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Édito. Défaite de la gauche, la psychologie ne suffira pas

On le voit. On l’entend. On le lit. La période favorise les politiciens et politiciennes sans-tabous. Au XXIe siècle, en régime capitaliste néolibéral, il faut être disruptif pour être intéressant. Ce qui signifie mépriser la loi et les usages sociaux les plus élémentaires.

Comme un retour à la conception d’un supposé « marxisme vulgaire » – suivant lequel la politique serait le simple reflet déformé de réalités économiques plus essentielles, le président du MR, béni par le comportement du saint patron de la Tech Elon Musk, se flatte également de parler vrai contre les bien-pensants, de briser les codes et de changer le système. Mais en soutenant une telle orientation, les membres du parti désormais conservateur et réactionnaire n’en oublient-ils pas en quoi le tabou et les lois peuvent être civilisateurs ?

En attendant, la gauche se plaint. Ce qu’elle fait admirablement. Mais de quoi faut-il se plaindre exactement ? Et qui faut-il blâmer ? Comme nous y met en garde l’historien de la pensée politique Anton Jäger, dans le présent numéro, il s’agit d’éviter le piège de la réduction de la politique à la psychologie – qu’elle soit individuelle ou collective.

Tout comme nous comprenons que les années 1930 ne furent pas simplement le fait de quelques personnalités, mais se caractérisaient par des problèmes sociaux et économiques gigantesques, qui en furent des conditions de possibilité, se plaindre de la situation politique actuelle sans en comprendre les soubassements matériels revient à se plaindre du froid en vivant au pôle Nord. Cela ne change rien. Cela réchauffe à peine.

En attendant, la gauche se plaint. Ce qu’elle fait admirablement.

Il nous faut donc comprendre les enjeux sociaux et matériels profonds qui rendent possible la situation. Je suis persuadé – je ne suis pas le seul –, qu’il n’y aura pas d’autres points de départ pour un renouveau qu’une analyse matérielle sérieuse de la période que nous vivons ; du moins, si nous souhaitons dépasser la déploration pour reprendre le chemin du progrès.

Nous ne pouvons cependant pas attendre d’avoir toutes les données ni toutes les clefs en main pour agir. Nous vivons dans ce monde, si injuste et irrationnel qu’il nous semble parfois. En plus de ce travail de compréhension, dès demain, comme un retour au XIXe siècle, il nous faudra donc résister politiquement à partir des villes et des communes – dossier principal de ce nouveau numéro –, qu’elles soient déjà des bastions ou de nouveaux espaces conquis contre les forces de la réaction.