Politique
De la décrépitude du débat public
09.01.2007
Grâce aux efforts conjugués d’une tripotée de mandataires véreux et de magistrats férocement opiniâtres, le politicien carolo corrompu entre par la grande porte au Panthéon des clichés, aux côtés de la veuve éplorée, du gitan chapardeur et de mon père, ce héros. Voici plus d’un an que le spectacle tient l’affiche et quand la billetterie semble s’essouffler, un coup de théâtre survient à point nommé, sur l’air du «quand y’en a plus, y’en a encore…» Aujourd’hui, le politiquement correct somme le public d’applaudir au spectacle pourtant affligeant de la noria vespérale des voitures à gyrophare emmenant vers la prison de Jamioulx quelque puissant de la veille. Oser regretter que l’institution judiciaire ait été beaucoup moins prompte et sourcilleuse à propos des affaires de la KB Lux ou Lernout & Hauspie vous fait regarder de travers et accuser «d’en être». Pourtant, souhaiter que l’on s’attaque aux mécanismes de corruption et de fraude et que l’on sanctionne ses initiateurs n’implique pas que l’on se torde de rire parce qu’on traite un inculpé comme un dangereux criminel de sang. Il n’est pas indécent, en démocratie, de s’interroger sur la banalisation du recours à la détention préventive et cette question n’a rien à voir avec une quelconque complaisance envers les fautes commises par des mandataires publics. Il y a plus inquiétant encore : les dénonciations de la corruption occupent aujourd’hui tout l’espace du débat carolorégien, voire wallon, éclipsant tous les autres sujets et privant les citoyens des débats sur les choix politiques et les enjeux liés aux programmes des partis. Apparaître comme honnête et sincère devient dès lors l’aune à laquelle on rapporte toute chose. Le sentiment du «tous pourris» gagne du terrain et il n’est nulle part aussi vif que chez les personnes vivant dans les conditions les plus précaires, ainsi que le montre une récente enquête faite en France. Lorsque le débat démocratique s’étiole et de désidéologise, les scandales politiques et les affaires alimentent le soupçon de corruption généralisée, lequel sera (avec son corollaire qui est le vote pour les partis d’extrême droite On lira avec profit à ce propos le récent ouvrage de Richard Lorent, Extrême droite : le suffrage détourné, paru aux éditions Couleur Livres ) un thermomètre du mécontentement et d’un sentiment d’injustice qui ne trouve aucun prolongement politique auquel adhérer. Sans projet collectif mobilisateur, sans lecture claire des clivages réels, les affaires n’apparaissent plus pour ce qu’elles sont en fin de compte : des illustrations putrides inhérentes à un système économique vicié en son cœur même. Au contraire, elles se placent au centre d’une scène publique indigente, en y radicalisant la défiance. Ce que l’institution judiciaire met en pleine lumière à Charleroi est accablant, personne ne peut le contester. Mais que le feuilleton politico-judiciaire demeure l’alpha et l’oméga du débat public montre à quel état de délabrement nous devons faire face aujourd’hui, dans les esprits comme dans les institutions. En un an, on est passé du politiquement correct au politiquement abstrait, et l’on peut, d’une façon générale, facilement énumérer ce qui se porte mal : c’est tout ce qui nous revient sous forme de «combat». Les enquêtes d’opinion européennes sur le degré de confiance des citoyens montrent que les pays où la perception de la corruption est la plus faible sont précisément ceux qui placent également en tête la foi en des relations sociales vigoureuses et déterminées et où les inégalités sont les plus faibles. Pour l’écrire plus simplement : la quête effrénée de la transparence, si louable soit-elle, ne suffira pas pour ressusciter la confiance moribonde des citoyens en leurs représentants. C’est un nouveau projet de développement de Charleroi, s’articulant sur le politique, le social et le culturel, qui s’impose désormais.