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Décoder l’Arizona (2/4) : la marchandisation accélérée de la Sécurité sociale
17.03.2025

Les réformes de la sécurité sociale et de l’emploi contenues dans l’accord de gouvernement De Wever prolongent le processus de néolibéralisation amorcé depuis plusieurs décennies, tout en accélérant certaines de ses caractéristiques typiques : re-marchandisation des protections sociales, individualisation des risques, recours accru aux marchés financiers et redéfinition du rôle de l’État social.
La plupart des réformes annoncées dans l’accord gouvernemental, présentées comme « structurelles », portent la marque des économies budgétaires souhaitées par la coalition Arizona, auxquelles elles sont appelées à apporter une contribution importante. À elles seules, elles supportent environ deux tiers des efforts annoncés : 8,2 milliards d’euros d’économies et presque autant (7,9 milliards d’euros) « d’effets retour » supposés découler de la hausse espérée du taux d’emploi.1
Marché du travail et lutte contre la pauvreté : le redéploiement de l’État social actif
Le néolibéralisme n’a pas épargné les politiques sociales ; au contraire, c’est probablement l’un des champs où son empreinte est la plus perceptible. La réaction politique aux ruptures économiques des années 1970 a initié une trajectoire sur laquelle nous nous trouvons encore. Face à l’augmentation du chômage et à la montée des prix, les recettes néolibérales ont plaidé pour une réorientation radicale du modèle d’État social vers la re-marchandisation du travail. Sur le plan du droit du travail, cela a pris la forme d’une « flexibilisation » croissante des dispositifs de protection et des travailleurs : aligner « l’offre de travail » sur la « demande » du marché justifie d’importantes dérogations. En matière de sécurité sociale, cela s’est traduit par le basculement vers l’État social actif, lui aussi mis au service du marché2 : il sanctionne, incite et prépare les allocataires à réintégrer le marché du travail au plus vite, après les avoir rendus « employables », faisant progressivement basculer le risque social assuré collectivement sur les épaules d’individus « activés ». Ces choix provoquent le basculement d’une partie du corps social dans la pauvreté.
Le programme gouvernemental marque un renforcement radical du modèle de l’État social actif en poussant plus loin le curseur du redéploiement de l’État social.
Au cours des dernières années, le modèle allemand s’est imposé. Les réformes menées par Gerhard Schröder entre 2003 et 2005 comportaient trois volets interconnectés : (1) une réforme du système d’indemnisation du chômage, limitant sa durée à douze mois, (2) une modernisation de l’assistance – soumise à une activation et un contrôle renforcés – destinée à accueillir tous ceux qui n’auraient plus accès aux allocations de chômage et (3) une flexibilisation du marché du travail avec, notamment, la création de « mini-jobs » à bas salaires.
En dépit d’initiatives antérieures3, une réforme d’une telle ampleur n’avait pas encore été possible en Belgique. Le programme du gouvernement De Wever marque un renforcement radical de ce modèle en poussant plus loin le curseur du redéploiement de l’État social. Il précise sans ambiguïté que seule une politique de mise à l’emploi pourra « mettre fin à la pauvreté générationnelle » et « assurer la pérennité de notre sécurité sociale »4. Pour comprendre le sens de cette réforme du modèle social belge, il faut donc saisir ensemble les politiques de chômage, d’emploi et de lutte contre la pauvreté. Ce texte propose dès lors l’analyse consécutive de la réforme des allocations de chômage, des modifications en matière de contrôle des allocataires sociaux et de la flexibilisation accrue du marché du travail.
L’assurance-chômage : re-marchandisation des travailleurs à tout prix
L’Arizona va limiter à deux ans les allocations de chômage, jusqu’alors illimitées. Par ailleurs, l’exécutif annonce un renforcement des contrôles et des sanctions, en concertation avec les entités fédérées, pour faire du chômage « un instrument d’activation du marché du travail »5. Cette évolution n’est pas en complète rupture avec le passé : la réforme des allocations adoptée par le gouvernement Di Rupo affaiblissait déjà la distinction entre assurance (chômage) et assistance pour les chômeurs de longue durée, notamment en limitant à trois ans les allocations d’attente des jeunes sortant des études. Pour les autres bénéficiaires, l’introduction d’une dégressivité a conduit à pratiquement aligner au bout de quatre ans les allocations de chômage et le revenu d’intégration versé par les CPAS.
Cette évolution n’est pas en complète rupture avec le passé.
La réforme actuelle pousse cette dynamique plus loin. La limitation de la durée de perception des allocations de chômage aura d’importantes conséquences pour les politiques d’aide sociale puisque ces chômeurs de longue durée (132.000 en 2024, dont 63.000 ont plus de 50 ans) se retrouveront, pour une partie, à la charge des CPAS. Pour une partie seulement car les prestations du CPAS sont soumises à une condition de ressources, ce qui exclura une part significative des cohabitants (en majorité des femmes), mais aussi d’autres catégories6. Pour toutes ces personnes, la limitation des allocations dans le temps entraînera un appauvrissement et une précarité importants.
L’aide sociale perd son caractère résiduaire, à moyens inchangés
En Belgique, les vingt dernières années ont été marquées par une reconfiguration progressive des rapports entre assistance et assurance : d’un filet résiduel, l’assistance devient, petit à petit, un système intégré à une politique sociale restrictive. L’extension des filets du CPAS vient combler les effets d’une dérégulation du marché du travail et d’un affaiblissement des garanties de sécurité sociale. Cette nouvelle approche du social, typiquement néolibérale, devient alors une « partie intégrante d’une politique sociale de type résiduel »7.
Le transfert de charges vers les CPAS (dont l’ampleur reste à déterminer) implique de nouveaux défis pour l’assistance. L’un des enjeux traversant la note est la question de la mise à l’emploi. Cet axe est toutefois en décalage avec la mission historique de l’aide sociale, qui n’est pas la mieux outillée, ni financée pour l’accompagnement vers l’emploi. L’accompagnement individualisé coûte cher et la charge de travail des CPAS qui seront les plus affectés est en forte croissance depuis de nombreuses années. L’afflux de demandeurs va se reporter sur les finances des communes les plus pauvres, avec de grandes disparités régionales. La mesure impactera donc le budget des communes (et, à terme, des Régions). À ce stade, l’accord mentionne que l’afflux supplémentaire de bénéficiaires du revenu d’intégration sera compensé par une augmentation du financement fédéral8. Celle-ci sera cependant conditionnée par la conclusion d’un projet individualisé d’intégration sociale (PIIS).
Il est peu probable que des CPAS, dèjà surchargés, pourront assurer un accompagnement individualisé et adapté à ces nouveaux chômeurs de longue durée.
Au regard des conditions de travail actuelles dans les CPAS, on peut en outre craindre qu’une telle compensation soit loin d’être suffisante. Les problèmes de fraude récemment mis au jour au CPAS d’Anderlecht sont le fait du nombre trop élevé de dossiers à gérer par chaque assistant. Il est donc peu probable que des CPAS, déjà surchargés, pourront assurer un accompagnement individualisé (PIIS) et adapté à ces nouveaux chômeurs de longue durée. Si cette transformation du rôle de l’assistance fût au cœur du modèle allemand, l’accord Arizona n’offre pas de perspectives concrètes pour permettre aux assistants sociaux d’endosser ce type de travail. Il prévoit cependant la « responsabilisation » des CPAS par la mise en place d’un système d’incitation/pénalisation financière. En d’autres termes, une tutelle budgétaire fédérale exercée via des indicateurs de résultats risque de s’appliquer aux CPAS eux-mêmes.
Dans une approche marquée par la défiance à l’égard des bénéficiaires, cette tutelle inclura par ailleurs un contrôle plus strict de « l’état de besoin » des allocataires, pour orienter l’aide vers « ceux qui en ont vraiment besoin »9. Cela entraînera des pratiques beaucoup plus intrusives (contrôle des extraits de compte, propriété ou non d’un logement, gestion du budget de l’allocataire, etc.). Le ministère de l’intégration sociale étant confié à la N-VA, on peut s’attendre à une volonté d’étendre les pratiques du CPAS d’Anvers sous Liesbeth Homans au reste du pays10.
Cette approche marquée par la défiance à l’égard des bénéficiaires entraînera des pratiques beaucoup plus intrusives.
Les marques de l’État social actif sont ainsi partout perceptibles : compensation financière sur base individuelle conditionnée par la contractualisation et incitants financiers à destination des CPAS pour qu’ils se montrent efficaces dans leur mission de réintégration vers le marché, évaluée sur la base de seuls indicateurs chiffrés ; renforcement du pouvoir central sur les administrations locales ; modèle de défiance et de contrôle sur les administrés, au mépris du respect de leur vie privée.
L’(hyper)-flexibilisation du marché du travail
Poussés en dehors des régimes de sécurité sociale devenus transitoires, inadaptés ou insuffisants, les travailleurs et travailleuses sont forcé·es de se tourner vers l’emploi disponible, quelle que soit sa qualité. C’est une logique quantitative et d’adaptabilité aux besoins des employeurs qui est privilégiée, dans la droite ligne des mesures adoptées depuis trente ans, et accélérées sous le gouvernement Michel. Parmi l’ensemble des mesures visant à aligner l’offre de travail aux « besoins économiques », nous identifions ci-dessous trois tendances accentuées : la fin du tiers temps minimal pour le travail à temps partiel, le développement des flexi-jobs et du travail étudiant et la marginalisation des interlocuteurs sociaux. À chaque fois, ce qui était conçu comme l’exception (la flexibilité) devient la règle.
Le contrat à temps plein perd son statut de norme de référence.
Aujourd’hui, le travail à temps partiel ne peut porter sur une durée inférieure à un tiers de celle du travail hebdomadaire d’un temps plein, ce qui constituait une protection contre l’emploi intermittent et précaire. Le Gouvernement propose de supprimer cette règle. Le contrat à temps plein perd ainsi son statut de norme de référence. L’idée selon laquelle l’exercice d’un seul emploi devrait permettre au travailleur de subvenir à ses besoins est, elle aussi, abandonnée. La mesure touchera durement les femmes, majoritaires dans les emplois à temps partiel.
L’accord prévoit le déploiement généralisé des flexi-jobs – auparavant limités à quelques secteurs – et l’augmentation du revenu annuel et du salaire horaire maximums des flexi-jobbeurs. De plus, l’interdiction d’exercer un flexi-job auprès de son employeur principal sera levée pour les travailleurs à temps plein. Le plafond annuel d’un étudiant jobiste est quant à lui porté à 650 heures, tandis que l’âge légal est descendu de seize à quinze ans. Cette évolution renforce la tendance vers la création de statuts sociaux dérogatoires, partiellement défiscalisés et désocialisés. Elle provoque de multiples effets délétères : concurrence avec l’emploi « standard » protégé, qui déstructure le salariat et induit un risque de glissement vers le moins-disant social, réduction du financement de la sécurité sociale, difficultés d’articuler l’emploi « à la demande » avec la vie privée des travailleurs ou leurs obligations étudiantes, etc.
Le rôle primordial attribué aux syndicats et au patronat dans le modèle de démocratie sociale d’après-guerre est fondamentalement revu.
Enfin, le gouvernement entend baliser encore davantage le pouvoir des interlocuteurs sociaux, en cantonnant leur rôle à la formulation d’avis et de propositions. Leur autonomie collective est mise à mal par la généralisation du principe selon lequel, en l’absence d’accord des interlocuteurs dans un délai prédéterminé, le gouvernement se réserve le droit de décider. Par ailleurs, le gouvernement pourra refuser d’étendre les accords conclus en comité de gestion de la sécurité sociale jugés incompatibles avec le « parcours budgétaire pluriannuel »11. Le rôle primordial attribué aux syndicats et au patronat dans le modèle de démocratie sociale d’après-guerre est ici fondamentalement revu12.
Ces mesures dévoilent un véritable redéploiement de l’intervention publique visant à contraindre les individus à se conformer aux attentes du marché et aux nouvelles formes d’organisation du travail.
En synthèse, ces réformes annoncées sont représentatives de la manière dont le néolibéralisme transforme notre modèle social en instrument de discipline au service des impératifs d’un marché du travail « modernisé » et « compétitif ». La restriction des allocations de chômage, l’activation accrue dans l’assistance et l’hyper-flexibilisation du droit du travail ne relèvent pas d’un simple ajustement économique : elles dévoilent un véritable redéploiement de l’intervention publique visant à contraindre les individus à se conformer aux attentes du marché et aux nouvelles formes d’organisation du travail13. Comme relevé pour le cas américain, « les néolibéraux n’ont pas démantelé l’État interventionniste ; ils ont adopté son autorité tout en cherchant à la rediriger et la transformer »14. Plus qu’une simple réforme des règles du travail, la re-marchandisation des relation de travail qui en résulte vise à assurer l’autorité de l’entreprise en instaurant un cadre normatif qui produit des travailleurs non seulement contraints d’être « employables », mais également disposés à l’obéissance.
Pensions – S’inspirer du privé : harmonisation (à la baisse) des régimes de retraite et fonds de pension
La réforme des retraites du Gouvernement De Wever prolonge et accentue la trajectoire néolibérale empruntée par la plupart de ses prédécesseurs depuis les années 1990. Elle s’articule autour de trois axes majeurs : l’alignement du régime des fonctionnaires sur celui des salarié.es du secteur privé, la conditionnalité accrue des droits à la pension et la stimulation de la pension complémentaire.
Les modalités de calcul du montant de la pension des fonctionnaires sont alignées sur le privé.
Premièrement, les dépenses publiques sont réduites via un alignement (à la baisse) du régime des fonctionnaires sur celui des salarié·es15. Cet alignement – ou « harmonisation » – concerne l’âge de la retraite des militaires et du personnel de la SNCB (progressivement relevé de 55 à 67 ans)16, les conditions pour la retraite anticipée (durcies) et la pension pour inaptitude physique (supprimée). Les modalités de calcul du montant de la pension des fonctionnaires sont également alignées sur le privé : la part du revenu qui constitue la pension est réduite à 1/60 et n’augmentera plus, tandis que la croissance du montant de la pension sera réduite (fin de la péréquation). De plus, le revenu à partir duquel la pension des fonctionnaires est calculée n’est plus la moyenne des revenus des dix dernières années de la carrière, mais celle de l’ensemble de la carrière – à l’instar du secteur privé. Ce premier axe est supposé entraîner une réduction des dépenses de 1,9 milliard d’euros à l’horizon 2029, soit 80 % des réductions estimées pour la réforme des pensions17.
Pour désinciter les pensions anticipées, le montant de la pension sera réduit d’un malus.
Deuxièmement, cette réforme introduit des incitants à l’emploi, via une conditionnalité accrue des droits à la pension18. Des « prestations de travail effectives » devront être démontrées pour obtenir la pension minimum, mais aussi pour accéder à une retraite anticipée. En parallèle, est restreint le périmètre des périodes non travaillées qui sont « assimilées », c’est-à-dire qui sont prises en compte pour le calcul de la pension. Pour désinciter les pensions anticipées, le montant de la pension sera réduit d’un malus (de 2 % par année d’anticipation, progressivement augmenté à 4 %, puis 5 %). À l’inverse, pour inciter les Belges (y compris les fonctionnaires) à prolonger leur emploi au-delà de l’âge légal, un bonus symétrique gonflera la pension. Un régime de « pension à mi-temps » est enfin envisagé afin de « permettre à tous les travailleurs âgés de 60 ans ou plus de percevoir la moitié de leur pension tout en continuant une activité à mi-temps »19.
Troisièmement, le gouvernement vise à développer la pension « complémentaire », qui repose sur la capitalisation20. D’une part, une pension complémentaire sera introduite pour les fonctionnaires. D’autre part, la pension complémentaire des indépendant·es sera favorisée par des incitants fiscaux et celle des salarié·es par l’invitation des partenaires sociaux à « examiner la manière dont les pensions complémentaires peuvent être renforcées »21, notamment via une contribution patronale d’au moins 3 %.
En synthèse, cette réforme des pensions prolonge la trajectoire belge de néolibéralisation, au moins sur deux plans : la stratégie de « pathologisation » du régime des fonctionnaires et la privatisation des pensions. Sur le premier plan, elle poursuit le renversement néolibéral : les droits acquis par les fonctionnaires ne représentent plus la voie du progrès social à suivre via leur généralisation aux salarié·es du privé, mais un « privilège » indu et insoutenable22. L’ambition de « démarchandiser » ces revenus cède dès lors le pas à la restriction des droits à la pension (« remarchandisation »)23. Telle était déjà la direction suivie par le Gouvernement Michel dans son « harmonisation » des régimes de retraite (par exemple, via la suppression de la bonification pour diplôme des fonctionnaires).
En Belgique, la pension complémentaire peine à se développer, notamment en raison de la large diffusion de la propriété immobilière.
Sur le second plan, cette réforme constitue une nouvelle tentative d’entériner la « doctrine des piliers ». Cette doctrine, promulguée par la Banque mondiale en 1994, considère la pension légale comme une composante partielle de la retraite, qui demande à être complétée par d’autres « piliers » privés : la pension complémentaire et l’épargne-pension individuelle. Son succès, tant rhétorique que macroéconomique, a permis l’expansion d’un pan de l’industrie financière, désormais mandatée pour suppléer les États24. En Belgique, malgré les incitants adoptés par la plupart des gouvernements depuis 1995, la pension complémentaire peine toutefois à se développer, notamment en raison de la large diffusion de la propriété immobilière25. Le Gouvernement De Wever poursuit les tentatives de renforcer cette pension par capitalisation, destinée à combler les « insuffisances » de la pension légale – qui découlent elles-mêmes des mesures d’économies adoptées par les gouvernements précédents.
Santé : la continuité dans un cadre budgétaire contraint
Le chapitre « santé » est l’un des plus longs de l’accord. Le Gouvernement y souligne plusieurs défis pour notre système de santé : population vieillissante, croissance des maladies chroniques et problèmes de santé mentale. Cette augmentation de la demande de soins se confronte toutefois à des marges budgétaires restreintes26. Les pénuries de personnel soignant et la fragmentation des compétences en matière de santé sont également pointées. Contrairement au volet activation des malades de longue durée de l’accord, qui prévoit notamment la responsabilisation des différentes parties prenantes (malades, employeurs, mutuelles, médecins, etc.) ou encore la facilitation du licenciement pour raisons médicales, s’agissant de politique de santé, le nouveau gouvernement présente de nombreuses ambitions, mais développe peu de mesures concrètes. Le projet de la coalition s’inscrit, en conséquence, largement dans la continuité de la politique menée précédemment par la Vivaldi et porte la marque de Frank Vandenbroucke, reconduit comme ministre de la Santé publique.
Le nouveau gouvernement présente de nombreuses ambitions, mais développe peu de mesures concrètes.
Trois réformes majeures s’inscrivant dans la continuité des législatures précédentes seront poursuivies.
Premièrement, si le Plan interfédéral soins intégrés, élaboré en 2023, reste une feuille de route pour réduire la fragmentation des soins et favoriser une meilleure collaboration entre professions de l’aide et du soin, l’accord du nouveau gouvernement prévoit désormais la possibilité d’une mise en œuvre différenciée par les entités fédérées. Sans formellement remettre en cause la solidarité nationale, cette mesure marque un pas de plus vers la régionalisation des soins de santé. Jusqu’à présent, les politiques de santé financées par l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI) s’appliquent uniformément à l’ensemble du pays, bien que la gestion des soins ait été transférée aux entités fédérées lors de la sixième réforme de l’État. À l’avenir, certaines régions pourront cibler des pathologies ou enjeux spécifiques et y affecter des financements conjoints du fédéral et des entités fédérées. Cette évolution risque toutefois d’accentuer les disparités régionales, la Flandre disposant de moyens plus importants pour investir dans son système de santé et déployer des politiques ciblées.
Le paiement à la performance, s’inscrivant dans une logique de nouveau management public, reprend des indicateurs de structure et de résultat.
Une autre réforme cruciale concerne le financement des hôpitaux, qui reposera sur deux piliers : une base forfaitaire (liée à la pathologie traitée), nouvelle, et une partie liée à la « performance ». Le paiement à la performance, lancé en 2018 et s’inscrivant dans une logique de nouveau management public27, reprend des indicateurs de structure (par exemple, une accréditation « qualité et sécurité » par une société privée) et de résultat (par exemple, le rapport entre mortalité observée et mortalité attendue). La finalité poursuivie est d’avoir un système de financement plus lisible, de limiter la « surconsommation » de soins liés au financement à l’acte et d’uniformiser les prises en charge. Le mixte forfait/performance pourrait toutefois induire une mise en concurrence des hôpitaux, dont les patientèles ne sont pas similaires : un hôpital dans un quartier pauvre fait face à des cas plus complexes à traiter qu’une institution attirant des patients aisés (présentant moins de comorbidités et de besoins socio-sanitaires)28. Le gouvernement entend également « rationaliser » l’offre de soins sur une base territoriale, via les réseaux hospitaliers développés à l’initiative de la ministre Maggie De Block (2014-2020). Il s’agit concrètement de fermer des services qui coexistent à proximité et de privilégier les structures qui reçoivent le plus de patients.
Si la santé mentale fait l’objet d’une attention nouvelle et significative, le chapitre brille par certaines absences.
Toujours en termes de financement, la « norme de croissance » des soins de santé est maintenue par le gouvernement Arizona. Cette mesure permet au budget des soins de santé d’augmenter plus vite que l’inflation pour faire face à l’augmentation de la demande de soins, principalement due au « vieillissement » de la population. Il est prévu que cette norme de croissance, actuellement établie à 2,5 %, baisse à 2 % avant de remonter jusqu’à 3 % en 2029. Ces chiffres sont toutefois inférieurs à la croissance annuelle moyenne des dépenses de soins de santé prévue par le Bureau du plan (3,2 %)29. Se situer en dessous de ce chiffre signifie donc ne pas répondre à l’intégralité de l’augmentation prévue des besoins.
La « norme de croissance » des soins de santé permet au budget d’augmenter plus vite que l’inflation pour faire face à l’augmentation de la demande de soins.
Si la santé mentale fait l’objet d’une attention nouvelle et significative, le chapitre brille par certaines absences. Il en est ainsi des coûts liés aux nouveaux médicaments et technologies, vendus des entreprises privées et qui représentent une part significative de l’augmentation du budget des soins de santé, mais qui ne font pas l’objet d’une attention claire ni de mesures définies. Enfin, l’accord mentionne la notion de « santé dans toutes les politiques » (health-in-all policies)30 et il conviendra d’évaluer les effets d’un ensemble de mesures prévues par le gouvernement sur la santé physique et mentale de la population et les inégalités sociales de santé : le recul de l’âge de la pension31 et les dispositions relatives au marché du travail (travail de nuit, restriction de certaines prestations sociales, remise au travail des malades de longue durée, etc.)32 auront, à n’en pas douter, des impacts majeurs sur la santé de la population33.
EN RÉSUMÉ
Les trois sections de cette partie se présentent comme suit. Daniel Zamora, Thomas Douillet, Auriane Lamine et Pascale Vielle analysent tout d’abord la reconfiguration du triptyque chômage, lutte contre la pauvreté et marché du travail. Ils et elles soulignent une accentuation claire de trois tendances fondamentales : l’orientation de l’assurance-chômage vers le retour au marché, la perte du caractère résiduaire de l’aide sociale et l’(hyper)-flexibilisation du marché du travail.
Tom Duterme se concentre ensuite sur le volet « pensions » de l’accord de gouvernement. Il met en évidence trois tendances majeures : la réduction des dépenses par un alignement (à la baisse) du régime de retraite des fonctionnaires sur celui des salarié·es, le renforcement de la conditionnalité des droits à la retraite afin d’inciter à l’emploi et, enfin, une nouvelle phase de développement des pensions par capitalisation (y compris à destination des fonctionnaires).
Enfin, Nathan Charlier considère que le chapitre consacré à la santé s’inscrit dans le prolongement des politiques précédentes, y compris en ce qu’il ouvre de facto la porte à une régionalisation accrue des soins. Bien que moins touché que d’autres secteurs (comme l’administration publique et la politique migratoire), ce secteur n’est pas totalement épargné par la politique budgétaire restrictive du gouvernement, qui entend renforcer le lien entre la performance et le financement des hôpitaux, poursuivre la « rationalisation » territoriale de l’offre de soins et établir une norme de croissance des dépenses inférieure aux besoins projetés.