Politique
Décret mixité à l’école : prendre du recul
16.12.2008
L’emballement de certains médias à propos du décret «mixité-inscriptions» mérite qu’on l’interroge. Qui est concerné ? Quels sont les enjeux cachés ? Pourquoi un tel «bruit» médiatique ? Petit rappel : il s’agit des nouvelles conditions d’inscription des jeunes filles et garçons préadolescents dans une école secondaire. Le souci légitime de leurs parents est que tous ces jeunes trouvent une «bonne» école. Mais qu’est-ce qu’une «bonne» école ? Ne seraient «bonnes» que ces écoles où il y a eu des files de campeurs l’année dernière ? Ou les écoles secondaires où on devra refuser des inscriptions ? Les parents qui ne se bousculeraient pas au portillon de ces établissements seraient-ils des inconscients, des irresponsables peu soucieux de l’avenir de leurs enfants ? Et si on abordait les questions autrement ? Si on partait des filles et des garçons qu’on aime et auxquels on souhaite «le meilleur». Autrement dit : qu’elles/ils grandissent à leur rythme, développent l’ensemble de leurs potentialités et leur riche personnalité, évoluent dans une ambiance conviviale et à taille humaine où l’amitié, la coopération, la créativité et des valeurs humaines imprègnent la vie quotidienne et les contenus d’enseignement. Est-on certain de trouver ce projet comme moteur de tous ces établissements très recherchés ? Inversement, ne trouve-t-on pas ces qualités dans beaucoup d’écoles moins recherchées ? Soyons clairs : le souci bien compréhensible des parents porte sur l’après secondaire. Il faut qu’elle/il ait de très bonnes chances d’accéder à l’Université… et d’y réussir. Qu’on le reconnaisse ou pas, c’est une puissante motivation. Mais c’est une grave erreur de croire que l’inscription ici ou là est une garantie d’accès à l’Alma Mater. Ou que, inversement, la fréquentation d’écoles moins réputées serait un obstacle à cet accès. Chacun en découvrira nombre d’illustrations dans son entourage. Et il ne faudrait pas sous-estimer les souffrances (des jeunes surtout) quand ils vivent pendant 6, 7 ou 8 ans dans un contexte de compétition, de perte de confiance en eux, voire d’échecs. Ajoutons encore que les écoles très recherchées n’offrent presque jamais de sections techniques. On opère une espèce de dévalorisation des études techniques et des métiers manuels. Or on sait que notre pays manque cruellement de techniciens qualifiés. Et on se trompe lourdement quand on pense que ces études sont faciles et que celles et ceux qui ont des difficultés dans l’enseignement général vont réussir aisément en changeant de voie. Les orientations par l’échec ne sont pas bonnes à vivre. C’est dès le fondamental, mais surtout dans les familles, qu’il faut valoriser les métiers manuels et les envisager avec joie comme des orientations possibles pour tous les enfants. N’oublions pas que les réorientations en cours de secondaire s’accompagnent souvent chez le jeune du sentiment de décevoir ses parents, de ne pas avoir pu répondre à leurs attentes à son égard. Passons au «bruit» médiatique. Comment expliquer l’important écho réservé par les médias à la frustration de quelques centaines de parents ? Essentiellement de Bruxelles et du Brabant wallon. Pourquoi en faire tant et tant que d’autres parents commencent à s’inquiéter à leur tour ? Pourquoi contribuer à instaurer implicitement des classements, une hiérarchie des écoles secondaires ? Sur quelles bases ? En fonction de quel projet éducatif et de quel projet de société ? Attention, je suis loin d’être un chaud partisan des décrets Arena. J’ai même écrit et dit plusieurs fois qu’ils étaient contre-productifs. Et je suis aussi choqué par la pratique du tirage au sort (en dernière instance) de la dernière mouture du décret. Même si les intentions sont généreuses. De même je me permets de douter que la plupart des parents «en colère» – et des journalistes qui les relaient avec complaisance – soient de chauds partisans de la mixité sociale. Quoi qu’ils prétendent ! Le plus grave avec cet emballement médiatique, c’est que, une fois de plus, les questions cruciales en matière d’éducation et d’instruction passent à la trappe. Quel projet éducatif pour que TOUS les jeunes deviennent des hommes et des femmes capables de comprendre les bouleversements du monde et de répondre solidairement aux défis de demain ? Quels contenus d’enseignement pour contribuer à ce projet et passionner les élèves ? Quelles relations «familles-écoles»? Quels enseignants et formés comment ? En un mot, quelles sont les valeurs qui servent de boussole à nos options en famille et à l’école ? Voilà quelques-unes des questions qui devraient être au cœur d’un débat permanent porté par les médias. Plutôt que de gonfler les réactions d’une minorité qui dispose des moyens de se faire entendre, plutôt que de se précipiter sur quelques événements spectaculaires, on est en droit d’attendre des médias (en particulier du service public) qu’ils consacrent des chroniques ou des magazines réguliers et solides à toutes les questions qui concernent l’éducation et l’avenir de nos enfants.