Politique
Donald Trump et Marine Le Pen
27.12.2015
Aux États-Unis, d’un point de vue historique (montée en puissance de l’État fédéral perçu comme usurpateur et élitiste depuis la révolution américaine), le populisme de « référence » apparait très tôt, dès la fin du XIXe siècle, sous une forme assez « progressiste » avec le People’s Party. Il reviendra régulièrement, souvent « à droite », durant tout le XXe siècle, parfois au sein même du parti républicain et du parti démocrate, et occasionnellement contre ces partis, souvent contre le système, contre « Washington ». Dans un article consacré au populisme aux États-Unis, Pierre Mélandri précisait en 1997 que le populisme « est un discours qui resurgit chaque fois que le “rêve américain” apparaît en danger », et qu’en identifiant « l’immense majorité des Américains, quelle que soit leur occupation, à un noble rassemblement d’hommes ordinaires, il a détourné les pulsions protestataires de la tentation révolutionnaire. Il a substitué à une lutte des classes entre bourgeoisie et prolétaires, un combat entre le “peuple” et les “élites” intellectuelles, politiques, bureaucratiques, industrielles ou financières »[1.P. Melandri, « La rhétorique populiste aux États-Unis », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 56, 1997.]. Si le populisme n’est pas synonyme d’extrême droite, est-il en phase avec la démocratie ou incarne-t-il son contraire, son dérèglement intime ? La question mérite d’être posée car le populisme fait référence en permanence à la démocratie, au peuple et à son autonomie, et à bien des égards, il apparait – ou veut apparaitre – comme le premier défenseur de ce dernier : celui qui veut préserver et protéger la liberté du peuple. Lorsqu’il est perçu comme un discours sincère, au sens où on ne soupçonne pas de la démagogie ou de l’exagération dans le propos, le populisme dénonce un déficit de représentation et prône des techniques alternatives de participation à la chose publique, il semble être en mesure de définir et d’expliquer le déficit démocratique, il interroge la légitimité des élus et propose de remettre le peuple au centre du débat. S’il est sincère et que son discours fait sens, il n’est pas une menace mais une manifestation inhérente à la dynamique démocratique. S’il est jugé sérieux, le populisme est aussi ce discours qui dénonce le vieux rêve de l’élite : gouverner sans le peuple, gouverner sans devoir rendre des comptes en permanence. Et, en ce sens, il n’est pas une menace sur la démocratie mais un appel à plus de démocratie, une mise en garde face à l’accumulation du pouvoir en haut lieu, un rappel de la légitimité populaire face à la légitimité de l’élite. Paradoxalement, avec le temps et beaucoup de patience, Marine Le Pen est parvenue à laisser entendre qu’elle était sincère. Et certains électeurs commencent à y croire vraiment ! Si le populisme fait référence en permanence à la démocratie, au peuple et à son autonomie, on peut aussi le soupçonner de démagogie et douter de sa sincérité. En effet, tout en se positionnant comme un vecteur de démocratie, il peut abuser de ses électeurs en transformant la réalité, en exagérant les menaces, et en créant de toutes pièces des ennemis. Il peut cacher ou nier une réalité sociale ou politique, et réduire les défis à un cadre simpliste ne permettant ni de comprendre la situation, ni d’identifier la cause des problèmes, ni de prendre de bonnes décisions pour l’avenir. Le populisme peut alors générer un imaginaire de plus en plus en rupture avec la scène politique traditionnelle, au risque de guider le peuple par l’émotion et la peur. Si d’aucuns accusent Donald Trump et Marine Le Pen d’appartenir à cette deuxième catégorie de populistes, le premier en est la caricature, alors que la seconde a réussi à introduire le doute, patiemment, 43 ans après la fondation de son parti.