Politique
Affaire Benno Barnard : la liberté d’expression bafouée
03.06.2010
Le 31 mars 2010, l’écrivain néerlandais Benno Barnard était invité à donner une conférence à l’Université d’Anvers, sous le titre ironique: «Leve God, weg met Allah» («Vive Dieu! À bas Allah!»). Il n’a pas pu donner cette conférence, parce qu’elle a été interrompue et empêchée par un groupe de jeunes allochtones qui se revendiquent de l’organisation Sharia 4 Belgium. L’incident a à nouveau ravivé le débat sur l’Islam en Flandre. Les écrivains Tom Naegels et Geert van Istendael sont des voix récurrentes dans ce débat et ont des visions assez opposées.
Les faits sont connus. L’écrivain Benno Barnard devait donner une conférence pour une association libérale. Lieu : un auditoire de l’Université d’Anvers. Intitulé de la conférence : «Vive Dieu! À bas Allah!». Après à peine deux minutes, il a été empêché de parler par une quarantaine de personnes sous les cris de «Allah Akbar». Elles ont pris le podium d’assaut. Benno Barnard, préalablement averti par la police, était protégé par quelques gardes du corps à sa propre initiative. Sans quoi il se trouverait en ce moment à l’hôpital. Benno Barnard est mon meilleur ami, depuis plus d’un quart de siècle. Mais je ne m’exprime pas ici en tant qu’ami. Je m’exprime ici en tant qu’écrivain, en tant que président du PEN-Belgique néerlandophone. Dans le monde entier, dans plus d’une centaine de pays, PEN défend la liberté d’expression. Depuis le temps que je suis président de sa section flamande, pas une seconde je n’aurais imaginé que la liberté d’expression serait bafouée dans mon propre pays. Que des gens qui sont en désaccord avec des paroles qu’ils n’ont même pas encore entendues, qu’ils ne veulent pas entendre, pourraient essayer d’agresser un écrivain.
Il y a dix ans, non, il y a cinq ans, ou juste quelques mois, on aurait ri au nez de quiconque aurait prédit une telle évolution. Chez nous ? Dans cette Belgique pacifique ? Dans cette Flandre débonnaire ? Vous êtes tombé sur la tête. Vous souffrez d’islamophobie aigüe. Avec conviction, des adversaires vous qualifieront : vous êtes un homme blanc angoissé. Vous êtes un paternaliste décrépit. Vous êtes un raciste. Hélas, mille fois hélas, ce qui s’est passé avant-hier a été pourtant aussi loin. J’entends maintenant que, tout de même, le titre que Benno a donné à sa conférence était vraiment une provocation. Et alors ? Ça me donne le droit d’attaquer physiquement quelqu’un pour ce qu’il a dit ou pourrait dire et qui pourrait ne pas me plaire ? Je veux mettre les choses au point.
Barbarie
Un. Tout le monde a le droit de provoquer. Chacun a le droit d’insulter Jésus-Christ, Allah, Yahvé, Bouddha, Mahomet ou le pape. Chacun a le droit de diffamer tous les dieux du monde. Qui veut limiter ce droit se livre lui-même pieds et poings à l’arbitraire du premier salaud venu qui voudrait se livrer à une injustice. Nous avons depuis un certain temps besoin de réapprendre d’une ancienne sagesse : ce que je considère comme une parole innocente peut apparaître aux yeux d’un autre comme une insulte sanglante que seule la mort peut effacer. Deux. Personne n’a l’obligation de provoquer, d’insulter ou de diffamer Dieu et les dieux. Chacun de nous est libre de ne pas le faire. Trois. En ce qui concerne cette affaire : personne n’est obligé d’être d’accord avec Benno Barnard. Mais vous écoutez ses arguments, même s’ils vous gênent, vous avancez des contre-arguments, bref, vous alimentez la discussion. Celle-ci peut être féroce, voire désagréable et vous pouvez parfaitement rester en désaccord comme vous l’étiez auparavant. Vous parlez contre, mais vous n’empêchez jamais l’autre de parler. Pour ceux qui s’en sont pris à Benno Barnard, le débat lui-même est une abomination. Quatre. Selon moi, la démocratie est fondée sur l’organisation civilisée du désaccord. Ce qui est arrivé avec Benno Barnard porte un nom. Cela s’appelle la barbarie. La barbarie d’une troupe de choc au sein d’une religion mondiale qui pense qu’il faut lapider les femmes adultères, que les gays et les apostats peuvent être assassinés et que la charia devrait être appliquée dans le monde entier. Que ceux qui ne me croient pas aillent visiter leurs sites web, y compris en Belgique, et qu’ils lisent. Cinq. Je refuse de croire que mes concitoyens musulmans, attentifs et travailleurs, dans mon cercle de connaissances, dans ma ville, dans mon pays, tous ces conducteurs de métro, ces enseignantes, ces boulangers, ces avocats, ces syndicalistes… puissent approuver cette brutalité inouie de la part de leurs religionnaires. Je refuse de croire qu’ils veulent anéantir les réalisations de la démocratie belge. Je refuse de croire qu’ils n’acceptent de cohabiter avec les autres Belges qu’aux conditions définies et diffusées par les obscurantistes les plus fanatiques qui dévoient leur religion. La liberté d’expression, la séparation de la religion et l’État, l’égalité entre les hommes et les femmes, tout cela mérite d’être défendu. C’est devenu tellement évident qu’il n’y a plus à tergiverser. Depuis deux jours, nous affirmons que cette défense est urgente. Nous devons défendre l’État de droit démocratique avec tous les moyens démocratiques dont nous disposons. Il est grand temps. Avec ces gens-là, on ne parle pas, on se bat. C’est de Winston Churchill. Il parlait des nazis.