Politique
De Lijn : chronique d’une privatisation annoncée
01.02.2022
Cet article, diffusé par le site DeWereldMorgen, a paru pour la première fois dans le mensuel Samenleving en Politiek (Sampol) ; traduction : Jean-Paul Gailly.
Alors que Bruxelles investit massivement dans la Stib, De Lijn est en difficulté. De nouvelles lignes ont bien été créées, mais le budget d’exploitation n’a pas suivi. De 2009 à 2019 le budget d’exploitation ne s’est accru que de 12 millions d’euros alors que les coûts augmentaient de 240 millions d’euros (en raison de l’indexation et de l’offre supplémentaire). Cette hausse a été compensée par une hausse du prix des tickets (61 millions d’euros) et surtout par des économies (167 millions d’euros).
De Lijn a par ailleurs fait l’objet d’une importante restructuration interne : en 2014 les services d’appui des cinq entités provinciales[2.https://urlz.fr/hiN.] ont été réorganisés et concentrés sur un seul site. À partir de 2018,nouvelle restructuration et disparition de 286 fonctions[3.https://urlz.fr/hiN.] Parallèlement, les partenaires sociaux ont disparu du conseil d’administration.
Des trajets supprimés (260 000 en 2019[4.https://urlz.fr/hiO]), des enfants scolarisés dans l’enseignement spécial qui passent 8 heures par jour sur le chemin de l’école[5.https://urlz.fr/hiOm.], des tickets plus chers, des grèves, la disparition de milliers d’arrêts suite au décret sur « l’accessibilité de base »[6.Décret flamand sur l’accessibilité de base : https://urlz.fr/hiOH.], etc. L’image de De Lijn est devenue négative dans les médias et l’entreprise a par ailleurs connu son plus bas taux de satisfaction jamais observé chez ses usagers. Un contexte parfait pour l’étape suivante.
Préparer la privatisation
Avec la mise en œuvre de l’accessibilité de base, De Lijn passa du statut d’agence externe autonome à celui d’ « opérateur interne pour le réseau de base et le réseau complémentaire »[7. Le terme d’« opérateur interne » fait référence au concept d’« exploitant interne » prévu par le Règlement européen 1370/2007.], autrement dit, elle devint un exploitant qui assure des trajets pour le compte des pouvoirs publics. Le transport « sur mesure »[8. Ce concept recouvre les « belbussen » qui deviennent des « flexbussen » ainsi que les voitures partagées et les vélos partagés.] sera lui confié à des exploitants privés.
Sur base d’un benchmarking[9. Le bureau de consultance inno-V a comparé les prestations de De Lijn avec dix entreprises européennes de transport public dans les États suivants : Pays-Bas, Norvège, Danemark, Allemagne, France, Suisse, Autriche, et Grande-Bretagne.], De Lijn fut confirmée comme « opérateur interne » jusqu’en 2030. De Lijn sort meurtrie de cette analyse avec une évaluation finale « négative modérée ». En 2025 une nouvelle évaluation, dite « intermédiaire » (prévoyant des sanctions financières si les résultats ne sont pas atteints) est prévue et en 2030 un nouveau benchmarking organisé qui rendra le cas échéant possible la fin de la mission d’opérateur interne de De Lijn.
Entre-temps, un premier pas vers la privatisation d’une mission de De Lijn a déjà été franchi : en septembre 2021, l’activité de « centrale de mobilité » a été confiée à ViaVan, une entreprise à capitaux allemands, canadiens et israéliens. Cette centrale est l’élément clé de la mise en œuvre de la politique d’accessibilité de base et deviendra l’interface entre le voyageur et les opérateurs de services de mobilité, comme c’est déjà le cas avec les actuels bus à la demande[10. Les « belbussen » ne circulent qu’à la demande et n’ont ni trajet fixe, ni horaire. Ils s’arrêtent uniquement aux arrêts de De Lijn où un voyage a été demandé à l’avance via le web ou par téléphone via une centrale (une par province). Les tarifs sont les tarifs ordinaires de De Lijn.]. De Lijn, en raison de sa mission d’opérateur interne, n’a pas pu concourir en en son nom propre pour l’obtention de ce marché public, mais elle était membre du consortium « sMIND », notamment avec l’entreprise Siemens. Toutefois ce consortium a retiré sa candidature parce que l’activité lui paraissait « trop coûteuse, trop floue, et trop complexe ». Jusqu’à la mise en œuvre concrète de l’accessibilité de base, les bus à la demande restent quant à eux bien opérationnels.
Les étapes suivantes
De plus, la date de mise en œuvre de l’accessibilité de base a déjà été postposée à deux reprises. La nouvelle date – « au plus tôt le 1er janvier 2023 » – est probablement impossible à respecter. Par contre, les étapes sont déjà connues et la privatisation paraît en être le fil rouge.
Le décret pour la création d’une Autorité de transport[11. Ce concept est également prévu par le Règlement européen précité.] a reçu un accord de principe du gouvernement flamand le 9 juillet 2021 et a fait l’objet d’un avis circonstancié du Mobiliteitsraad Vlaanderen en septembre 2021[12. L’avis du Conseil consultatif de la Mobilité de la Région Flamande : https://urlz.fr/hiPU.]. Cette Autorité de transport fera partie du département ministériel Mobilité et Travaux publics et reprendra une série des tâches actuelles de De Lijn, comme la gestion des contrats avec les exploitants sous-traitants. Le texte du décret est très vague, avec un grand nombre de renvois aux arrêtés d’exécution et se limite surtout au transfert de personnel de De Lijn vers le département Mobilité et Travaux publics.
L’accord de gouvernement flamand 2019-2024 annonce un projet-pilote pour la seconde moitié de la législature, dans le cadre duquel le réseau principal et le réseau complémentaire seront mis sur le marché dans une des quinze régions de transport[13. La Région flamande a subdivisé son territoire en 15 régions servant de cadre pour la mise en œuvre de sa politique de mobilité.] On ne sait pas encore quelle région sera choisie.
Par ailleurs, la Flandre s’est imposé d’autoriser uniquement des transports publics sans émissions. Or aujourd’hui ne circulent en tout et pour tout que 13 bus électriques. Cet objectif nécessite un investissement de plusieurs milliards tant en véhicules qu’en installations : 1,3 milliard pour 900 bus, allant jusqu’à 3,2 milliards à long terme.
La seule option que le gouvernement flamand examine est la déconsolidation[14. Concept résultant du Pacte budgétaire européen de 2012 ; il permet de sortir les entreprises publiques des comptes nationaux et ainsi de ne pas les intégrer dans les déficits des États.] de De Lijn, c’est-à-dire rendre possible un financement externe. La question est dès lors de voir si le marché financier sera intéressé.
D’organisateur vers exploitant
Une succession de réformes a fait passer De Lijn du statut d’organisateur de la politique de transport en commun à celui de simple exploitant, tâche qu’une entreprise privée pourrait sans doute aussi bien assumer et pour moins cher.
Il s’agit d’un choix idéologique, mais la politique de l’accessibilité de base comme vision à long terme pour le transport en commun en Flandre semble bien vague et peu ambitieuse.
L’année 2022 sera importante. De nouvelles étapes concrètes figurent sur l’agenda de cette accessibilité. À partir du 1er janvier 2022, il faut également que débute un nouveau contrat de gestion pour De Lijn. Le précédent (2017-2020) avait été prolongé en raison du départ de l’ancien directeur général et de l’analyse de becnhmarking en cours.
À ce jour, un silence assourdissant règne autour du nouveau contrat. Pour reprendre les mots d’Ann Schoubs, actuelle directrice générale de De lijn : « Un flou artistique règne quant à la politique à mener ».
La plus grande victime de ce manque de vision et d’ambition reste l’usager.