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Décoder l’Arizona (1/4) : austérité budgétaire et compétitivité

Montage ©Politique
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Contrairement à un lieu commun, le néolibéralisme ne se caractérise nullement par un « retrait de l’État ». Il est davantage une intensification d’une politique macroéconomique et budgétaire visant à imposer un régime permanent de réduction des dépenses sociales et obligeant la société à s’adapter aux « lois du marché », censées garantir la prospérité et la satisfaction de l’ensemble de ses besoins. En examinant la politique budgétaire, la fiscalité, la politique économique et les réformes administratives prévues par l’accord de gouvernement De Wever, les quatre contributions de cette première partie analysent cet « interventionnisme étatique » renouvelé, caractéristique d’un approfondissement des orientations néolibérales.

Sur le plan budgétaire, le gouvernement légitime, dans son accord, la politique d’austérité qu’il entend mener à l’aide d’une dramatisation – classique en contexte néolibéral – de l’état supposément insoutenable des finances publiques belges1

Une politique de l’austérité et des caisses vides

Cette lecture néolibérale n’est propre ni à la Belgique, ni à ce gouvernement. En effet, à l’instar des gouvernements belges Dehaene (1992-1999) et Di Rupo (2011-2014)2, la politique budgétaire du gouvernement De Wever s’inscrit pleinement dans le cadre européen. Rappelons qu’en juin 2024, la Commission européenne a ouvert une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la Belgique. Pour se conformer aux exigences de la Commission, le gouvernement entend donc ramener le déficit public belge sous le seuil de 3 % du PIB à partir de 2027 (contre 4,6 % en 2024). Selon les règles européennes réformées (entrées en vigueur en 2024), les plans budgétaires des États sont évalués en fonction de l’augmentation de leurs dépenses publiques nettes. Cette trajectoire, d’une durée de quatre ans, peut être étendue jusqu’à sept ans, moyennant l’adoption de réformes structurelles – une possibilité dont l’exécutif espère bénéficier par l’adoption de réformes socio-économiques, notamment dans les domaines du marché du travail et des pensions3

Le gouvernement légitime la politique d’austérité qu’il entend mener à l’aide d’une dramatisation de l’état supposément insoutenable des finances publiques belges.

Lorsque le gouvernement De Wever  affirme que « sans intervention, la Belgique s’oriente vers le pire budget de tous les pays industrialisés »4, ce dernier entend donc légitimer la réalisation d’économies budgétaires à hauteur de 23, 3 milliards d’euros à l’horizon 2029. Détaillé dans des tableaux budgétaires qui complètent – informellement – l’accord de gouvernement, ce montant représente la somme des efforts requis pour respecter les règles budgétaires européennes (18,1 milliards d’euros) et le coût des nouvelles politiques (5,2 milliards d’euros). 

Parmi ces dernières se trouvent la réforme fiscale, la sécurité et la « politique de retour »5 et la compensation destinée aux pouvoirs locaux pour faire face aux effets des réformes du marché du travail. En effet, la fin de droits pour un ensemble de personnes au chômage provoquera l’augmentation du nombre de personnes dépendant de l’aide sociale octroyée par les CPAS (et soutenus financièrement par les communes6. Autre point d’attention, l’important refinancement de la Défense (1 milliard d’euros), justifié par la guerre en Ukraine, sera complété par les recettes d’un « Fonds défense », alimenté par la vente de participations publiques (par exemple dans le secteur bancaire), sans autre précision à ce stade7.

Pour réduire le déficit, le gouvernement mobilise deux leviers (voir tableau ci-dessous) : d’une part, plus de deux tiers de cet effort devrait découler de réformes structurelles (marché du travail, pensions, etc.) et des « effets retour » supposément produits par l’augmentation (espérée) du taux d’emploi (de nouvelles recettes fiscales et une baisse des dépenses, par exemple de chômage)8 (lignes 1 et 2 du tableau) ; d’autre part, les mesures dites « discrétionnaires » concernent un tiers de l’effort budgétaire (restant du tableau).

Comme il le stipule dans l’accord, le gouvernement revendique l’assainissement des finances publiques « sans augmenter la pression fiscale »9.  Ce deuxième volet de mesures renvoie donc majoritairement à une diminution des dépenses de l’État. Seront ainsi touchés, l’administration publique, la politique migratoire, les soins de santé, la coopération au développement, le subside à la SNCB, etc. En corollaire, l’augmentation des recettes publiques est plafonnée à 11 % de l’ensemble des mesures envisagées et la « contribution sur les épaules les plus larges » serait inférieure à 2 milliards d’euros en 2029 – dont seulement 500 millions d’euros issus de la taxe sur les plus-values, qui a longtemps divisé le MR et Vooruit10.

Tableau 1 : synthèse des mesures budgétaires envisagées à l’horizon 2029

ObjetMontants  (mds €)Part de l’effort
Réformes (marché du travail, pensions, enveloppe bien être, etc.)8,235 %
Effet retour lié à l’augmentation du taux d’emploi7,933,8 %
Administration allégée et efficace1,67 %
Contribution sur les épaules les plus larges1,56,3 %
Politique migratoire1,46,1 %
Diminution de subsides1,14,5 %
Lutte contre la fraude fiscale & sociale0,83,4 %
Soins de santé/INAMI0,52,2 %
Varia0,41,6 %
Simplification institutionnelle et politique0,10,5 %

En synthèse, le gouvernement De Wever réactive donc une politique budgétaire austéritaire, dans la continuité de la trajectoire néolibérale empruntée par la Belgique depuis les années 198011. Cette politique austéritaire, favorisée par les règles budgétaires européennes, s’appuie sur une pathologisation de la dette et des dépenses de l’État, qui sont d’emblée construites comme des problèmes. Il conviendrait dès lors « naturellement » de favoriser la réduction des dépenses, sans augmenter les impôts (voire en les diminuant). Ce choix délibéré de ne pas (ou peu) taxer davantage, y compris le capital, s’apparente en réalité à une « politique des caisses vides »12, qui risque de creuser le déficit et d’ainsi justifier une réduction ultérieure des dépenses publiques. Ces économies budgétaires passent notamment par des réformes structurelles, qui diminuent la part de ressources publiques socialisées : augmentation de l’âge de départ à la retraite, restriction des conditions d’accès aux revenus du chômage, diminution du financement des soins de santé, etc. C’est donc aussi l’État social belge, et avec lui ses bénéficiaires, qui se voient in fine appauvris par cette politique budgétaire13.

Une fiscalité à la fois juste et compétitive ?

Renforcer le pouvoir d’achat des travailleurs et travailleuses et améliorer la compétitivité sont les termes-clés de la réforme fiscale envisagée dans l’accord de gouvernement. À bien des égards, ces deux objectifs, qui correspondent à une vision libérale de la justice et de la compétitivité fiscales, n’ont rien de surprenant, quand on connaît l’histoire de la fiscalité belge.

Le premier objectif semble à la fois tranché et peu détaillé : le gouvernement entend augmenter les revenus « faibles et moyens » pour atteindre 500 euros de différence entre les personnes qui travaillent et celles qui ne travaillent pas. Et l’on peut comprendre cette volonté, lorsqu’on sait qu’en 2023, c’est en Belgique que l’imposition totale du revenu professionnel moyen (impôts et cotisations patronales et sociales) est la plus élevée au monde14, alors même que la « pression » fiscale et parafiscale sur les bas et moyens salaires est dénoncée par les partis de droite comme de gauche depuis les années 1980.

Un excursus historique permet d’éclairer cette situation. Depuis 1914 et comme ailleurs en Europe, les deux guerres mondiales et les crises économiques sont les principales causes des déficits budgétaires et de l’accroissement de la dette en Belgique. On peut y ajouter le « prix » de certains compromis politiques autour des querelles sociales, linguistiques et philosophiques propres à la Belgique, qui ont augmenté les dépenses publiques pour assurer la paix sociale : le modèle de sécurité sociale créé en 1944 (performant, mais donc aussi l’un des plus chers au monde), le Pacte scolaire de 1958 ou encore la multiplication des niveaux de gouvernements à la suite de la fédéralisation du pays15.

C’est en Belgique que l’imposition totale du revenu professionnel moyen est la plus élevée au monde, alors que la « pression » fiscale et parafiscale sur les bas et moyens salaires est dénoncée par les partis de droite comme de gauche depuis les années 1980.

Malgré toutes ces particularités, l’évolution de la dette publique belge suivit un trajet similaire à celui des pays voisins. Il faut donc s’intéresser à un autre élément particulier dans le cas de la Belgique : depuis la création de la Belgique, et même quand les socialistes étaient au pouvoir, le Parti social-chrétien et le Parti libéral ont toujours réussi à garder la haute main sur la politique fiscale. Ainsi, de 1831 à 2025, le ministère des Finances aura été occupé par un ministre catholique ou libéral pendant presque 180 ans16. Il en a résulté un modèle fiscal attractif pour les revenus du capital. Avec le refus des ministres des Finances successifs de taxer davantage les revenus du capital, c’est du côté des revenus du travail que la « pression » fiscale s’est exercée, représentant plus de 70 % des recettes fiscales totales. Les compensations à une baisse fiscale sur les bas et moyens revenus sont par ailleurs hautement controversées. L’option choisie par le gouvernement De Wever est de réduire les dépenses publiques. Une autre possibilité est de déplacer la charge fiscale sur le capital et les revenus qu’il génère, une vision de la justice fiscale généralement défendue par les partis de gauche17.

Depuis la création de la Belgique, le Parti social-chrétien et le Parti libéral ont toujours gardé la haute main sur la politique fiscale.

Et pourtant, on pourrait croire à la poursuite de cette deuxième option, puisque l’accord de gouvernement semble contenir une surprise de taille, obtenue grâce à l’entêtement du Vooruit : « une contribution juste des épaules les plus larges »18. Cette justice, voulue par l’aile gauche de la coalition gouvernementale, s’obtiendrait par un élargissement de la base imposable et par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, mais aussi par « une cotisation générale de solidarité sur les plus-values réalisées sur les actifs financiers ». En surface, ce serait une rupture assez importante avec les traditions belges en matière de fiscalité mobilière. Mais le diable se cache dans les détails annoncés : exonération des plus-values historiques, déduction annuelle, exonération en-dessous d’un million d’euros19. Moins impressionnante qu’il n’y paraît, cette mesure pourrait, en outre, être affaiblie face à la « compétitivité fiscale » du Luxembourg, qui exonère également les plus-values et où pourraient se vendre les actifs financiers belges. Le risque est donc grand que la réforme fiscale envisagée – un élargissement du revenu professionnel minimum exempté d’impôt – ne repose finalement que sur des coupes budgétaires : un tax cut plutôt qu’un tax shift, comme n’ont cessé de le répéter les membres du Mouvement réformateur (MR), très virulents contre ce projet d’impôt nouveau.

L’option de taxation du capital entrerait, de toute façon, en contradiction avec le deuxième objectif de l’accord de gouvernement : renforcer la compétitivité fiscale – une expression guère surprenante dans le jargon libéral et néolibéral, l’accord de gouvernement soulignant vouloir « améliorer le climat entrepreneurial via une fiscalité boursière attractive »20. On ne se refait pas, c’est là un objectif que l’on pourrait retrouver dans nos lois fiscales de la Belle Époque, lorsque la Belgique était le premier paradis fiscal européen avec la Suisse21

Investir par et pour le marché

En préambule de l’accord de gouvernement, le nouveau Premier ministre Bart De Wever revendique une filiation avec le « modèle rhénan ». La politique économique du gouvernement qu’il dirige s’inscrit dans la continuité de l’État investisseur européen22, qui cible son soutien sur certains secteurs stratégiques en mobilisant largement des instruments financiers issus du secteur privé, tout en réduisant les dépenses « courantes » d’autres secteurs, tels que la sécurité sociale23 et le fonctionnement de l’État24. Cette politique économique, tout comme le volet non-fiscal de la politique (visant à augmenter le pouvoir d’achat), approfondit la reconfiguration néolibérale de l’État en alliant interventionnisme ciblé dans des domaines jugés stratégiques (comme l’innovation et la défense) et discipline budgétaire25.

Un interventionnisme sous contrainte budgétaire : priorité aux entreprises

Si l’industrie et la réindustrialisation restent un axe structurant de la politique économique du gouvernement, c’est moins le cas de l’investissement public direct. Le gouvernement De Wever se fixe ainsi un objectif inférieur à celui de la coalition Vivaldi (3 % du produit intérieur brut (PIB), contre 4 % du PIB précédemment) et prévoit l’évaluation de l’ensemble des projets menés dans le cadre du Plan de relance européen. Il opère également un recentrage sectoriel, privilégiant la décarbonation de l’industrie, l’innovation technologique et la défense au détriment, par exemple, de la mobilité ou de l’efficacité énergétique des bâtiments26. Il défend également une « autonomie stratégique ouverte »27, combinant ouverture économique et souveraineté, notamment via la poursuite de l’ancrage d’actifs jugés stratégiques, initié sous les précédentes législatures.

Le gouvernement De Wever opère un recentrage sectoriel, privilégiant la décarbonation de l’industrie, l’innovation technologique et la défense, au détriment de la mobilité ou de l’efficacité énergétique des bâtiments.

Ce gouvernement entend concentrer son intervention sur les entreprises et, plus spécifiquement, l’industrie, qui est présentée comme « l’épine dorsale d’une économie stable »28. Le contenu du plan interfédéral de relance de l’industrie annoncé reste toutefois à ce stade peu spécifié, tandis que l’accord met en avant l’importance de dispositions horizontales typiques de l’État régulateur, comme les incitants fiscaux de recherche et développement (déduction pour investissement, etc.) et l’amélioration du climat entrepreneurial. L’accord annonce une approche où l’État définit des objectifs et crée un cadre incitatif, mais délègue la mise en œuvre aux entreprises. Cette logique transparaît dans la politique de décarbonation industrielle : « le rôle des autorités se limite à la définition d’objectifs clairs et au suivi des résultats, tandis que la mise en œuvre concrète relève de la responsabilité de l’industrie »29. La lecture des tableaux budgétaires indique par ailleurs que la Défense est leur seul secteur ou des investissements publics ciblés additionnels sont prévus30.

L’État au service de la concurrence de marché et de la financiarisation de l’action publique

L’accord de gouvernement De Wever oscille entre dérégulation et production de nouvelles normes, illustrant une tension inhérente au néolibéralisme : (re)façonner les marchés pour atteindre des objectifs publics, tout en affirmant réduire l’intervention de l’État. D’une part, il annonce une simplification administrative, par exemple en limitant la transposition extensive des directives européennes (goldplating), qualifiée de « surrèglementation »31, et en créant des « zones de test sans règles »32 pour encourager l’innovation technologique. D’autre part, le gouvernement entend renforcer la régulation de certains secteurs, par exemple pour « promouvoir la concurrence »33 ou améliorer la mobilité et la protection des consommateurs de produits d’assurance, essentiels pour intégrer ce marché aux dispositifs de sécurité sociale34

Le nouveau gouvernement entend s’appuyer sur des instruments et un imaginaire issus de la finance privée.

Cette transformation du rôle de l’État s’étend à ses modes d’intervention. Dans la continuité des législatures précédentes, le nouveau gouvernement entend s’appuyer sur des instruments et un imaginaire issus de la finance privée, tels que les fonds d’investissement, les partenariats public-privé ou les prises de participations35. Après avoir spécifié que « l’État reste toujours dans la retenue en matière d’intervention directe dans l’économie »36, il conforte la Société Fédérale de Participations et d’Investissement (SFPIM) dans son rôle de gestionnaire d’actifs fédéraux et de société d’investissement, en collaboration avec les sociétés d’investissement régionales. Il charge également cette société de créer un « Fonds défense » alimenté par un « transfert de participations publiques »37 – ouvrant ainsi la possibilité de la cession d’une partie d’entre-elles, considérées par l’exécutif comme « non-stratégiques ». 

Administration : une révolution silencieuse

La section « Matières administratives » de l’accord de gouvernement s’ouvre sur l’objectif de renforcer « l’efficacité »38 et « l’efficience » du service public par la généralisation d’instruments néo-managériaux : culture de l’évaluation, benchmarking, analyse des missions essentielles, revues des dépenses, etc. La coalition Arizona souhaite aussi « réaliser des gains d’efficacité » via une importante refonte des structures administratives fédérales (fusions, synergies, services partagés, etc.). Ces initiatives sont la dernière manifestation en date d’une politique de « modernisation administrative » initiée dès 1999 par le ministre socialiste flamand Luc Van den Bossche, et régulièrement réactivée depuis lors39.

Le gouvernement De Wever entend révolutionner la fonction publique.

À titre d’exemple, le gouvernement souhaite généraliser les revues de dépenses (« spending reviews ») pour « optimiser les opérations et donc réduire les dépenses globales »40. Cette mise en équivalence entre « optimisation » et réduction des dépenses dissimule une contradiction potentielle entre ces deux objectifs gouvernementaux lorsque le renforcement de la capacité administrative requiert des moyens humains ou financiers supplémentaires – par exemple pour diminuer le recours à la consultance, comme l’annonce le gouvernement. Plus généralement, la littérature a identifié de longue date les contreparties induites par l’attention sur la frugalité administrative : la chasse au « gaspillage », menée au nom du « bon sens », met sous tension d’autres valeurs administratives cardinales, telles que l’intégrité et l’équité, mais aussi la fiabilité, la robustesse et l’adaptabilité face aux défis (climatiques, géopolitiques, sociaux, etc.) à long terme41. Au-delà de l’évaluation à court terme de ses performances, l’administration publique doit aussi se doter de capacités nécessaires pour se projeter dans un horizon de plusieurs décennies.

L’exécutif s’engage résolument dans une trajectoire de « désingularisation » de l’emploi public.

Derrière cette continuité apparente, le gouvernement De Wever entend révolutionner la fonction publique. Au motif de mener « une politique du personnel moderne et attractive »42 et d’ « harmonis[er] les conditions de rémunération et de travail »43 du personnel statutaire et contractuel qui cohabite au sein de l’administration, l’exécutif s’engage résolument dans une trajectoire de « désingularisation » de l’emploi public – dans le sillage des politiques flamandes, mais aussi francophones et wallonnes. En effet, l’emploi contractuel est appelé à devenir « la règle au sein de l’autorité fédérale »44, au détriment du statut distinctif de la fonction publique, construit en 1937 sur le modèle de la « carrière » administrative, envisagée comme un marché du travail « fermé » et caractérisé par une faible mobilité entre les secteurs public et privé. Cette réforme est d’autant plus notable qu’à la différence de quasiment tous les autres niveaux de pouvoir, le personnel statutaire demeure largement majoritaire au niveau fédéral, où il représente encore près de 80 % des effectifs45

La suppression des « rigidités » allégées du statut de la fonction publique pose question quant au degré de protection effectif des fonctionnaires vis-à-vis de l’arbitraire politique.

Il convient de prendre la mesure de cette « révolution silencieuse » – aussi fondamentale que peu commentée : à l’exception des fonctions dites « régaliennes » (sans davantage de précision), les relations de travail entre l’État et ses agent.es sont désormais amenées à être régies sur la base du modèle contractuel applicable aux salarié.es du secteur privé. Cette transformation des agent.es publics en salarié.es « comme les autres » est tout sauf anecdotique. La suppression des « rigidités » allégées du statut de la fonction publique pose question quant au degré de protection effectif des fonctionnaires vis-à-vis de l’arbitraire politique (recrutement, promotions, sanctions, etc.). Elle acte également la disparition d’un modèle de protection sociale distinctif et la montée en puissance corrélative d’une conception davantage patrimoniale du régime de protection sociale des « agent.es de l’État », reposant sur des « conditions salariales et d’emploi conformes au marché, avec une rémunération basée sur les compétences […], une assurance hospitalisation et une pension complémentaire »46.

EN RÉSUMÉ47

Damien Piron et Ariane Gemander démontrent tout d’abord que la politique budgétaire austéritaire du gouvernement de Wever entend réduire la part des ressources publiques socialisées, tout en épargnant très largement les revenus du capital. Il est dès lors peu probable qu’elle atteigne son objectif de rétablissement durable des finances publiques.

Approfondissant l’examen de la politique fiscale, qui entend renforcer le pouvoir d’achat et améliorer la compétitivité, Simon Watteyne explique la fiscalité élevée sur les salaires en Belgique par un refus historique de taxer le capital. En minimisant, une fois encore, l’impôt sur le capital, la réforme fiscale du gouvernement s’apparente moins à un « virage fiscal » (« tax shift ») qu’à une baisse d’impôts pure et simple  (« tax cut »).

Pour Zoé Evrard, la politique économique de la coalition Arizona se résume à un « interventionnisme sous contraintes budgétaire », qui vise à promouvoir les entreprises et à renforcer la concurrence sur les marchés en ouvrant davantage l’action publique aux logiques et instruments financiers. 

Enfin, au niveau administratif, sous couvert d’efficacité et d’efficience, la généralisation programmée de l’emploi contractuel dans la fonction publique est, selon Damien Piron, une « révolution silencieuse ». La relégation au rang d’exception du statut de la fonction publique et de ses protections parachève un processus de désingularisation de l’emploi public entamé de longue date.

  1. B. Lemoine, L’ordre de la dette, Paris, La Découverte, 2016. ↩︎
  2. D. Piron, Gouverner les régions par les finances publiques – Européanisation, fédéralisation et néolibéralisme en Belgique, Bruxelles, Larcier, 2019. ↩︎
  3. Cf. Partie 2 : la marchandisation accélérée de la Sécurité sociale. ↩︎
  4. Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 8. ↩︎
  5. Cf. section « Asile et migration ». ↩︎
  6. Cf. section « Marché du travail et lutte contre la pauvreté ». ↩︎
  7. Cf. sections « Politique économique » et « Défense ». ↩︎
  8. Cf. Partie 2 : la marchandisation accélérée de la Sécurité sociale. ↩︎
  9. Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 10. ↩︎
  10. Cf. section « Fiscalité ». ↩︎
  11. D. Piron et Z. Evrard (dir.), Le(s) néolibéralisme(s) en Belgique. Cadre macroéconomique, applications sectorielles et formes de résistance, Louvain-La-Neuve, Academia L’Harmattan, 2023, disponible en accès libre à l’adresse suivante : https://orbi.uliege.be/handle/2268/302960. ↩︎
  12. S. Guex, « La politique des caisses vides. État, finances publiques et mondialisation », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 146-147, 2003, pp. 51-62. ↩︎
  13. Cf. Partie 2 – La marchandisation accélérée de la Sécurité sociale. ↩︎
  14. Voir https://www.oecd.org/fr/data/indicators/tax-wedge.html. ↩︎
  15. A. Hardewyn, « Les déterminants politiques, économiques et idéologiques du système fiscal belge au 20e siècle », Histoire, Économie & Société, 2005/2, p. 279-302. ↩︎
  16. Ont aussi occupé le ministère des Finances : les socialistes de 1936 à 1938, la N-VA de 2014 à 2018 (et depuis 2025), et des « techniciens » apartisans mais proches des libéraux ou catholiques pour un total de huit ans. ↩︎
  17. Cf. section « Budget ». ↩︎
  18.  Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 12. ↩︎
  19. Au-dessus de quatre millions d’euros, la plus-value serait aussi exemptée si les valeurs mobilières concernées sont détenues via une société de holding. ↩︎
  20. Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 14. ↩︎
  21. S. Watteyne, Lever l’impôt en Belgique. Une histoire de combats politiques (1830-1962), Bruxelles, Éditions du CRISP, 2023. ↩︎
  22. U. Lepont, M. Thiemann, « The European Investor State: Its characteristics, genesis, and effects », Competition & Change, vol. 28, n° 3-4, p. 381–396. ↩︎
  23. Cf. Partie 2 – La marchandisation de la Sécurité sociale. ↩︎
  24. Cf. section « Matières administratives ». ↩︎
  25. Cf. sections « Défense » et « Budget ». ↩︎
  26.  Cf. sections « Climat et environnement » et « Mobilité ». ↩︎
  27.  Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 58. ↩︎
  28.  Idem, p. 57. ↩︎
  29.  Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 62. Cf. section « Climat ». ↩︎
  30.  Cf. sections « Budget » et « Défense ». ↩︎
  31.  Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 59. ↩︎
  32.  Idem, p. 60. ↩︎
  33.  Ibid., p. 64. ↩︎
  34.  Cf. section « Pensions ». ↩︎
  35.  Philip Mader, Daniel Mertens, Natascha van der Zwan, The Routledge International Handbook of Financialization, London, Routledge, 2020, p. 81-91; D. Piron, “Governing public investment in Europe: The politics of off-balance-sheet policymaking, the rise of Eurostat and contrasted regional policies in Belgium”, Competition & Change, vol. 28, n° 3-4, p. 494–514. ↩︎
  36.  Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 75. ↩︎
  37.  Idem, p. 188. ↩︎
  38.  Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 69. ↩︎
  39.  Ch. De Visscher, C. Fallon, D. Piron, F. Schram, « Civil service and public administrations in Belgium », dans M. Reuchamps, S. Biscop, M. Brans, P. Meier, & E. Van Haute (eds), The Oxford Handbook of Belgian Politics, Oxford, Oxford University Press, à paraître. ↩︎
  40.  Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 68. ↩︎
  41.  Ch. Hood (1991), « A Public Management for All Seasons? », Public Administration, 69(1), pp. 3-19. ↩︎
  42.  Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 68. ↩︎
  43.  Idem, p. 72. ↩︎
  44. Ibid. ↩︎
  45.  Cf. https://infocenter.belgium.be/fr/statistiques/fonction-publique-administrative-federale/emploi/repartition. ↩︎
  46.  Accord de coalition fédérale 2025-2029, p. 72. Cf. Partie 2 – La marchandisation accélérée de la Sécurité sociale. Voir aussi D. Piron (2025), « Qui est attaché au statut de la fonction publique ? La mise en crise croisée des politiques de l’emploi public et du financement des retraites des fonctionnaires locaux en Belgique », in È. Chiapello & A. Violle, Sociologie des circuits financiers – Les infrastructures de l’argent et leurs politiques, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, pp. 331-352. ↩︎
  47.  Gabriel Maissin (Econosphères). ↩︎