Politique
Les « cinq gauches » veulent toujours changer la société, mais…
28.10.2007
Présentation des invités du 28 novembre de la revue POLITIQUE Par Manuel Abramowicz et Henri Goldman, respectivement responsable de l’organisation de la soirée-débat du 28/11 et codirecteur de POLITIQUE.
Premier constat: la gauche existe toujours. Deuxième constat: elle veut encore changer la société — ce qui ne veut pas dire qu’elle le puisse. Troisième constat: elle n’affirme plus cette volonté avec une force suffisance. Quatrième constat: aujourd’hui comme hier d’ailleurs, la gauche se conjugue au pluriel. Il vaudrait mieux parler «des gauches», tant les chemins proposés sont différents, au point qu’on n’est plus sûrs qu’ils convergent vers un même objectif. De façon peut-être lapidaire, nous identifions cinq gauches: la gauche social-démocrate, la gauche radicale, la gauche écologiste, la gauche sociale et la gauche «mouvementiste». Les trois premières sont des gauches proprement politiques. Mais toutes seront présentes à la soirée-débat du 28 novembre prochain proposée par la revue POLITIQUE.
Gauche social-démocrate
«Social-démocrate»? Le terme est peu usité en Belgique. Au PS belge francophone, on ne l’utilise pas, lui trouvant une connotation péjorative. Pourtant, l’épithète est parfaitement assumé dans la plupart des formations socialistes des pays voisins, et tout particulièrement dans l’Europe du Nord. La social-démocratie se caractérise par un ancrage profond dans la société, via des organisations de masse, et par la promotion d’une forme de compromis — le «compromis social-démocrate», — qui a façonné le cadre de l’économie sociale de marché. Au sein de la gauche politique, et malgré un reflux général, elle reste la famille majoritaire et la seule qui soit, presque partout en Europe, en position d’exercer durablement des responsabilités gouvernementales. En Belgique, elle a siégé au gouvernement fédéral sans discontinuer depuis 1988 à aujourd’hui, et conserve la direction des gouvernements wallon, bruxellois et de la Communauté française Critique la plus courante: malgré sa présence dans de nombreux gouvernements européens, n’a pas réussi à freiner l’évolution néolibérale de l’Europe. Figure: Elio Di Rupo préside le Parti socialiste belge francophone depuis 1999. Il s’est attaché à rénover un parti englué dans des «affaires» et usé par une trop longue participation au pouvoir.
Gauche radicale
Ce vocable très général recouvre des courants divers : une extrême gauche aux origines déjà anciennes, qui s’enracine dans diverses dissidences du mouvement communiste «officiel» et qui a souvent, connu une nouvelle jeunesse autour du mai 68 (par exemple, en France, la LCR d’Olivier Besancenot ou Lutte ouvrière d’Arlette Laguiller, le PTB en Belgique), des partis communistes restés fidèles à leur tradition marxiste malgré la décomposition générale du mouvement communiste international (Portugal, Grèce, France, Italie), des petites formations issues de la gauche social-démocrate, notamment là où celle-ci a dérivé vers le centre (pays nordiques). Très minoritaire, le plus souvent marginale dans les parlements et donc peu en prise sur l’agenda de la politique officielle, cette «gauche radicale» s’appuie surtout sur les luttes sociales. Ces dernières années, elle s’est rassemblée autour du «non» au projet de Constitution européenne. Dans ce cadre, deux expériences originales émergent et sont en pleine ascension: le Parti socialiste aux Pays-Bas (à la gauche du Parti du Travail qui y représente la social-démocrate officielle) et Die Linke en Allemagne, constitué récemment par la fusion du Parti du socialisme démocratique, surtout implanté dans l’ancienne Allemagne de l’Est et du Wasg (une dissidence politico-syndicale du parti social-démocrate allemand – SPD. Son président, Oskar Lafontaine, présida en 1995 le SPD dont il démissionna dix ans plus tard). Die Linke fait désormais figure de modèle à ceux qui cherchent une alternative non groupusculaire à gauche. Critiques les plus courantes : est incapable d’unir ses (maigres) forces, pratique la surenchère systématique. Figure : Gabriele Zimmer est députée européenne et siège, comme les six autres élus de Die Linke au sein du groupe de la Gauche unitaire européenne-Gauche verte nordique.
Gauche écologiste
Après 30 ans d’existence, l’écologie politique reste le courant politique historiquement le plus jeune. Même si ses racines philosophiques le rattachent au libéralisme politique et au courant libertaire, elle est avant tout issue de la crise de la société industrielle, crise qui impose selon elle des alternatives différentes que celles qu’avancent les gauches classiques, qu’elles soient radicales ou modérées. La critique du productivisme va bien au-delà de celle du capitalisme et englobe tout projet de développement dont le moteur serait basé sur l’essor illimité des forces productives. En ce sens, le «logiciel écologiste» diffère radicalement de celui de la gauche classique. Pourtant, après quelques tâtonnements, l’écologie politique a affirmé son ancrage dans la gauche et ses valeurs. C’est notamment le cas d’Ecolo. Elle a renforcé ses liens avec la gauche sociale, affirme son souci de défendre les services publics, revendique des politiques fiscales redistributrices (et donc «antilibérales») et s’affiche aux côtés des sans-papiers. Critique la plus courante : positionnement ambigu sur l’axe gauche-droite. Figure : Noël Mamère est une des personnalités les plus connues des Verts français qu’il a représentés à l’élection présidentielle de 2002. Figure indépendante, il a toujours plaidé l’évidence de l’appartenance de l’écologie politique à la gauche.
Gauche sociale
Sous cet intitulé, nous désignons une particularité belge: l’existence de grandes associations instituées issues du mouvement ouvrier et qui jouent un rôle important dans la mobilisation sociale et dans les systèmes de concertation. En Belgique, cette «gauche sociale» est double. D’une part, elle se structure autour de la FGTB, le syndicat de tradition socialiste, et comprend quelques associations liées au PS, comme les Femmes prévoyantes. Du côté du mouvement ouvrier de tradition chrétienne, elle a donné naissance au Mouvement ouvrier chrétien (Moc), coupole fédérant notamment le syndicat (la CSC), les mutuelles et des associations d’éducation populaire, comme Vie féminine. Cette gauche est également présente sur tous les terrains de l’action associative, comme la solidarité nord-sud, la lutte contre l’exclusion ou le soutien aux migrants. Forme non directement politique de la gauche belge, cette «gauche sociale» a besoin de relais parlementaires et entretient des rapports privilégiés avec les formations politiques de gauche, où nombre de ses membres militent par ailleurs à titre personnel. Figures : Anne Demelenne est secrétaire générale de la FGTB. Thierry Jacques est président du Moc.
Gauche «mouvementiste»
Comment qualifier autrement cette nébuleuse, jaillie de la crise de la gauche traditionnelle et en riposte à la «mondialisation néolibérale»? Une de ces caractéristiques est d’être en recherche de nouvelles formes d’organisation souples qui ne reproduiraient pas la scrélose bureaucratique des vieilles structures professionnalisées telles que partis et syndicats. Le postulat, c’est qu’on a besoin d’une nouvelle radicalité et que pour la préserver, il faut rester en prise proche avec les nouvelles émergences. D’où le refus de donner prise à toute récupération. La base de cette nouvelle radicalité se trouve le plus souvent dans le mouvement des «sans» (sans logement, sans emploi, sans papiers…). Sa forme principale est depuis une décennie celle de l’altermondialisme, dont la vie est rythmée par les grands rendez-vous des forums mondiaux et régionaux. Sa vitrine la plus durable est le mouvement Attac et son moniteur, le mensuel «Le Monde diplomatique». Courtisé par les quatre autres gauches, elle veille jalousement à son indépendance. Figure: Jean-Marie Coen, est un des deux porte-parole d’Attac Wallonie-Bruxelles.