Politique
Écologisons la social-démocratie !
07.10.2021
Fameux défi de suggérer en quelques milliers de signes ce qu’il y a à garder ou à jeter de la social-démocratie, que ce soit avec ou sans un regard écologiste. Cette question est celle de la gauche depuis, au moins, une trentaine d’années. Et l’absence de réponse marque non seulement l’incapacité de la gauche à se réinventer mais aussi à faire porter ses combats par une masse critique au sein de la population.
Trois offensives quasi simultanées ont ébranlé la doctrine sociale-démocrate dont les Trente Glorieuses semblent avoir été, aux yeux de l’Histoire, la consécration la plus aboutie.
Tout commence avec la crise pétrolière des années 1970 qui amène un chômage de masse et que les politiques keynésiennes déclenchées en réaction, mais à contretemps, ne font que renforcer. Bien sûr, la crise a été déclenchée par les « caprices » de l’Opep[1.Organisation des pays exportateurs de pétrole], mais ceux-ci n’ont fait qu’accélérer ce qui devait tôt ou tard advenir, à savoir la fin du cycle historique entamé avec la révolution industrielle. Révolution, faut-il le rappeler, qui fut la matrice dans laquelle la social-démocratie s’est créée après des dizaines d’années d’intenses combats sociaux.
Cette crise et les mauvaises réponses qui y ont été apportées ont ouvert un boulevard aux thuriféraires de l’économie de marché. Ceux-ci avaient fourbi leurs armes intellectuelles depuis un certain temps avec la création de la Société du Mont Pèlerin en 1947 et en s’appuyant sur des auteurs comme Hayek, Rand ou encore l’incontournable Friedman. Ils étaient prêts à saisir la moindre opportunité de prendre le pouvoir. Les élections quasi simultanées de Thatcher (1979) et de Reagan (1980) vont procurer à leurs théories un fantastique terrain d’expérimentation. C’est là la deuxième offensive.
Mais le coup de grâce fut donné par la chute du Mur de Berlin (1989) et la disparition du monde communiste qui jouait le rôle de repoussoir commode pour les forces de droite, faisant peser la menace d’un Grand Soir « rouge sang » si le compromis social n’était pas satisfaisant. D’un seul coup, les concepts néolibéraux d’individu-roi, de marchés libéralisés comme solution à tous nos problèmes, d’entrepreneurs et managers superhéros des temps modernes et d’État boursouflé, inefficace et ringard, nous ont tous brainwashés.
Y étions-nous disposés ? Sans doute et, notamment, par les mouvements sociétaux de la fin des années 1960. Ceux-ci, initialement perçus comme une tentative collective de faire évoluer la société, ont aussi favorisé l’émergence d’un individualisme longtemps frustré par des normes morales trop strictes.
Y étions-nous prêts ? Manifestement non. Notre appareil intellectuel, qu’il soit constitué par le marxisme ou le keynésianisme, s’est vu littéralement bouleversé par cette triple offensive, ensuite amplifiée par la révolution des marchés financiers. En quelques années, alimentée aussi bien par l’importance démesurée accordée aux entreprises que par la masse financière amenée par la gestion des dettes publiques, celle-ci a changé radicalement les structures économiques de nos sociétés. Résultats : une pression infernale sur la rentabilité des entreprises et une mutation du système bancaire passé de sa fonction traditionnelle de fournisseur de crédit à celui de vendeur de produits spéculatifs, le tout aimanté par une course effrénée aux gains à court terme qui atteint des sommets d’absurdité avec le high frequency trading[2.Transactions financières à haute fréquence, gérées automatiquement par des algorithmes mathématiques.].
Même si l’impact de la financiarisation des structures économiques est considérable, elle ne peut expliquer à elle seule la crise des idées à gauche. Car cette vague néolibérale s’est accompagnée de la mondialisation qui, elle aussi, nous a pris de court. Les universalistes que nous sommes censés être, à peine remis de la décolonisation, ne pouvaient que se réjouir de l’entrée dans l’économie-monde d’une série de pays émergents, sans se rendre compte que le sort des travailleurs des économies industrielles allait en être fortement impacté. À travers ce jeu de vases communicants, la solidarité des travailleurs du monde entier s’est transformée en une impitoyable mise en concurrence entre pairs. « Ma boîte délocalise, moi je perds mon job, toi tu gagnes enfin un salaire, mais de misère, en Chine ou au Vietnam. »
Un socialisme gestionnaire
Face un tel tsunami, profond et multiforme : non, nous n’étions pas prêts. Ces trois révolutions ont déréglé, et pour longtemps, notre boussole.
On peut même dire qu’elles l’ont fait « tourner fou ». Nombre d’entre nous ont succombé à l’offensive néolibérale et à ses facilités intellectuelles, créant divisions et subversions idéologiques au sein de la gauche. Un des moments symboliques du renoncement, c’est 1983 et le choix de Mitterrand de passer au « socialisme de l’offre ». Prémisses d’un socialisme « responsable », qui n’est pas celui de la 2e gauche réformiste de Rocard, mais celui d’une gauche tellement gestionnaire qu’elle en oublie ses fondements. Et que dire de Blair et Schröder qui, une quinzaine d’années plus tard, au nom d’une « troisième voie » dont on peine toujours à cerner les contours, feront émerger le social-libéralisme dans lequel la social-démocratie européenne est encore empêtrée.
Les conséquences de ces errements nous apparaissent aujourd’hui : au-delà de la facture électorale que beaucoup de partis de gauche ont dû ou vont devoir régler, c’est aussi ce constat sanglant des inégalités, étayé encore récemment par Piketty, et celui de la montée des populismes de droite et de gauche qui montent les gens les uns contre les autres et qui, surtout, occultent la complexité du réel. Comment ne pas voir le lien entre les deux ? À force de voir la montée des inégalités, les gens ne croient plus aux promesses non tenues des politiques d’infléchir le réel.
Cette boussole, nous ne l’avons toujours pas retrouvée. Développer une théorie de gauche vraiment alternative au néolibéralisme dépasserait largement les limites du présent exercice et, a fortiori, les capacités de l’auteur. Néanmoins, nous pourrions tenter de mettre en exergue quelques « non pensés » ou « mal pensés » de la gauche de ces trente dernières années. Et faisons-le à la lumière d’un peu de pensée écologique, inspirée par deux auteurs de la deuxième moitié du XXe siècle : Ivan Illich, clairvoyant critique de la modernité occidentale, et André Gorz, penseur existentialiste, socialiste avant de devenir un incontournable de l’écologie politique.
L’impensé de l’Europe (et du monde globalisé)
À notre modeste niveau belge, c’est surtout au travers de l’Union européenne que l’offensive s’est fait sentir. Il est vrai qu’à l’origine, le projet européen est porté par des visées de paix ancrées dans un postulat fondamentalement libéral : à la guerre se substituera le doux commerce. C’est bien cette Europe-là qui pousse Mitterrand à abandonner ses ambitions initiales en 1983 et pour elle qu’il pousse Jacques Delors à prendre la présidence de la Commission.
Avec un peu d’indulgence pour cet homme du siècle que fut Mitterrand, on lui reconnaîtra une vraie vision civilisationnelle qui fut à la source de son tropisme européen, bien plus qu’une vision économique. Et, dans ses deux mandats marqués par la prolifération du néolibéralisme, on laissera à Delors le bénéfice du doute quant au bien-fondé du Traité de Maastricht dont il fut la cheville ouvrière et dont il reconnaîtra lui-même les limites des années plus tard.
Mais, au tournant des années 2000, alors qu’on commence à voir les impasses sociales du projet européen, quelle excuse peut-on trouver à cette majorité de gouvernements de gauche qui se retrouvent aux commandes de l’Europe et qui ne profitent pas de cette opportunité pour en infléchir le cours ?
On ne peut même pas invoquer la difficulté qu’aurait induite la présence des anciennes « démocraties populaires » issues du bloc communiste et converties rapidement au libéralisme et au néoconservatisme, puisqu’elles ne rejoindront l’Union européenne que plus tard.
Suite à cette opportunité unique, cette inertie de la social-démocratie au sujet de l’Union européenne ne s’est jamais plus démentie. Vouloir rénover la social-démocratie, sans y inclure la dimension territoriale et institutionnelle de l’Union européenne, constitue un sérieux manquement. Pour les Verts, l’Union européenne est un élément essentiel et constituant de leur idéologie, car elle est la première étape d’un universalisme à l’avènement duquel appelle leur approche systémique (au sens où l’entend Edgar Morin).
Si l’Europe constitue la première frontière à repenser et à repolitiser, le monde globalisé, dans toutes ses dimensions – qu’il s’agisse des migrants, des multinationales ou des paradis fiscaux – semble toujours arriver au second plan des préoccupations social-démocrates. Et l’exemple n’est pas venu des syndicats à qui il a fallu bien du temps pour internationaliser leurs combats et se trouver des solidarités internationales.
Pour complexe qu’elle soit, cette dimension européenne est devenue incontournable pour un projet de gauche. Personne ne doute, en effet, que c’est à cette échelle que se trouve une partie substantielle du moteur du changement et de la lutte contre les injustices, les politiques d’austérité et les libéralisations excessives. Tout comme les leviers positifs que sont les politiques industrielles et d’investissement en recherche et développement ou de lutte contre les monopoles qui font du projet européen le meilleur moyen de discipliner et réformer l’économie globalisée.
L’impensé des limites naturelles de la planète
« Vive l’écosocialisme ». « Être socialiste n’est plus possible sans intégrer la dimension environnementale… ». Voilà ce qu’on appelle un crash course (« cours intensif ») pour rattraper un retard considérable face aux écologistes. Mais surtout face à la réalité ! Rappelons-nous le Club de Rome et son Limits to growth qui date de 1971. Comme la piqûre de rappel des 15 000 scientifiques venue il y a quelques semaines nous le confirmer : l’avenir de l’Humanité et de son bien-être ne peuvent se penser que dans les limites de la planète.
Les impératifs que ce constat implacable implique sont multiples : un découplage absolu de nos émissions de gaz à effet de serre à la croissance, une pression bien moindre sur les ressources naturelles et la biodiversité, une diminution de la production des déchets, de la pollution toxique et de la pression sur l’usage des sols. Comme nous y invite Tim Jackson[3.T. Jackson, Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable, Etopia/De Boeck, 2010. ], c’est bien à une redéfinition de la notion même de bienêtre que ces menaces nous obligent, un bien-être moins matériel, plus relationnel. Autant dire que c’est à une véritable révolution, un grand soir, vert cette fois-ci, que nous devons nous employer. Car le capitalisme actuel, poussé par la quête de croissance et l’hyperconsommation destructrice de la planète, n’est pas compatible avec la préservation de celle-ci. Il faut donc se projeter bien loin du modèle productiviste qui a alimenté la pensée libérale autant que la pensée social-démocrate depuis toutes ces années et repenser fondamentalement notre système économique, au-delà des solutions technologiques, indispensables, et au-delà des pseudo-solutions du « capitalisme vert », du mazout propre aux grosses berlines électriques, qui sont au mieux des emplâtres sur des jambes de bois.
Il est d’autant plus important d’y mettre toute son énergie que les dégâts environnementaux sont générateurs d’injustices fondamentales auxquelles la social-démocratie a toujours prétendu s’opposer, au Nord comme au Sud.
Pour cette social-démocratie qui s’est consacrée au bien-être matériel des peuples par le développement technique et productiviste, il s’agit désormais d’inscrire tous ses combats dans la transversalité d’une transition qui préserve au maximum les ressources grâce à une approche de justice intergénérationnelle et universelle. Il lui faudra aussi davantage politiser ce concept de transition, car il est évident que l’empreinte environnementale n’est guère la même selon qu’on soit pauvre ou riche. La responsabilité individuelle, pour importante qu’elle soit lorsqu’il s’agit de fermer son robinet quand on se lave les dents ou d’éteindre son moteur quand on est à l’arrêt, est finalement de peu de poids face aux choix des priorités énergétiques imposées par les majors du pétrole ou ceux des systèmes agricoles influencés par le lobby intense des géants de l’agroalimentaire.
Sur ces points, l’écologie politique a de l’avance. Outre une prise de conscience autour des enjeux dévoilés par le Club de Rome, les critiques d’Illich sur le modèle productiviste l’ont amené à en saisir les tendances mortifères.
Écosocialisme et écologie politique peuvent être partenaires dans ces combats pour la transition. Mais il subsiste sans doute des divergences sur le « comment ».
Le mal pensé du rapport entre État, société civile et citoyen
Il est intéressant de constater que la notion d’aliénation est au cœur des deux doctrines, l’écologie politique et le socialisme. Résumées grossièrement, les deux partagent le même souci de libérer l’homme de l’aliénation. Mais est-on vraiment sûr que les socialistes partagent l’analyse d’Illich qui dépasse la simple aliénation par le travail et voit dans les excès de la société industrielle, qu’elle soit capitaliste ou pas, de nouvelles formes d’aliénations où l’être humain, cette fois dans son identité d’usager et de consommateur, se retrouve prisonnier d’un système ? Gorz, initialement marxiste, mais nourri à l’existentialisme de Sartre, rejoint Illich dans son analyse pour mettre l’accent sur la différenciation à faire entre sphère hétéronome (schématiquement le travail) et sphère autonome, qui devient un accent essentiel de l’écologie politique.
Chez Gorz, cet enjeu de la quête de l’autonomie de l’individu prend un poids qu’elle ne revêt pas dans les textes socialistes. Pour lui, il s’agit de faire en sorte que le système soit modelé pour permettre cette quête d’autonomie existentielle plutôt que se contenter de ne pas l’empêcher, comme peut le sous-entendre l’interprétation commune de la pensée socialiste.
De cette considération naît le fait que l’être humain, pour les écologistes, peut avoir une existence en dehors de la dualité vie privée vie professionnelle. Une existence dans la société, comme citoyen et non comme travailleur. L’expression publique de cette sphère, c’est la notion de société civile, ce fameux monde associatif, bénévole ou pas, qui agit dans la vie publique, couvre des besoins négligés et crée de nouvelles approches. En poussant plus loin, le concept émergent de « communs » aboutit même à créer un hybride entre propriété privée et propriété publique. Il se traduit par une gestion commune, mais non publique, de ressources qui pourraient avoir une valeur marchande ou être gérées par l’État, mais dont le mode de gestion spécifique est assuré par une communauté de citoyens ou d’utilisateurs. Reconnaissons que le monde socialiste a toujours eu du mal à intégrer dans son modèle ce type d’initiatives, car elles émergent dans l’interstice entre les individus et la collectivité incarnée par l’État et défendent indépendance et liberté vis-à-vis des uns et des autres.
Les partis écologistes, eux-mêmes issus de cette troisième sphère, l’assimilent plus naturellement dans leur schéma de pensée et de fonctionnement, la promeuvent activement et ne cherchent pas à ce que l’État, quand ce n’est pas nécessaire, se substitue à elle. L’avènement des nouvelles technologies ne risque pas de ralentir cette tendance des citoyens à rompre la binarité individu-État.
Face à un capitalisme dévastateur, trouver une alternative à la nationalisation des biens et faciliter un concept comme les communs, appuyer les villes en transition et les associations de citoyens, souvent innovantes dans leurs approches et méthodes, ne peut que renforcer la sphère autonome chère à Gorz. Le tout en réinventant le rôle de l’État : pas plus, pas moins d’État, mais mieux d’État, en alliance avec les citoyens, jouant un rôle de facilitateur, de soutien dans un cadre décentralisé, mais aussi bien sûr de régulateur quand c’est nécessaire.
L’oubli de penser l’entreprise autrement
La pratique social-démocrate s’est accommodée tant bien que mal de la puissance montante des entreprises. Elle n’a par ailleurs jamais vraiment remis en question ce postulat qu’une de ses figures de proue – Helmut Schmidt, ancien chancelier social-démocrate de la République fédérale allemande – avait émis au début des années 1980, à savoir que les profits d’aujourd’hui seraient les investissements de demain et les emplois d’après-demain. Postulat que l’Histoire a pourtant bousculé à maintes reprises. La social-démocratie a préféré fermer les yeux sur les excès des entreprises, effacer de sa mémoire les nationalisations de Mitterrand et attiser la concurrence fiscale entre États pour attirer des investissements afin d’assurer la création d’emplois. Elle s’est aussi pliée au jeu de la libéralisation des services publics. Impuissante face à l’économie de marché, incapable de la réguler, elle n’a pas réussi à protéger son cœur de cible, les travailleurs, n’ayant d’autre choix que d’accepter les dégâts provoqués par les licenciements consécutifs à la financiarisation de l’entreprise.
Dans les mêmes conditions d’exercice du pouvoir, on ne peut affirmer que les écologistes auraient fait mieux. Même si l’enjeu de la régulation, en particulier au niveau européen, est au cœur de leur action et que l’écologie politique a, dans la ligne de la « deuxième gauche » rocardienne qui promouvait l’autogestion, toujours soutenu la notion d’entreprises alternatives, qu’il s’agisse des nouvelles coopératives et de l’économie solidaire ou aujourd’hui des entrepreneurs sociaux qui envisagent l’entreprise dans sa triple contribution à la société : économique, sociale et environnementale.
C’est devenu un enjeu fondamental pour la gauche : articuler la fourniture d’un cadre et d’un soutien aux individus qui ont des capacités entrepreneuriales de création d’activités orientées vers la durabilité la plus poussée, la création d’emplois et la participation des travailleurs. À l’échelle des multinationales, il s’agit de contrôler, grâce à une régulation qui soit la plus intelligente possible, leurs pratiques anticoncurrentielles, l’évasion fiscale et leur tendance à l’exploitation des failles des régulations sociales et environnementales. Ici, mais aussi dans les pays moins développés.
Le non encore pensé des défis sociaux à venir
L’économie du partage est un magnifique concept qui résonne de manière séduisante, tant aux oreilles des sociaux-démocrates qu’à celles des écologistes politiques qui voient là une manière d’enfin réconcilier entreprises et valeurs sociales. Mais c’est bien d’un leurre qu’il s’agit, voire, dans le cas des Uber et autres Airbnb, d’un nouvel avatar du capitalisme où la propriété de la plateforme internet, interface incontournable entre offreurs de services et clients, dont elle s’approprie gratuitement les données au passage, équivaut à la possession de l’outil de production. Celle-là même qui a nourri la révolution industrielle et le rapport de forces entre les détenteurs du capital et les exploités.
Cet exemple montre parfaitement les défis auxquels la digitalisation de l’économie va nous confronter et face auxquels les dispositifs de protection sociale d’aujourd’hui, déjà mis à mal sous les coups des néolibéraux, vont devoir se réinventer. Vie privée éclatée, vie professionnelle qui risque tout autant de l’être, statut hybride entre salariat et travail indépendant, simultanés ou successifs, croissance atone, digitalisation des processus sont autant de bouleversements auxquels il sera difficile de résister et pour lesquels le système de protection sociale, tel qu’il existe aujourd’hui, n’a pas été conçu.
Cette fragmentation du monde du travail va mettre à mal la notion de lutte des classes si chère au yeux des sociaux-démocrates.
L’écologie politique n’a, elle non plus, pas encore pensé ces bouleversements, mais reconnaissons que la notion de revenu de base développée par Van Parijs et Defeyt, tous deux écologistes belges historiques, rejoints par Gorz himself, apparaît, qu’on en soit convaincu ou pas, comme le seul outil pensé aujourd’hui pour tenter de réinventer la sécurité sociale.
La liste des impensés est loin d’être exhaustive et chacun d’entre eux mériterait de bien plus longs développements. Une chose est sûre en tout cas : la gauche a besoin d’un vrai changement culturel et l’urgence, pour les sociaux-démocrates comme pour les écologistes, consiste à inventer un nouveau narratif pour inverser le lavage de cerveau néolibéral dont la fameuse Tina (There is no alternative) a été le leitmotiv. Autant dire que cela va prendre du temps. Pas sûr, malheureusement, que nous en disposions.
(Images de la vignette et dans l’article sous copyright de leurs éditeurs respectifs.)