Politique
Dexia (3) : le point, pas encore final…
03.01.2013
Des évidences et des questions
Le gouvernement s’est précipité pour sauver Dexia sans même prendre le temps indispensable d’un audit pour faire toute la clarté sur les avoirs de la banque ! Pour un acte aussi grave, qui engage le pays sur le long terme Jusqu’en 2031 au minimum, certains crédits ayant une maturité avoisinant la fin du XXIe siècle !.., c’est difficilement imaginable… Si on peut comprendre qu’il fallait sauver l’épargne des Belges, fallait-il se précipiter les yeux fermés pour garantir dans la foulée des opérations spéculatives réalisées par des investisseurs peu scrupuleux ? Le gouvernement espagnol, placé dans la même situation par rapport à sa banque Bankia, prend, lui, le temps d’un audit approfondi. Quand le patron de Dexia affirme, la bouche en cœur, à cette même émission, que Dexia est saine à 80%, il parle du bilan de la banque – qui a été ramené de 650 milliards à entre 350 et 400 milliards – mais il ne parle pas des 1500 milliards hors bilan : 1500 milliards de shadow banking (swaps et autres produits structurés) dont Pierre Mariani L’ancien patron de la banque a reconnu qu’il ne savait pas exactement ce que cela valait… Où les responsables politiques des différents partis au pouvoir siégeant au conseil d’administration avaient-ils la tête quand ils ont laissé « Dexia Crédit local » (la part française de la banque) jouer au casino avec l’épargne des Belges ? Pourquoi n’ont-ils pas exigé au minimum que Dexia Banque Belgique se couvre en faisant des prêts sécurisés ? Était-ce de la négligence ? De l’incompétence ou, plus grave encore, de la collusion ?
Mais aussi, comment peut-on laisser des pratiques pareilles se développer ? Comment se fait-il que les normes comptables internationales ne s’appliquent pas au « hors-bilan » ? Et qu’attend-on pour changer urgemment ces règles ? Et puisque l’épargne des Belges est sauvée, pourquoi ne pourrait-on pas – si le recours aboutissait et annulait l’AR octroyant les garanties – laisser crouler Dexia ? Notamment, parce qu’il y a toujours 28 milliards de prêts de Belfius à Dexia alors qu’il avait été dit qu’il ne pouvait plus y avoir et qu’il n’y aurait plus aucun lien entre les deux banques… À quand remonte ce prêt ? Et on le dit « sécurisé » mais on n’en sait pas plus sur le mécanisme de sécurisation. Et pour le reste ? Karel De Boeck, le patron actuel de Dexia indique qu’il y aurait 40 milliards de pertes si on liquidait maintenant. Mais qui sont exactement les autres créanciers de Dexia ? Pourquoi y a-t-il si peu de clarté sur leur identité ? Dans le cadre de la Commission parlementaire « Dexia », des questions ont été posées à ce propos par Georges Gilkinet Parlementaire fédéral écolo , qui n’ont pas reçu de réponses. Est-ce acceptable et cela ne constitue-t-il pas une grave dérive démocratique ? En ayant mis en place ce système de garanties qui risquent d’être activées partie par partie, l’impression que donnent les responsables politiques est d’avoir fait un calcul simpliste, incroyablement risqué et (porteur d’effets) pervers : > simpliste parce qu’il se pourrait qu’ils « spéculent » sur le fait qu’en repoussant l’échéance jusqu’à 2031, ils espèrent que, si crash il y a, ce ne sera plus de leur responsabilité mais de celle de politiques qui vont leur succéder, parce que cela fait immanquablement penser à ce jeu d’enfants où on se refile le « valet puant » qu’il ne faut juste pas avoir dans les mains quand la partie se termine ! > incroyablement risqué parce que, continuant dans la lignée de l’économie « casino », le gouvernement nous vend l’idée que comme Dexia paie à l’État belge des intérêts sur ces garanties, ça pourrait même lui rapporter ! Karel Be Boeck ajouta que cela devrait bien se passer s’il n’y a pas de problèmes avec l’Espagne et l’Italie. Or rien n’est moins sûr, ces États étant sous les fourches caudines de la Troïka dont on voit les effets en Grèce… Et enfin, > pervers car quelle aubaine pour les créanciers spéculateurs de Dexia d’avoir des investissements à risque désormais garantis par un État… Une mise en liquidation du groupe pourrait entraîner des poursuites judiciaires contre les fautifs. Et l’on peut légitimement se demander si les premiers à craindre la faillite de Dexia ne sont pas celles et ceux qui ont une responsabilité dans sa débâcle.
L’exception Arco attaquée
À côté du recours en annulation de l’AR octroyant les garanties de l’État à Dexia introduit par les 3 associations et les 2 parlementaires, plusieurs autres recours ont été introduits : > par des collectivités locales qui estiment avoir été trompées sur les produits bancaires que Dexia Crédit local (France) leur a vendus. À cela, on objectera juste qu’ils auraient dû se poser la question de la nature des investissements qu’on leur proposait au regard du rendement qui leur a été versé les premières années : quoi d’autre que des produits spéculatifs pouvaient offrir de pareils rendements ? > par la Fédération des investisseurs flamands qui a attaqué le traitement différencié appliqué aux personnes qui ont investi leur épargne en parts de coopérateurs dans Arco Arco : groupe d’investissement du Mouvement ouvrier chrétien , Arco ayant ensuite converti ces montants en actions Dexia Au moment où la Bacob a fusionné avec Dexia. Traitement différencié parce que celles-ci étaient passées – au moment de la reprise d’Arco/ Bacob par Dexia – du statut de déposant/coopérateur au statut d’actionnaire (à leur insu ?) et ont donc reçu le même traitement de garantie de leur épargne jusqu’à concurrence de 100 000 euros que les autres épargnants. Le paradoxe est donc que, pour attaquer cet avantage, la Fédération des investisseurs flamands a également emprunté le chemin de l’illégalité de l’AR octroyant les garanties, avec le résultat qu’on sait : l’auditeur du Conseil d’État leur a donné raison et cela devrait apporter également de l’eau au moulin du recours des associations et parlementaires ! Reste évidemment à voir si le Conseil d’État suivra mais c’est généralement la pratique.
Hors bilan
Pour terminer, venons-en aux dernières péripéties en date, à savoir : parce que Dexia a connu une diminution de ses fonds propres en 2012 pour éponger ses pertes, elle pouvait être déclarée en faillite. Pour éviter cela et éviter d’activer les garanties des États, les États belge et français ont alors décidé de recapitaliser la Banque à concurrence de 3,7 milliards. Continuant dans sa logique, le gouvernement belge a tenté d’inscrire cette somme en investissement qui devrait donc « rapporter » à terme. Et il s’est fait rattraper par Eurostat qui considère probablement plus réalistement qu’il s’agit d’une dépense et non d’un investissement ! Moralité : mieux vaut être une banque qu’un État si l’on veut pouvoir faire passer des opérations hasardeuses hors comptes !