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CSC, MOC, Les Engagés… parti-syndicat, le pilier chrétien s’est-il écroulé ?

Les organisations membre du Mouvement ouvrier chrétien (MOC).
Les organisations membre du Mouvement ouvrier chrétien (MOC).

La Belgique a longtemps été un pays de « piliers », ces grandes familles politiques, sociales et idéologiques, développées en rivalité les unes aux autres. Parmi eux, le monde chrétien est central. Il est à l’origine du plus grand syndicat en nombre d’adhérent·es (CSC), de la Jeunesse organisée et combative (JOC), la Mutualité chrétienne, Vie féminine, et les Équipes populaires. Toutes ces organisations sont réunies dans le Mouvement ouvrier chrétien (MOC), mais qu’en est-il du parti politique qui les représentait historiquement, à savoir Les Engagés ?

L’idée que le Mouvement ouvrier chrétien (MOC) et ses organisations soient les appendices d’un parti chrétien fait partie des rumeurs persistantes. Dès 1974, le MOC décidait pourtant de son plura lisme par rapport aux relais politiques. Fin 2023, l’organisation a de nouveau adapté son positionnement à l’égard des partis, inchangé depuis 2014. Son équivalent néerlandophone, Beweging. net, l’avait quant à lui mis à jour en 2021.

2014 : un tournant historique

Historiquement, les liens entre la confédération des syndicats chrétiens (CSC) et le Parti social-chrétien (PSC) furent réels et existaient encore avec le PSC quand il devint le CDH, durant les années de présidence de Mme Milquet – certes plus à Bruxelles qu’en Wallonie. Le parti chrétien disposait alors en son sein d’une « démocratie chrétienne » organisée. La gauche syndicale, mutualiste, associative se retrouvait, et portait en commun ses positions au sein du parti. Le positionnement du Parti pouvait alors légitimement relever du centre.

Depuis 2014, la « démocratie chrétienne » n’existe plus. Et cela change tout ! Ne lui subsistent que quelques relais personnels privilégiés, souvent d’anciens membres du mouvement ouvrier chrétien, comme Alda Greoli par exemple. Et le transfuge récent d’Elisabeth Degryse, vice-présidente des Mutualités chrétiennes, vers Les Engagés, ne doit être compris autrement que comme un choix personnel, même s’il traduit des relais privilégiés concernant les enjeux de santé.

Étonnant paradoxe : les cadres du MOC sont proches d’Écolo, qui n’a pas montré pour autant une pratique gouvernementale proche des enjeux du mouvement.

En synthèse, l’évolution propre au parti chrétien historique et la disparition de la « démocratie chrétienne » organisée rendent l’attachement au pluralisme politique plus pertinent que jamais pour le MOC. Car la question est de choisir entre le pluralisme et l’isolement…

Le pluralisme du Mouvement ouvrier chrétien

Outre l’évolution de l’organisation PSC-CDH-Engagés, il faut aussi relever la croissance du PTB, et dans le même temps, un affaiblissement de l’action commune socialiste, même si les carrières professionnelles mixtes entre les structures socialistes sont fréquentes, et que les lignes téléphoniques restent directes entre la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) et le Parti (PS).

Ainsi donc, le pluralisme du MOC, et donc sa recherche de soutiens du côté du PS, ne peut qu’être facilité si, dans le même temps, l’action commune du pilier socialiste est plus « souple ». Une action commune assouplie par deux phénomènes majeurs qui se rencontrent : la gauche de gouvernement est de moins en moins perçue comme une alliée suffisante des enjeux syndicaux et à la loyauté peu claire, tandis que le PTB investit fortement le terrain syndical, dans les idées et auprès des militants et permanents.

Le pluralisme du MOC ne peut qu’être facilité si l’action commune du pilier socialiste est plus « souple ».

Dans le même temps, on ne peut que constater cet étonnant paradoxe : les cadres du MOC (CSC incluse) sont proches d’Écolo, qui pour autant n’a pas donné à voir une pratique gouvernementale proche des enjeux du mouvement. On a pu ainsi observer la posture critique d’Écolo vis-à-vis des corps intermédiaires (lui préférant les délibérations citoyennes, ou le consensus avec toutes les « parties prenantes »), et le peu de place laissée à la concertation sociale. Et le crédo de la nouvelle coprésidence, « l’écologie populaire » est à ce titre un possible motif d’espoir et d’autocritique sur le passé.

Tenant compte de ces diverses considérations, le MOC a donc adapté sa position. En résumé, si en 2014, il notait le besoin d’établir un dialogue idéologique avec la « gauche radicale démocratique » en vue de renforcer le discours politique progressiste, des contacts structurés étaient alors souhaités avec les PS, CDH, Écolo (et DéFI à Bruxelles) comme dit plus haut, cela date de bien avant. Ceci n’a pas été modifié en 2023.

La relation du MOC avec les Engagés

Mais deux évolutions importantes sont à relever. D’abord les débats sur la persistance de dialogue structuré avec Les Engagés (et DéFI) furent très difficiles. Ils ont donc été maintenus dans le cercle proche (du point de vue souhaité par le MOC. Ceci ne dit rien du point de vue des partis concernés…) mais avec engagement d’évaluation de leurs actions dans les mois à venir (selon la campagne, la constitution de majorité et leurs apports dans les accords de gouvernements).

La CSC francophone et le MOC de Bruxelles sont les plus en pointe pour retirer aux Engagés et à DéFI leur statut égal à Ecolo et PS. Mais le mouvement est un tout et il faut tenir compte de liens plus étroits entre les mutualités et Les Engagés, par exemple.

Que la CSC soit un appendice du parti chrétien est donc une rumeur fausse. Mais elle l’est un peu moins du côté flamand.

Ensuite, il y a l’équation « PTB ». Elle est complexe. Sur papier, nos positions sont souvent parmi les plus proches. « Leurs » militants ont une énergie incroyable. Mais il demeure des craintes majeures : la vie démocratique au sein du parti et sa vision de la démocratie politique, ses positions internationales considérées comme « campistes », voire sulfureuses, ou encore son action d’investissement du syndicat et les problèmes de double loyauté pouvant se poser.

Et en Flandre ?

Du côté néerlandophone, la situation est toute autre. Beweging.net a confirmé ses liens privilégiés avec le CD&V, qui a juste perdu son statut d’unique relais. Mais il reste bien le premier relais privilégié. Du côté de la CSC flamande, le relais naturel des hauts dirigeants reste le CD&V. Nous avons ainsi pu constater lors de la campagne électorale que la communication de l’ACV était très positive à l’égard du CD&V, et l’alliance communiquée entre le CD&V et le MR pour constituer l’ossature du prochain gouvernement fédéral n’a pas justifié de modification de position.

La rumeur qui veut que la CSC soit un appendice du parti chrétien est donc fausse, si on se situe du point de vue francophone. Mais elle l’est un peu moins du côté flamand. Même si, là aussi, il faut relever le souhait du Mouvement ouvrier flamand (Beweging.net) de contacts plus fréquents avec Vooruit et Groen, qui s’inscrit dans des relations et affinités personnelles nombreuses et préexistantes, entre cadres et militants de l’ACV avec Groen. Voilà la nouveauté et le petit motif d’espoir.

Vient ensuite la question de l’intérêt de ces liens privilégiés : entre des relais, le plus souvent techniques via des contacts privilégiés en cabinet ministériel, et son corollaire qu’est l’atténuation du conflit au profit du parti « relais », le jeu en vaut-il la chandelle ?

Que pouvons-nous penser de la manière dont la FGTB lie sa parole et ses actes à l’action gouvernementale du Parti socialiste ? Combien de fois le PS a-t-il fait passer le message aux troupes syndicales qu’il avait fait ce qu’il avait pu, et qu’il fallait maintenant pour « son » syndicat passer à autre chose ? Un permanent de la CSC ne peut assumer de mandat électif, sauf dans des communes de moins de 15 000 habitants, alors que les carrières « mixtes » sont nombreuses côté socialiste.

Vu la faiblesse des relais politiques des deux syndicats CSC et FGTB, ne faut-il pas en priorité assurer des cahiers de revendications communs, assortis d’un plan d’action pour les promouvoir ?

On peut donc s’interroger sur le prix de l’indépendance syndicale du côté de la CSC (côté francophone surtout) et des gains ainsi obtenus, et sur le prix de l’alliance côté socialiste et de son autonomie. La perspective d’un gouvernement fédéral avec une FGTB ayant pour seul relais Vooruit doit, à ce titre, sûrement inquiéter du côté de la FGTB wallonne, au moins autant qu’un gouvernement fédéral avec CD&V et Les Engagés comme seuls relais inquiète du côté de la CSC francophone.

Et demain ?

Peu d’évolutions sont à attendre des liens entre partis et syndicats et, considérant les difficultés presque insurmontables de la gauche de gouvernement, n’est-ce pas plutôt le moment de vraiment envisager l’action commune, non entre partis, même si les syndicats doivent jouer leurs rôles et contribuer autant que possible à des logiques de « nouveau front populaire », mais entre syndicats ?

Vu les résultats électoraux, et la faible efficacité des relais politiques des deux syndicats, ne faut-il pas en priorité assurer de manière claire des cahiers de revendications et priorités interprofessionnelles communes, à tous les niveaux de pouvoir, assortis d’un plan d’action commun pour les promouvoir ?

Le nouveau front populaire a-t-il une perspective crédible, si même CSC et FGTB ne peuvent faire front ?

Mieux encore, n’est-ce pas le moment de développer des activités et services communs ? Un exemple : nous savons la pression politique sur le paiement des allocations de chômage via les caisses syndicales. Nous savons combien ce service est déficitaire pour les organisations, la difficulté à organiser les travailleurs sans emploi et à faire le lien entre service et mobilisation. Nous savons notre faiblesse face aux attaques patronales et néolibérales contre les chômeurs.

Pourquoi ne pas imaginer des maisons syndicales dédiées au service chômage, rendu en front commun CSC-FGTB, et doté de lieux où chaque organisation peut assurer son travail d’éducation permanente et d’action ? Le nouveau front populaire a-t-il une perspective crédible, si même CSC et FGTB ne peuvent faire front ?