Politique
Critique et autocritique
07.03.2012
Cette construction d’une alternative crédible, qui prendrait la forme d’un projet et pas seulement d’un refus, et tiendrait compte des dégâts sociaux de la crise en même temps que des défis environnementaux dont sa sortie – le retour à la croissance – pourrait être riche, demeure aujourd’hui encore balbutiante. Entre la stratégie de rupture et celle du moindre mal, les galaxies qui composent le mouvement social balancent, au gré, notamment, de l’estimation qu’elles font de la profondeur de la crise et de la question centrale qui en découle : faut-il plus craindre l’arrivée au pouvoir de la N-VA, ou le démantèlement de l’État social par une partie des héritiers de ceux qui l’ont construit ? Reconnaître cette indécision n’est pas jouer le jeu de l’ennemi, c’est simplement jeter un regard lucide sur « l’état des luttes ». Certes, mais quoi en face ? Quel projet, quel horizon, quelle alternative ? Depuis le cimetière des idées, c’est en effet bel et bien le néolibéralisme le plus obtus qui apparaît comme le vainqueur surprise de cette course à étapes et à rebondissements qu’est la crise. Ce sont en effet ses prescrits, usés jusqu’à la corde et discrédités jusque dans les facultés d’économie, qui continuent à dicter leur loi, tel un rouleau compresseur en roue libre. Un spectre continue à hanter l’Europe et ce n’est – malheureusement – pas celui qu’on croit. Comparaison historique pour comparaison historique, on en viendrait presque à préférer, à celle, maintes fois rabâchée, de la crise de 1929, le souvenir de l’Europe de l’Est de 1988 : une nomenklatura entièrement coupée du monde vécu de ceux qu’elle a vocation (ou profession) à gouverner, répète sans conviction un dogme fossilisé, dans lequel elle ne croit pas plus que ceux qui sont tenus de l’écouter. Cette forme de repli, de surdité et de coupure condamne, à échéance plus ou moins brève, l’architecture européenne, ses élites et son idéologie à un effondrement qui, pour être difficilement pensable aujourd’hui, apparaîtra sans doute avec la force de l’évidence, ex post. Au moins autant que de dénoncer les calomnies colportées par les médias au sujet de la mobilisation sociale, il importe de se demander pourquoi ils se focalisent sur les points aveugles des discours syndicaux, qui partagent peut-être l’absence d’agenda et la stratégie floue, mais un peu moins les responsabilités et le pouvoir de décision. Mais, de l’autre côté, il est temps de prendre la mesure complète de la crise qui nous impose de sortir des cadres de pensée antérieurs. L’articulation entre termes court et long, sauvetage environnemental et relance économique, protection sociale nationale et justice globale impose en effet une refonte radicale des modes de pensée, d’action et de contestation, que la mobilisation actuelle peine encore à offrir.