Politique
Du droit au logement au droit à l’énergie
17.02.2022
Le droit constitutionnel au logement « décent » ne doit-il pas être une source d’inspiration pour le droit à l’énergie ? En effet : est-il décent d’avoir un logement dépourvu de chauffage et d’électricité ?
Cet article a paru dans le n°74 de Politique (mars 2012).
Pour cardinal qu’il soit, le droit à l’énergie n’émarge nullement au rang constitutionnel. En revanche, cela fait bientôt vingt ans que le constituant belge[1.Loi du 31 janvier 1994 portant modification à la Constitution, Moniteur belge, 12 février 1994.], suivi (ou précédé) en cela par d’autres pays européens[2.Art. 65.1 de la Constitution portugaise du 2 avril 1976, art. 47, al. 1er, de la Constitution espagnole du 27 décembre 1978, art. 21.4 de la Constitution grecque du 9 juin 1975, art. 19, al. 4, de la Constitution finlandaise du 1er mars 2000, art. 22.2 de la Constitution des Pays-Bas du 17 février 1983, art. 2, al. 2, de la Constitution suédoise du 28 février 1974, art. 75 de la Constitution polonaise du 2 avril 1997, art. 78 de la Constitution slovène du 23 décembre 1991…], a inséré dans notre charte fondamentale un article 23 promulguant le droit au logement (en compagnie d’autres droits dits économiques, sociaux et culturels tels que le droit au travail, le droit à la santé, le droit à l’épanouissement culturel ou encore le droit à un environnement sain).
Y aurait-il du sens dès lors, en 2012, à plaider pour l’insertion du droit à l’énergie dans la Constitution ? À cet égard, la consécration constitutionnelle du droit au logement a-t-elle apporté une plus-value dans ce combat de longue haleine pour une amélioration des conditions d’habitat et un renforcement de l’accès au logement ? Une modification de texte, dit autrement, a-t-elle le pouvoir de changer les conditions de vie des gens ?
Le caractère « décent » du logement
Certes, le droit à l’énergie ne figure donc pas parmi les droits économiques, sociaux et culturels répertoriés par l’article 23 de la Constitution. Toutefois, ce droit au logement qu’il consacre, le constituant le flanque expressément de l’adjectif « décent ». Or, qui oserait soutenir que l’on vit décemment si l’on ne peut se chauffer ou s’éclairer, par exemple ? Un raisonnement similaire peut être tenu à propos du droit à la santé (inclus lui aussi dans l’article 23), les aliments non cuits – ou non gardés au frigo – représentant une source majeure d’intoxication alimentaire. Il en va de même avec le droit à la dignité humaine (inscrit à l’alinéa premier de l’article 23) : qui pourrait soutenir à cet égard qu’un limitateur de puissance à six ampères permette de vivre dignement ? Il suffit en effet d’allumer deux taques simultanément (ou un frigo et une machine à laver) pour faire sauter les plombs… Raison pour laquelle d’ailleurs les Régions ont relevé le seuil à dix ampères[3.Voir entre autres l’art. 33bis du décret du Parlement wallon du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité, M. B., 1er mai 2001].
En tout état de cause, l’énumération des droits à l’œuvre dans l’alinéa 3 de l’article 23 revêt un caractère non fermé (le législateur doit garantir « notamment » le droit au logement). À l’aune dès lors des exigences environnementales nouvelles, couplées à l’alourdissement très sensible des charges énergétiques, il semble logique de progressivement étoffer en ce sens le portefeuille des droits économiques, sociaux et culturels reconnus par la Constitution, de manière à rester en phase étroite avec les évolutions de la société.
Le débiteur du droit à l’énergie
Qui est débiteur du droit à l’énergie ? Le bailleur peut-il l’être, comme il l’est pour le droit au logement dans certaines circonstances (surseoir à l’expulsion par exemple, ou la retarder tout le moins)[4.Voir entre autres J.P. Audenarde-Kruishoutem, 18 décembre 2008, J.J.P., 2010, p. 348, J.P. Hal, 11 avril 2007, Huur, 2008, p. 212, J.P. Uccle, 16 octobre 2009, inéd., R.G. 09A1628, J.P. Ixelles, 3 décembre 1997, Act. jur. baux, 1998, p. 57, J.P. Florennes-Walcourt, 6 octobre 2009, inéd., R.G. n°09A253, J.P. Uccle, 15 mars 1995, J.J.P., 1997, p. 166, J.P. Uccle, 15 février 1995, J.J.P., 1997, p. 164 et J.P. Uccle, 29 juillet 2010, inéd., R.G. n°10A861.] ? Actuellement, l’obligation qui lui incombe se limite à assurer la présence des équipements adéquats pour permettre la fourniture d’énergie ; il n’en devient pas pour autant un débiteur du droit à l’énergie (sauf dans le cas particulier de la chaudière collective). L’obligation de fourniture minimale pèse en fait sur les épaules des gestionnaires de réseau de distribution. Par ailleurs, les fournisseurs d’énergie ont cette particularité de ne plus être de droit public nécessairement ; cependant l’État conserve la responsabilité de veiller à ce que tous les opérateurs respectent bien les missions de service public qui leur sont affectées, malgré leur éventuel caractère privé[5.Voir notamment l’arrêté du gouvernement wallon du 30 mars 2006 relatif aux obligations de service public dans le marché de l’électricité, M.B., 27 avril 2006, ainsi que l’arrêté du gouvernement wallon du 30 mars 2006 relatif aux obligations de service public dans le marché du gaz, M.B., 27 avril 2006.].
Un rôle plus ou moins similaire s’observe dans le domaine du logement social, où ces sociétés commerciales de droit privé que sont les sociétés de logement[6.La coopérative à responsabilité limitée en Région wallonne par exemple (art. 130, §1er, al. 2, du Code wallon du logement), la coopérative ou la société anonyme en Région de Bruxelles-Capitale (art. 44, §1er, al. 1er, du Code bruxellois du logement) et en Flandre (art. 40, §2, al. 1er, du Code flamand du logement).] remplissent en fait de véritables missions de service public[7.Art. 57, 3°, du Code bruxellois du logement. Cf. également Cass., 10 février 1983, J.J.P., 1983, p. 230, note B. Jadot.], placées sous le contrôle de la Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale (ou de la Société wallonne du logement) comme des juridictions de fond. Et cette finalité d’intérêt général oriente étroitement l’action des SLSP et autres SISP[8.Sociétés de logement de service public et Sociétés immobilières de service public. (NDLR)], jusqu’à restreindre dans une proportion significative la marge d’appréciation contractuelle de ces bailleurs pas comme les autres[9.Ainsi, le bailleur social « ne peut user de ses pouvoirs que dans le but en vue duquel ils lui ont été conférés, une compétence de droit public étant toujours attribuée en fonction de l’intérêt général ». (J.P. Charleroi, 12 janvier 2004, J.J.P., 2006, p. 310).].
Au demeurant, les jugements en matière de droit à l’énergie[10.Civ. Charleroi (réf.), 19 janvier 2000, RGDC, 2000, p. 593, note J. Fierens.] ou de droit à l’eau[11.J.P. Mouscron-Comines-Warneton, 24 mai 2004, R.G.D.C., 2008, p. 272, note A. Vandeburie, J.P. Florennes-Walcourt, 16 septembre 2008, inéd. R.G. n°08A126 et J.P. Florennes-Walcourt, 17 juin 2008, inéd. R.G. n°08A126.] ont tendance à mettre en cause le fournisseur. Et même, dans une décision au moins (détaillée ci-après)[12.J.P. Uccle, 21 avril 2010, inéd., R.G. n°10A396.], c’est le propriétaire de l’immeuble qui a été condamné. Preuve est ainsi faite que, à l’instar du droit au logement, le droit à l’énergie implique bien une certaine horizontalisation.
Utilité d’une consécration constitutionnelle
Il existe déjà certains instruments internationaux qui proclament une forme de droit à l’énergie[13.Voir, sur le plan international, S. Tully, « Access to electricity as a human right », Netherlands Quarterly of Human rights, vol. 24, 2006, p. 557 et suivantes.], dont la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (art. 14.2, h)[14.Résolution 34/180 adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations unies.]. Et, on l’a dit, les droits énumérés par l’article 23 de la Constitution sont non limitatifs. Sans compter qu’on peut faire dériver le droit à l’énergie du droit au logement décent, comme on l’a vu. À cette aune, l’insertion du droit à l’énergie dans notre charte fondamentale se justifie-t-elle encore ?
L’affirmative s’impose, à notre sens, sur la base précisément de l’expérience du droit au logement. Et pourtant, là, la consécration dans la sphère supranationale du droit fondamental en question (le droit au logement) était autrement étendue[15.Art. 25.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 11.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 27.3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, art. 9.1 du règlement C.E.E. n°1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, recommandation n°115 de l’Organisation internationale du travail sur le logement des travailleurs, entre autres. Voir également, pour des instruments postérieurs à l’adoption de l’article 23 de la Constitution, l’art. 31 de la Charte sociale européenne révisée et l’art. 34.3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cf. aussi les résolutions 2004/21, 2003/27 et 2001/28 de la Commission des droits de l’homme des Nations unies sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, ainsi que la résolution 6/27 du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur le même objet. On consultera, enfin, les résolutions 2000/13, 2001/34, 2002/49, 2003/22, 2004/21 et 2005/25 de la Commission des droits de l’homme des Nations unies sur l’égalité des femmes en matière de propriété, d’accès et de contrôle fonciers et égalité du droit à la propriété et à un logement convenable.]. Était-elle pour autant redondante, alors, notre charte fondamentale (puisque le droit supranational est censé primer le droit interne) ?
Nullement. C’est que lesdits instruments internationaux sont loin d’être tous pourvus d’applicabilité immédiate, tandis que les différentes législations internes ne consacrent le droit au logement que de manière indirecte (via une protection accrue du locataire, par exemple). En toute hypothèse, l’inscription même du droit au logement dans la Constitution se justifie sans peine par la portée éducative et symbolique certaine que recèle notre loi fondamentale.
Au demeurant, le droit international ne renferme souvent que des normes minimales. Enfin, une formulation unique, insérée dans l’ordre juridique interne, est davantage accessible aux praticiens du droit qu’une multitude d’instruments internationaux (que le juge a parfois tendance à « oublier »), de même qu’elle relativise l’importance de la discussion quant à la force juridique de ces derniers. Ensuite de quoi un pays comme l’Équateur a pris le parti d’inscrire le droit à l’énergie dans sa Constitution (adoptée par référendum le 28 septembre 2007), comme partie du « droit au bien vivre ». Et, en Belgique, on compte déjà plusieurs propositions en ce sens[16.Voir notamment la proposition de révision de la Constitution déposée le 25 juin 2008 par Mme Camille Dieu et consorts visant à inscrire dans la Constitution belge le droit d’accès à l’énergie, Ch. repr., Doc. parl., sess. ord. 2007-2008, n°1279/001.].
La jurisprudence
Quoi qu’il en soit, depuis que le droit au logement est inscrit dans la Constitution, il fait l’objet d’une appropriation beaucoup plus intense de la part des magistrats qu’auparavant. En matière de droit au logement, une centaine de décisions de justice ont été prises, sur pied de l’article 23 de la Constitution expressément[17.Voir, pour une recension exhaustive, N. Bernard, La réception du droit au logement par la jurisprudence. Quand les juges donnent corps à l’article 23 de la Constitution, Bruxelles, Larcier, 2011.]. Ce dans tous les domaines : en matière civile, pénale, administrative… Et aussi bien dans les juridictions de fond que les juridictions suprêmes.
Très succinctement, il est permis de tirer de cette vaste jurisprudence en matière de droit au logement les quelques enseignements suivants. Tout d’abord, les particuliers (les bailleurs privés, donc, et pas seulement les pouvoirs publics) ont été, eux aussi, commis à la concrétisation du droit au logement[18.Voir supra.]. Si, ensuite, les juges ont imposé des obligations d’abstention (ne pas expulser, par exemple), ils ont également requis des prestations positives, de la part des autorités essentiellement (procurer un relogement par exemple). Par ailleurs, certains magistrats ont prescrit des obligations non seulement de moyens mais aussi de résultat. Enfin, la norme de dignité humaine a fourni aux juges un support argumentatif précieux.
Dans le domaine du droit à l’énergie, force est de constater que la jurisprudence est nettement moins abondante que dans le domaine du droit au logement. Sans doute parce que, précisément, le droit à l’énergie n’est pas inscrit dans la Constitution, lui. Quelques décisions, toutefois, méritent incontestablement l’attention[19.Civ. Charleroi (réf.), 19 janvier 2000, R.G.D.C., 2000, p. 593, note J. Fierens. Voir également J.P. Mouscron-Comines-Warneton, 24 mai 2004, R.G.D.C., 2008, p. 272, note A. Vandeburie, J.P. Florennes-Walcourt, 16 septembre 2008, inéd. R.G. n°08A126 et J.P. Florennes-Walcourt, 17 juin 2008, inéd. R.G. n°08A126. Contra : Civ. Nivelles (XIV) 8 mai 2001, Cah. dr. immo, 2001, n°6, 16.].
Le schéma est souvent le même : il s’agit d’un fournisseur qui fait usage de son exception d’inexécution. Dit autrement, si un contractant n’exécute pas ses engagements, l’autre a le droit de s’abstenir de remplir les siens. En cas de non-paiement, concrètement, le fournisseur interrompt la fourniture. Il arrive cependant que le juge, au nom de la dignité humaine, fasse échec à ce principe.
Mais alors, si des magistrats parviennent déjà à rendre ce type de décisions, pourquoi faudrait-il encore inscrire le droit à l’énergie dans la Constitution ? Parce que, justement, ces jugements assez audacieux sont, pour tout dire, plutôt isolés. Si le juge pouvait, dès lors, s’adosser à un principe supérieur (et la Constitution occupe le premier rang en matière de hiérarchie des normes en Belgique), sa tâche s’en trouverait notablement facilitée.
À cet égard, un jugement récent rendu par la juge de paix d’Uccle mérite un éclairage particulier[20.J.P. Uccle, 21 avril 2010, inéd., R.G. n°10A396.]. Les faits sont les suivants. Une dame, propriétaire d’un appartement, met celui-ci gratuitement à la disposition de son fils et de son amie, lesquels se marient, ont des enfants, puis divorcent, Monsieur laissant le domicile conjugal à Madame. Par la suite, la propriétaire désire se défaire du bien, trouve acquéreur et passe avec lui un compromis de vente stipulant la libération des lieux dans les 75 jours. Ce délai expiré, l’ex-épouse occupe toujours l’appartement, ce qui conduit la propriétaire à interrompre la fourniture d’électricité ; saisi en extrême urgence, le président du tribunal de première instance ordonne le rétablissement de la livraison d’électricité pour une quinzaine de jours.
Par ailleurs, en ce qui concerne la procédure devant la justice de paix, la demanderesse a, par son comportement, « méconnu le principe général d’exécution de bonne foi des conventions » consacré par l’article 1134, al. 3, du Code civil, observe le magistrat. Et, même, la propriétaire se serait livrée à un abus de droit, lequel « existe chaque fois que l’une des parties manque à son devoir de collaboration, de solidarité qui oblige chacune d’elles à faciliter l’accomplissement des engagements nés du contrat, chaque fois qu’elle épuise âprement la prérogative que le contrat lui confère, sans le moindre souci des intérêts de son partenaire »[21.Voir également Civ. Bruxelles, 16 septembre 1987, inéd., R.G. n°159754, confirmé par Cass., 19 février 1990, inéd., R.G. n°8664.]. Quelle ressource cet argument offre-t-il au magistrat ? « Le principe de l’exécution de bonne foi permet au juge d’exercer un contrôle approfondi sur le comportement des parties », explique le juge de paix d’Uccle.
Ainsi, l’interruption unilatérale de la fourniture d’électricité par la propriétaire, décidée « par grand froid », a eu pour effet de « priver sa belle-fille et ses petits-enfants de chauffage, d’éclairage, d’eau chaude et de toute possibilité de préparer des repas, mettant le surgélateur en panne et occasionnant ainsi la perte de son contenu ». À ce titre, le comportement est constitutif d’une « voie de fait » ou d’un « acte de violence » qui appelle réparation pécuniaire par le biais de dommages et intérêts, évalués à 2500 euros. « Les demandeurs, observe le juge, ont fait fi de la dignité humaine, sans le moindre respect pour leur belle-fille et leurs petits-enfants ».
Signalons, par là, que le magistrat assoit sa condamnation à des dommages et intérêts sur le précepte de dignité humaine. Démonstration (supplémentaire) est ici apportée que ce principe matriciel est pourvu d’une valeur normative autonome, qui irradie même au-delà des droits énumérés par l’article 23 de la Constitution puisque le droit à l’énergie n’apparaît nullement au sein de ceux-ci.
Concernant, enfin, le déguerpissement postulé, le juge accorde à l’occupante le droit de demeurer dans les lieux quarante jours encore.
Recours au juge
Un aspect particulièrement interpellant – sinon choquant – de la matière de l’énergie tient, à mon sens, à la possibilité d’interrompre unilatéralement (en Région wallonne) la fourniture d’énergie, sans contrôle judiciaire[22.Voir toutefois, pour la Région bruxelloise, l’art. 20quater, §2, al. 1er, de l’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale, concernant des redevances de voiries en matière de gaz et d’électricité et portant modification de l’ordonnance 19 juillet 2011 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale, M.B., 26 avril 2004, ainsi que l’art. 25sexies, §4, de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale, M.B., 17 novembre 2001.]. Dans la sphère du droit au logement et du droit du bail, ce type de pratique est totalement prohibé. Règne en ce domaine le principe – coulé dans le bronze du Code civil (art. 1762bis) – de l’interdiction de la clause résolutoire expresse. En d’autres termes, la résolution du bail doit impérativement être soumise à l’appréciation d’un magistrat, ce que la Cour constitutionnelle a d’ailleurs rappelé à propos du Wooncode flamand (pour l’occasion, annulé – partiellement)[23.C.C., 10 juillet 2008, n°101/2008.].
À quoi sert l’office du magistrat ? D’abord, à vérifier la véracité des allégations du créancier insatisfait. Ensuite, à mettre la faute du preneur en rapport avec, le cas échéant, le propre manquement du bailleur (c’est peut-être parce que le propriétaire s’est abstenu de réaliser les travaux promis, par exemple, que le locataire a interrompu le paiement du loyer). Enfin, seul un juge peut accorder au débiteur défaillant un délai de grâce pour s’exécuter (1244 du Code civil) ; sans intervention judiciaire, ce genre de démarche d’humanisation est impossible.
Application de la sanction
Il est un autre aspect qui pose question en matière d’énergie : le caractère automatique du placement du compteur à budget ou du limitateur de puissance. Ce caractère automatique et immédiat de la sanction surprend incontestablement, dans une perspective comparativiste avec le droit au logement à nouveau. Ainsi, un arriéré de loyer n’entraîne pas forcément une résolution du bail. On tient compte de l’ampleur de l’arriéré, des efforts faits par le débiteur pour apurer sa dette…
Et non seulement l’application de la sanction est-elle plus souple et proportionnée dans l’orbite du droit au logement, mais elle est aussi plus graduelle. Car si décision de résolution du bail il y a, celle-ci n’interviendra pas ex abrupto. Rien que le fait d’aller en justice nécessite un certain temps. En tout état de cause, la loi sur l’humanisation des expulsions impose, sauf exceptions, un délai d’un mois entre la signification du jugement et l’expulsion proprement dite[24.Art. 1344quater, al. 1er, du Code judiciaire.].
La question hivernale
La période hivernale exacerbe encore, on le sait, les difficultés liées à l’expulsion de logement ou à la coupure de gaz et d’électricité. Le droit au logement constitue-t-il, à cet égard, une source d’inspiration pour le droit à l’énergie ? Pour le coup, la chose n’est pas sûre. C’est que, contrairement à une idée répandue, il n’existe point de moratoire sur les expulsions pendant les mois d’hiver.
Cependant, en ce qui concerne le logement social à Bruxelles, pointons l’existence de la circulaire du 16 novembre 2000. L’expulsion physique n’est pas interdite stricto sensu entre le 1er décembre et le 28 février, mais elle ne pourra être effectuée « que pour des cas exceptionnels » et sera « particulièrement motivée ».
Dans le logement privé, relevons toutefois que la loi d’humanisation des expulsions autorise le juge à allonger le délai (d’un mois entre la signification du jugement d’expulsion et l’exécution de celui-ci) lorsque le locataire « justifie de circonstances d’une gravité particulière, notamment les possibilités de reloger le preneur dans des conditions suffisantes respectant l’unité, les ressources financières et les besoins de la famille, en particulier pendant l’hiver »[25.Art. 1344quater, al. 1er, du Code judiciaire.].
Sur ce plan, le domaine de l’énergie paraît en avance sur la matière du logement puisque les coupures de gaz ou d’électricité sont désormais prohibées en Région bruxelloise du 1er octobre au 31 mars[26.Voir l’art. 20sexies, §6, al. 1er, de l’ordonnance du 1er avril 2004 et l’art. 25octies, §6, al. 1er, de l’ordonnance du 19 juillet 2001.]. Il est d’ailleurs fait usage, à cette occasion, du concept de dignité humaine[27.Art. 20sexies, §6, al. 2, de l’ordonnance du 1er avril 2004 et art. 25octies, §6, al. 2, de l’ordonnance du 19 juillet 2001.].