La qualification à la place de l’emploi
Nous allons faire la même chose pour l’emploi, en attribuant à chacun un salaire à vie. Le pensionné osera dire : « La raison de mon bonheur au travail, c’est que j’ai une qualification, qui fait que j’ai un salaire à vie. Et ce qui est bon après 60 ans est tellement meilleur avant ! » Créons un droit irrévocable au salaire à vie, de 18 ans à la mort, un droit irrévocable à la qualification de la personne : voilà l’espoir, pour celui qui maquille ses diplômes pour décrocher un emploi, celui qui est dans un emploi sans rapport avec ses certifications, celui qui cherche des formes moins insupportables de travail. C’est là encore la cotisation qui financera le salaire à vie à la qualification. Heureusement que ce n’est pas mon employeur qui paye mon opération du cœur, sinon en travaillant dans une PME je n’aurais aucun droit à la santé : non, il paye une cotisation qui mutualise la valeur ajoutée dans des caisses qui assurent mon droit à la santé. Heureusement que ce n’est pas mon ancien employeur qui paye ma retraite ; il a d’ailleurs éventuellement disparu : c’est le salaire socialisé qui garantit mon droit à la pension. Continuons ce que nous avons si bien commencé ! Si nous voulons un droit au salaire garanti ne dépendant pas du chiffre d’affaires de l’entreprise dans laquelle nous sommes, il ne faut plus que ce soit l’entreprise qui paye les salaires : il faut lui faire payer une « cotisation salaire » qui va dans une « caisse des salaires » qui, elle, paye. Le résultat sera la fin du marché du travail ; il n’y aura que des qualifiés à vie qui améliorent leur qualification au fur et à mesure des épreuves professionnelles qu’ils passeront.
Affecter tout le PIB
Résumons-nous. Nous allons affecter tout le PIB au salaire socialisé. La valeur ajoutée de chaque entreprise pourra se répartir par exemple comme suit :
L’entreprise consacrera 15% de sa valeur ajoutée à l’autofinancement et 15 autres pourcents à une cotisation économique qui permettra de financer les investissements publics et ceux des entreprises qui excèdent leur autofinancement. Répétons-le, ces financements, libérés de la propriété lucrative et de l’arbitraire des marchés, ne donneront lieu à aucun remboursement.
50% de la valeur ajoutée seront consacrés à une cotisation finançant les salaires à vie (y compris donc les pensions) : cette cotisation ira à des caisses de salaires, y compris pour les travailleurs indépendants (on pourra passer du statut de salarié à celui d’indépendant comme on le souhaitera au cours de son existence).
Enfin, 20% seront consacrés à une cotisation sociale qui financera les dépenses des services publics qui ne relèvent ni de l’investissement ni du salaire des fonctionnaires. Il n’y a pas d’utopie dans tout cela. Nous ne sommes pas dans un lieu qui n’existe pas ; nous sommes dans le réel de nos sociétés, qui reconnaissent déjà, à hauteur de plus du tiers de leur PIB, une valeur économique à des productions libérées de la logique capitaliste. Nous allons sortir du capitalisme en nous appuyant sur le réel déjà là, en mesurant ce que les institutions de la qualification personnelle et de la cotisation sociale ont de révolutionnaire. Et puisque mon présent propos a pour destination première des militants du monde sociologique chrétien, pourquoi m’interdirais-je de conclure : le réel est Bonne Nouvelle !