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Décoder l’Arizona (3/4) : un néolibéralisme aux accents autoritaires
17.03.2025

Il peut paraître surprenant d’étudier les chapitres de l’accord de gouvernement de Wever relatifs aux départements d’autorité (sécurité, justice, asile et migration, défense) et aux questions éthiques à l’aune de la sociologie du néolibéralisme. Au contraire, libéralisme et autoritarisme ne sont pas aussi contradictoires qu’ils n’y paraissent.
Selon Grégoire Chamayou, le concept de « libéralisme autoritaire » ne relèverait toutefois pas de l’oxymore, mais plutôt du pléonasme1. En effet, la dérégulation économique et l’intensification du contrôle social ne s’opposent pas, mais se nourrissent mutuellement : l’affaiblissement des protections sociales et des régulations économiques – commentées dans les deux parties précédentes2 – se double d’un renforcement des dispositifs de surveillance et de répression.
Sécurité et Justice : entre volonté centralisatrice et Tough on Crime
La plupart des mesures qui composent ce double chapitre sécurité/justice s’inscrivent dans une approche néolibérale sécuritaire, qui repose sur un renforcement des dispositifs répressifs. À côté de certaines avancées significatives (à l’instar de l’amélioration de la position de la victime et de l’investissement de moyens dans la lutte contre la criminalité grave et organisée), l’intonation est ici davantage mise sur le contrôle et l’enfermement plutôt que sur la prévention, la réhabilitation et la réinsertion. De même, le recours aux nouvelles technologies, la numérisation des procédures et la privatisation de certaines tâches sont promus au nom d’une plus grande efficacité, mais s’accompagnent d’une surveillance accrue des justiciables et d’une rationalisation des coûts3, caractéristiques d’une gestion néolibérale de la sécurité4.
Faire de la sécurité une priorité absolue
« Sécurité » est assurément l’un des termes les plus fréquemment épinglés dans cet accord de coalition fédérale, qui affirme comme une « priorité absolue »5 une politique de sécurité claire et intégrée. Ce chapitre présente une stratégie de sécurité axée sur une recentralisation des compétences, une modernisation des outils de surveillance et de contrôle et un renforcement des dispositifs répressifs – comme en témoigne la possibilité offerte aux juges d’exclure les émeutier·es des manifestations comme peine complémentaire6. L’objectif affiché est d’optimiser la coordination entre les différents acteurs de la sécurité tout en intégrant une logique de sanction plus rapide et efficace. Ces intentions illustrent une dynamique de continuité dans le changement, en affirmant la lutte contre le trafic de stupéfiants comme une priorité politique, en favorisant l’extension progressive de la fusion des zones de police7 et en consacrant la « pluralisation du policing »8 comme un modèle de gestion sécuritaire élargi au-delà des forces publiques à travers l’expansion des prérogatives du secteur de la sécurité privée.
L’objectif affiché est d’optimiser la coordination entre les différents acteurs de la sécurité tout en intégrant une logique de sanction plus rapide et efficace.
L’un des axes majeurs du texte concerne la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, avec une intensification de l’action répressive. L’accent est également mis sur la criminalité économique, avec une surveillance accrue des flux financiers et l’amélioration de dispositifs de recouvrement des avoirs criminels (c’est-à-dire les biens, ressources financières et fonds acquis ou utilisés dans le cadre d’une activité criminelle). S’agissant des consommateurs, si des initiatives préventives et curatives sont envisagées, il est aussi prévu de renforcer le système de transaction pénale immédiate, avec des peines plus lourdes pour les consommateurs récidivistes. Par ailleurs, dans le chapitre « Justice », une lutte intensifiée contre la consommation de drogue en détention est également mise en avant9, tout comme la possibilité accordée aux juges d’assortir les interdictions de consommation d’alcool et de drogues d’un dispositif de contrôle via un bracelet électronique10. Une autre manifestation de cette approche sécuritaire réside dans le durcissement des mesures relatives à la délinquance juvénile et aux nuisances au sein de l’espace public, avec une extension renouvelée du recours aux sanctions administratives et une possibilité de fouilles préventives ciblées par la police locale.
L’attention est portée sur la formation policière et la police de proximité, mais aussi sur l’importance d’une police numérique et la modernisation des outils technologiques.
La police occupe une place centrale dans ce chapitre, dont l’un des objectifs est de réorganiser les services de police. Le principe d’une police intégrée à deux niveaux (fédéral et local) est maintenu, mais avec des ajustements structurels des missions. Il est prévu d’augmenter les capacités de la police judiciaire fédérale, notamment dans la lutte contre la criminalité organisée, tout en réduisant le nombre de directions de la police fédérale. Un système d’audit et de responsabilisation basée sur des objectifs quantitatifs est également prévu11. Au niveau local, une fusion volontaire des zones de police est vivement encouragée. Cette possibilité est contraignante en ce qui concerne la Région de Bruxelles-Capitale, où les six zones existantes devront être fusionnées en une seule. Si une attention particulière est accordée à la formation policière ainsi qu’à la police de proximité, l’accord met également en exergue l’importance d’une police numérique et la modernisation des outils technologiques (notamment pour détecter des processus criminels et surveiller les comportements suspects).
Enfin, dans la lignée de l’accord de gouvernement Michel, la collaboration avec le secteur privé est à nouveau incitée, notamment en matière de surveillance et de gestion des flux d’informations. Le texte prévoit ainsi l’élargissement des compétences des sociétés de sécurité privée pour certaines missions actuellement réservées à la police, comme la surveillance de la voie publique, la fourniture de conseils en matière de prévention des cambriolages ou dans le champ de la sécurité routière. Est par ailleurs envisagé un examen des possibilités légales de faire exécuter des tâches qui relèvent, à l’heure actuelle, exclusivement de la police, comme l’exécution des contrôles du domicile, par des fonctionnaires assermentés. De plus, au sein du volet « justice »12, la possibilité de déployer des acteurs privés dans le cadre des missions de surveillance au sein des prisons.
Restaurer la confiance dans la justice, au prix d’une punitivité exacerbée ?
Étroitement imbriqué au précédent, le chapitre dédié à la justice propose une réforme judiciaire qui s’inscrit dans une logique de modernisation, d’efficacité et de contrôle renforcé. Il met l’accent sur la protection des victimes, l’accélération des procédures judiciaires et l’exécution effective des peines (particulièrement privatives de liberté), ainsi que la lutte contre certains phénomènes criminels, tels le terrorisme et la radicalisation. L’amélioration de l’accessibilité et de la transparence de la justice figure également parmi les priorités, avec un effort sur la numérisation, mais aussi la rationalisation des services13.
Rétablir la confiance des citoyen·nes envers le système judiciaire est le mot d’ordre du volet justice de la déclaration gouvernementale, qui promeut l’accompagnement et la prise en charge des victimes, le renforcement de la confidentialité de leurs données ou encore la garantie qu’elles soient informées en priorité des décisions de justice.
En parallèle, la lutte contre la criminalité s’intensifie avec un durcissement des sanctions (dont une possible déchéance de nationalité) dans le cadre d’infractions graves. La politique de tolérance zéro, également relevée dans le chapitre « sécurité »14, est mise en avant pour les violences envers les fonctionnaires (policier·es, enseignant·es, pompier·es) et pour la criminalité organisée. Des peines plus lourdes sont notamment prévues pour les trafiquant·es de drogue (en particulier celles et ceux qui recrutent des mineur·es) et dans le cadre du blanchiment d’argent. Le texte souligne aussi l’importance de la confiscation des biens criminels en vue de réaffecter ces ressources à des fins publiques et sociales, et du suivi de certain·es détenus condamné·es pour terrorisme, avec une surveillance prolongée même après la fin de leur peine.
Rétablir la confiance des citoyen·nes envers le système judiciaire est le mot d’ordre du volet justice de la déclaration gouvernementale.
L’exécution des peines représente un aspect central de ce chapitre, avec un objectif affiché de réduire le sentiment d’impunité et d’éviter que les condamnations ne restent sans effet. La réforme prévoit un contrôle et des délais plus stricts de la libération conditionnelle, notamment pour les récidivistes et les condamné·es pour crimes sexuels. À contre-courant des recommandations européennes et autres études criminologiques15, la construction de nouvelles prisons (par le biais de partenariats public-privé) est à nouveau envisagée, de même que la location de cellules à l’étranger. L’inscription de nouvelles mentions sur les extraits de casier judiciaire délivrés aux particulier·es est également suggérée, creusant le déséquilibre entre mémoire des condamnations et gestion de l’oubli pénal16.
Perçue comme un service, la justice tendrait à adopter une logique entrepreneuriale où l’efficacité et la réduction des coûts pourraient primer sur d’autres dimensions de la pénalité.
Enfin, l’accord envisage l’introduction d’une logique de rentabilisation de la justice, où certaines peines pourraient être monétisées (amendes, confiscations) et où les détenu·es s’étant considérablement enrichi·es au travers de leurs actes criminels pourraient se voir contraint·es de financer une partie de leur incarcération. Perçue comme un service, la justice tendrait ainsi à adopter une logique entrepreneuriale17 où l’efficacité et la réduction des coûts pourraient primer sur d’autres dimensions de la pénalité, davantage axées sur la réinsertion, le traitement et la réhabilitation des délinquant·es ; des finalités de la peine qui contribuent également à la réduction du risque de récidive et, par conséquent, à la préservation de la sécurité collective.
Défense : dépenser n’est pas toujours synonyme d’investir
L’accord de gouvernement consacre neuf pages à la politique de Défense. Ces pages donnent l’impression que la coalition Arizona offre aux militaires bien plus que ce qu’ils n’ont jamais rêvé d’obtenir – sauf, il est vrai, dans le domaine des pensions18. Cette impression est confirmée par l’annonce d’une augmentation des dépenses militaires, et ce alors que des sacrifices sont exigés dans les autres domaines19. Plus précisément, le gouvernement De Wever prévoyait de consacrer 2 % du produit intérieur brut (PIB) aux forces armées à partir de 2029 et 2,5 % en 2034 (contre 1,3 % actuellement). Au début du mois de mars, dans le contexte de la panique entretenue par les décideurs européens sur les questions militaires, Bart De Wever exprimait son ambition d’atteindre les 2 % à l’été 202520. Au surplus, l’accord de gouvernement contient une « shopping list » militaire : il est question d’acheter de nouveaux chasseurs-bombardiers, un navire, des avions de transport, des drones armés et des moyens de défense antiaérienne. Sans surprise, l’invasion russe de l’Ukraine est mentionnée pour justifier ces choix. Mais les auteurs et autrices omettent de préciser que les États européens consacrent déjà des ressources supérieures à la Russie pour leur défense (326 milliards d’euros projetés en 2024, contre environ 137 milliards d’euros en Russie)21. Pour aligner la volonté populaire avec leurs ambitions, l’accord de gouvernement recommande également d’insuffler une « culture de la sécurité ». On peut ainsi y lire que la communication stratégique de la Défense « vise à développer une culture de la sécurité afin d’améliorer la perception qu’a le public de la sécurité et de la défense »22.
Les auteurs et autrices de l’accord omettent de préciser que les États européens consacrent déjà des ressources supérieures à la Russie pour leur défense.
L’accord de gouvernement promeut une politique de défense conservatrice. Les choix de la coalition Arizona s’inscrivent toutefois dans la continuité de ceux des précédents gouvernements. Au sein du gouvernement Michel (2014-2018), le ministre Steven Vandeput (N-VA) avait déjà engagé la Belgique pour des dépenses militaires à hauteur d’environ 9 milliards d’euros, notamment pour l’achat d’avions F-35, de navires, de drones et d’avions de transport. La ministre de la Défense du gouvernement De Croo (2019-2025), Ludivine Dedonder (PS), a davantage mis l’accent sur la gestion du personnel et les retombées industrielles des achats militaires. Pour le reste, elle s’est montrée favorable à un budget de 2 % du PIB et a également engagé la Belgique dans des dépenses militaires substantielles. L’argent consacré aux forces armées est systématiquement présenté par les ministres comme des « investissements »23. Le sens donné à ce terme manque cependant de précision : on ne peut comparer l’acquisition de matériel militaire à une assurance destinée à assurer la paix et la sécurité. Ces dernières découlent bien davantage de la démilitarisation des rapports entre les États – comme en atteste la politique européenne contemporaine24. Pour cette raison, il nous semble préférable d’utiliser le terme de « dépenses ».
L’argent consacré aux forces armées est présenté comme des « investissements » mais on ne peut comparer l’acquisition de matériel militaire à une assurance destinée à assurer la paix et la sécurité.
En définitive, à la lecture de l’accord, la politique de défense de la Belgique semble se résumer à un objectif : plaire à l’OTAN – citée pas moins de vingt-sept fois dans les neufs pages sur la défense et trente-neuf fois dans l’ensemble de l’accord. Cet objectif délimite le périmètre du débat politique, qui se concentre sur les moyens plutôt que sur les fins. Cette situation résulte d’un processus, vieux de plusieurs décennies, de transfert de souveraineté au profit des institutions internationales. Selon Paul Dirkx, ce processus serait la conséquence de la stratégie de la bourgeoisie belge favorable au capitalisme internationalisé et ensuite au néolibéralisme25. Le « culte de l’OTAN », que l’on retrouve dans l’actuel accord de gouvernement, doit être analysé par ce prisme. Certes, l’accord évoque « l’autonomie stratégique » européenne. Toutefois, elle passe au second plan, l’OTAN restant présenté comme « la pierre angulaire de notre sécurité »26. Il n’est pas du tout sûr que les récentes déclarations de l’administration Trump, annonçant un désengagement militaire d’Europe, aient changé la donne. On en voudra pour preuve la volonté du ministre Francken d’acquérir de nouveaux appareils Lockheed Martin F-35. Un tel achat confirmerait la dépendance des forces belges à l’industrie d’armement des Etats-Unis.
Asile et Migration : vers une précarisation organisée
« Afflux excessif de demandes d’asile », « augmentation continue du nombre d’arrivées », « capacités d’accueil […] complètement saturées »27, etc. Dès les premières lignes, l’accord de l’Arizona fixe sa priorité : réduire le nombre de personnes migrantes sur le territoire belge. En réalité, ce texte entérine une série de mesures restreignant l’accès au séjour, aux services sociaux et à la protection, tout en renforçant les dispositifs d’expulsion et de détention. Ce durcissement s’appuie sur une vision économiciste et sécuritaire de la migration, dont le pragmatisme affiché occulte le recul alarmant des droits fondamentaux.
Moins de droits, plus d’économies
Réduction des places dans les centres d’accueil Fedasil, restriction de l’aide médicale d’urgence, instauration d’un stage de cinq ans avant d’accéder au revenu d’intégration sociale : l’accord mise sur l’affaiblissement des droits pour réaliser 1,6 milliard d’euros d’économies d’ici 202928. Parmi les mesures phares, la limitation de la prise en charge des demandeur·euses d’asile à une aide résumée par la formule « le lit, le bain, le pain »29, supprimant la somme hebdomadaire de 9,2 € attribuée aux personnes hébergées en centres et la possibilité d’y travailler (pour 1,9 €/heure). De même, le gouvernement entend mettre fin aux hébergements en chambres d’hôtel et logements individuels, préconisant les centres collectifs. L’enjeu ? Un accueil « sobre »30 et dissuasif, justifié par le mythe de l’appel d’air, pourtant contredit par les travaux de recherche sur les dynamiques migratoires31. L’accord prévoit en outre la fouille systématique des téléphones portables des migrant·es lors de l’examen de leurs demandes d’asile, constituant une violation grave de leurs droits. En cas de refus de coopérer, la demande pourra être d’office rejetée.
Un tournant intégrationniste
La Belgique s’aligne sur ses voisin·es en imposant un test d’intégration aux primo-arrivant·es. Celui-ci conditionnera l’obtention du séjour et de la nationalité, ciblant en particulier les regroupements familiaux (délais rallongés, seuils de revenus plus élevés et nouvelles conditions d’intégration contraignantes). La coalition Arizona embrasse ainsi la perspective de l’intégration civique32, doctrine néo-assimilationniste enjoignant les personnes immigrées à prouver leur adhésion aux « valeurs et normes occidentales »33, en opposition aux leurs, supposément rétrogrades. Par exemple, en exigeant le respect de l’égalité femmes-hommes, le gouvernement reprend l’argument fémonationaliste34 qui consiste à culturaliser l’oppression de genre, et prétendre que la Belgique en est prémunie35. De plus, l’augmentation du coût de la procédure de naturalisation de 150 euros à 1 000 euros pose également question : cette barrière financière instaurera une sélection socio-économique des candidat·es à la citoyenneté, reléguant les plus démuni·es à une résidence précaire prolongée.
Régularisation impossible, détentions et expulsions
L’accord refuse toute régularisation collective et restreint drastiquement la régularisation individuelle, qui devient une « exception absolue »36. Le message est clair : les personnes en situation irrégulière doivent être dissuadées de rester sur le territoire. Cette absence de perspective de régularisation plonge de nombreux sans-papiers dans une précarité durable. Et alors que l’accord réduit les capacités d’accueil, il prévoit en revanche de doubler celles des centres fermés, confirmant un choix politique qui privilégie la détention à la protection. L’expulsion devient une « priorité absolue »37, avec un usage élargi des perquisitions domiciliaires pour exécuter les Ordres de Quitter le Territoire. Ce glissement assumé vers une criminalisation du séjour irrégulier s’aligne sur les recommandations européennes en matière de retour, mais entre en contradiction avec les principes du droit international.
En conclusion, l’accord de l’Arizona priorise la réduction des flux migratoires au détriment des engagements humanitaires. En restreignant l’accueil, en criminalisant davantage les migrations, et en rendant l’accès aux services sociaux et sanitaires plus difficile, le gouvernement adopte une politique sécuritaire et dissuasive, au risque de fragiliser encore davantage des populations déjà vulnérables.
Questions éthiques : en Arizona, la traversée du désert pour le droit à l’avortement et les contre-pouvoirs
Le chapitre « Questions éthiques », qui ne couvre pas l’ensemble des mesures en matière éthique, disséminées dans plusieurs sections, tient en moins d’une page dans l’accord de gouvernement38, malgré le fait que ces questions ont été particulièrement saillantes lors des dernières législatures. L’accord de gouvernement prévoit ainsi la suppression de l’anonymat des donneurs de sperme et des donneuses d’ovocytes, l’introduction de l’accouchement « discret », l’élaboration d’un cadre législatif pour la maternité de substitution altruiste de haute technologie, l’interdiction de la gestation pour autrui à des fins lucratives, ou encore l’élargissement possible de la déclaration anticipée pour l’euthanasie des patient.es atteint.es de démence.
En revanche, les avancées en matière de droit à l’avortement sont mises au frigo. Alors que l’Arizona (l’État américain) abrogeait le 2 mai 2024 une loi interdisant l’IVG, l’Arizona belge annonce vouloir « poursuivre le débat » sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) – un débat qui ne date pas d’hier et qui a déjà stagné sous le gouvernement Vivaldi face à l’opposition du CD&V à une extension de l’IVG ou à sa dépénalisation totale.
Comme en 2020, le CD&V a conditionné sa participation à une coalition gouvernementale à la non-extension du délai de grossesse avant avortement à dix-huit semaines.
Petite nuance cependant : la coalition Arizona prévoit la modification de la législation sur l’avortement « après consensus au sein des partis de la majorité »39, après un débat sur la base du rapport du comité d’experts chargé en 2023 d’émettre des recommandations afin d’améliorer l’accès à l’avortement – sans toutefois plus de précision et sans qu’aucune de ces recommandations ne se retrouve dans l’accord. Or, deux partis de la coalition (la N-VA et le CD&V) s’opposent aux recommandations de ce comité, et en particulier à l’extension du délai pour pratiquer une IVG à dix-huit semaines (contre douze actuellement). Comme en 2020, le CD&V a d’ailleurs conditionné sa participation à une coalition gouvernementale à la non-extension du délai de grossesse avant avortement à dix-huit semaines40. Leurs partenaires de coalition auraient-ils convaincu ces deux partis d’accepter une possible modification de la loi sur l’avortement ? Pas si vite… En septembre dernier, durant les négociations relatives à la formation du gouvernement Arizona, Les Engagés, le MR et Vooruit ont accepté de reporter à plus tard le débat sur l’IVG en vue de faciliter la conclusion d’un accord avec les deux partis flamands41.
Ce report revient alors, in fine, à suivre la ligne conservatrice du CD&V et de la N-VA. Cela marque un pas de côté de la part du MR et de Vooruit, dont les positions sur ces enjeux étaient jusque-là plutôt libérales. En résumé, les priorités des femmes ne seront pas les critères qui guideront la politique fédérale.
L’accord énonce par ailleurs la volonté de confier à la Cour des comptes le soin de mener un audit de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes.
En revanche, l’accord de gouvernement laisse penser à un consensus des partis de la coalition autour de mesures affectant les institutions d’égalité. En effet, l’accord énonce la volonté de confier à la Cour des comptes le soin de mener un audit de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) ou encore de diminuer d’un quart le financement d’UNIA, l’institution interfédérale de lutte contre la discrimination et pour l’égalité. Le définancement d’entités publiques qui travaillent à une meilleure égalité entre les genres et luttent contre toutes les discriminations, qui doit se comprendre à l’aune de la politique budgétaire austéritaire du nouveau gouvernement42 induit, in fine, un désengagement (financier et symbolique) croissant des pouvoirs publics vis-à-vis de ces enjeux.
Cet affaiblissement d’entités constituées comme des contre-pouvoirs au pouvoir exécutif belge signale un glissement de l’État belge vers un mode de gouvernement moins enclin à composer avec les considérations de la société civile.
Ce désengagement pourrait avoir des conséquences néfastes pour l’égalité de genre, comme une stagnation, une invisibilisation, voire une régression de l’égalité de genre, des politiques de gendermainstreaming et des droits reproductifs et sexuels43. Cet affaiblissement d’entités constituées comme des contre-pouvoirs au pouvoir exécutif belge signale en outre un glissement de l’État belge vers un mode de gouvernement moins enclin à composer avec les considérations de la société civile – et a fortiori les considérations progressistes ou féministes.
EN RÉSUMÉ
Les réformes en matière de sécurité et de justice analysées par Vincent Seron illustrent parfaitement la double dimension du néolibéralisme autoritaire : le durcissement des politiques sécuritaires et répressives (renforcement et recentralisation des capacités policières, alourdissement des peines, politique de « tolérance zéro », etc.) s’accompagne d’une « rationalisation » et d’une privatisation accrues de ces fonctions régaliennes : recours étendu aux entreprises de sécurité privée, construction de prisons en partenariat public-privé, approche entrepreneuriale de la Justice, monétisation des peines, etc.
Christophe Wasinski soutient pour sa part que, sous couvert d’autonomie stratégique, la politique de défense belge est avant tout guidée par une dynamique de renforcement des dépenses militaires au service des logiques transatlantiques. L’appartenance à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) structure en d’autres termes les choix budgétaires, stratégiques et économiques du gouvernement De Wever44. Ce réinvestissement massif dans l’appareil militaire traduit une vision néolibérale de la défense, où l’État assume son rôle de garant des infrastructures stratégiques de l’économie globalisée.
La politique d’asile et de migration de la coalition Arizona est placée sous le signe de la réduction du nombre migrant.es en Belgique. Selon Juliette Dupont et Youri Lou Vertongen, ce durcissement traduit une vision économiciste, sécuritaire et intégrationniste de la migration. Sous couvert de pragmatisme, cette politique met en danger le respect des droits fondamentaux et induit une précarisation organisée d’une population déjà vulnérable.
Examinant les politiques éthiques, Ariane Gemander et Romain Biesemans soulignent enfin la stagnation du débat sur l’avortement au sein de l’arène gouvernementale, qui témoigne d’un désengagement de l’État vis-à-vis des droits sociaux. La mise sous tension des institutions fédérales de lutte contre les inégalités reflète, selon nous, une dynamique plus large « d’insularisation et de verticalisation de la décision souveraine »45, également illustrée par l’affaiblissement d’autres contre-pouvoirs, à l’instar des syndicats et des mutualités46.