Politique
Crise financière : quelles solutions ?
23.04.2008
Alors que la crise financière états-unienne de 2007 n’a peut-être pas fini de faire ses effets dans le reste du monde, il est impératif de revenir sur les causes de cet événement exceptionnel et d’envisager les outils qui permettraient d’enfin rendre le monde financier plus contrôlable.
La crise financière qui s’est développée depuis l’été 2007 était, sous une forme ou une autre, attendue. Elle part du marché des sub-primes américaines et aurait pu partir d’ailleurs, mais ce qui impressionne c’est l’amplitude de sa propagation, son impact sur les autres marchés, au premier titre le marché européen et l’incertitude sur les conditions de son dénouement. Comme toute crise financière, elle a une double origine. Elle traduit d’abord une situation économique réelle liée au mode de croissance des États-Unis, les déséquilibres mondiaux et les besoins d’ajustement massifs qui en résultent. Elle intervient dans un contexte marqué par la hausse du prix des «commodities» Biens de consommation, en général des matières premières (produits agricoles, énergie) mais aussi transformé (électricité) dont la valeur ajoutée d’un produit à l’autre est peu variable à commencer par l’énergie et un taux de change du dollar historiquement bas. Elle est ensuite la matérialisation des dérives nées d’une confiance excessive dans la prise de risques pour stimuler le profit dans un système financier globalisé insuffisamment régulé ou supervisé. Elle sert de révélateur à un système qui avait atteint certaines limites. Mais comme toute crise financière, elle a ses caractéristiques propres qu’il faut identifier pour pouvoir agir. Elle oblige à ré-ouvrir des débats pendants entre partisans de l’autorégulation ou d’une attitude «business friendly» et intervention d’une forme de puissance publique, entre mode d’organisation des pouvoirs et contre-pouvoirs. Longtemps ce débat était quasiment interdit parce que tout partisan d’une régulation des marchés était accusé de vouloir brider l’innovation financière utile au financement de l’économie et de prendre le risque de voir les capitaux fuir. En réalité aujourd’hui, chacun devrait reconnaître que l’innovation financière de ces dernières années a permis un développement considérable des mécanismes de financement de l’économie. Mais elle s’est aussi accompagnée d’une financiarisation de l’économie, qui, dans une période d’argent bon marché, n’a pas conduit à une optimisation de l’allocation du capital, celui-ci cherchant d’abord des rendements élevés plus que le financement des investissements à long terme nécessaires à l’adaptation de l’économie aux défis de la mondialisation. Quant au risque de fuite des capitaux, la seule fuite massive que l’on observe c’est celle des conséquences de la crise américaine des sub-primes au-delà de ce pays.
Caractéristiques de la crise
Cette crise part de la diffusion à la planète d’un risque américain, lié à une pratique laxiste, développée par des banques et des non-banques, de crédits immobiliers sous forme d’hypothèques. En clair, en cas de défaut de paiement, l’établissement préteur récupère le bien immobilier. Ces crédits hypothécaires sont accordés sous forme de prêts à taux variables à des ménages aux revenus faibles affectés d’une prime de risque «subprime». Ces types de crédit ont pu être proposé grâce à une innovation financière, la titrisation qui permet à celui qui propose le produit à risque de s’en débarrasser et de le revendre par morceaux, par titres. Ceux-ci sont ensuite mélangés, reconditionnés avec des produits plus sûrs et deviennent des produits complexes où le risque est dispersé et donc à priori plus facile à amortir tant que tout va bien mais aussi moins identifiable. Cette crise s’est développée du fait de l’incertitude sur le risque réel encouru par les différents intervenants de marché. La complexité des pratiques de titrisation qui conduisent à des prises de risques que ne maîtrisent ni les investisseurs, ni les superviseurs est en cause. Une fois la crise révélée, l’opacité des mécanismes conduit à une rupture totale de la confiance, fondement même du fonctionnement de tout marché. La baisse des marchés actions alors même que la profitabilité des entreprises atteint des niveaux records, troisième caractéristique de cette crise, s’explique par une aversion soudaine et accrue à la prise de risques.
Un système incontrôlable
Cette crise née sur les marchés américains est en train de se propager à l’ensemble de la planète par deux canaux. Le premier, direct, est celui des marchés financiers où les établissements financiers engagés sur des produits complexes ayant permis de reconditionner des sub-primes sont affectés. Le second canal de retransmission affectant l’ensemble de la planète, est celui des échanges et des conséquences sur le commerce international de la récession dans laquelle l’économie américaine est entrée. Cependant, cette crise n’affectera pas toutes les économies de la même manière. Il est trop tôt pour tirer tous les enseignements de cette crise, qui n’est pas terminée, et dont il est difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact sur l’économie. Mais elle marque un besoin d’ajustement global du système financier. La financiarisation de l’économie mondiale a produit un système instable, caractérisé par la quête d’une rentabilité toujours plus élevée, obtenue momentanément par des montages financiers complexes. La finance s’est historiquement caractérisée par des phases de grand optimisme, d’exubérance, auxquelles succèdent des phases soudaines d’aversion pour le risque, du fait de mouvements moutonniers. Cette crise remet au goût du jour des principes sains que la «planète finance» oublie régulièrement et que la planète politique n’ose pas toujours rappeler ou imposer, en particulier qu’une profitabilité élevée ne peut pas être sans risques. Après 30 ans de libéralisation financière à l’échelle mondiale et dix ans d’argent bon marché voulus par les décideurs politiques et promus par les institutions internationales, le système est devenu quasi incontrôlable. Ce ne serait pas si inquiétant si les difficultés du secteur financier demeuraient cantonnées à ce dernier, mais elles ont des répercussions rapides sur la croissance. Bien sûr nous ne voulons pas d’une législation type «Sarbanes-Oxley» Loi votée aux États-Unis en 2002 portant réforme, dans l’urgence, de la comptabilité des sociétés cotées et de la responsabilité des investisseurs après différents scandales financiers (Enron, Worldcom…) , trop vite et trop mal ficelée, mais obligeons ceux qui ont trop longtemps plaidé le «laissez faire, laissez passer, enrichissez vous» à tirer les leçons de la situation actuelle.
Comment réguler le système financier ?
En Europe, dès le 9 août 2007, la Banque centrale européenne a réagi en injectant d’importantes liquidités sur le marché. En intervenant ainsi elle a permis à l’ensemble des établissements bancaires de se refinancer, sans distinction de passeport. En clair, alors que la Banque d’Angleterre refusait d’intervenir, les grandes banques d’investissement installées à Londres, se sont refinancées auprès de la BCE. D’une certaine manière, la BCE a sauvé la City. Elle a été critiquée à tort tant Outre-manche qu’Outre-atlantique alors que ces interventions massives ont permis au marché de continuer à fonctionner. Mais, compte tenu de la nature de la crise, quelle est l’efficacité de la seule politique monétaire pour rétablir la confiance des marchés ou relancer l’économie ? Les taux longtemps bas n’ont pas toujours conduit à un financement des investissements à long terme nécessaires et ont alimenté les activités spéculatives des «hedges funds» et «private equity» fonds alternatifs ou spéculatifs et fonds de capital investissement… Aujourd’hui, les interventions massives et la baisse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale ou Fed, banque centrale des États-Unis ne suffisent pas à rétablir la confiance et à empêcher l’entrée en récession de l’économie américaine. Que faire alors ? Certaines réponses dépendent bien sûr des États-Unis et de leur capacité à effacer la dette des ménages et pour le futur à se doter d’une législation plus protectrice des consommateurs. Pour l’Europe, des propositions sont sur la table qui fondent la feuille de route adoptée par le Conseil Ecofin d’octobre 2007 et du Conseil européen de mars 2008. Quelles sont ces propositions et que faut-il en penser ? 1) Beaucoup plaident aujourd’hui à juste titre pour la transparence des pertes subies ou envisagées. Si l’on veut rétablir les mécanismes de fonctionnement du marché, c’est-à-dire notamment la confiance, c’est indispensable. Simplement, dans un monde concurrentiel où les établissements sont obsédés par leur profit mais aussi par leur réputation, il est peu probable qu’ils divulguent des pertes avant qu’elles ne soient réalisées. De plus, certains plaideront qu’une transparence trop grande risque d’accélérer des effets indésirables. Tout ceci explique sans doute que plus de huit mois après les premiers appels à la transparence, on soit toujours dans le brouillard. Cela confirme que si un marché, pour bien fonctionner, doit être transparent, il ne le fait pas naturellement, bien au contraire, d’où l’importance pour le régulateur de trouver des incitations. 2) Il faut aussi porter plus d’attention au rôle des agences de notation Entreprises chargées de la notation d’entreprises ou de collectivités (États…) en fonction de critères définis par une réglementation ou par des acteurs de marchés. Cette notation est un critère clé dans l’évaluation de la qualité du risque pour l’investisseur. Elles sont rémunérées par ceux qui souhaitent faire évaluer leurs produits pour les vendre sur le marché , en position d’oligopole. Elles ne peuvent servir de seul bouc émissaire, on ne peut pas leur reprocher de ne pas avoir évalué les risques de liquidités qui n’étaient pas dans leur mandat. Elles ne sont pas non plus responsables de l’utilisation que les investisseurs ou les superviseurs ont faite de ces notations sans contre-expertise. Mais, elles jouent un rôle clé dans l’élaboration des titrisations, vecteur de la crise qu’elles évaluent par ailleurs. Leur conflit d’intérêt est patent ainsi qu’un manque réel de transparence et il est permis d’émettre des doutes sur la pertinence du code de conduite adopté en 2004 qui prétend résoudre le problème et que certains pensent aujourd’hui suffisant de réviser. 3) Des propositions seront élaborées pour modifier les accords de Bâle 2 sur les conditions dans lesquelles les banques doivent organiser leurs fonds propres pour mettre davantage l’accent sur les risques de liquidités et modifier la façon dont les banques prennent en compte dans leur bilan les produits complexes, titrisés… Elles sont les bienvenues, mais cela ne peut pas être l’arbre qui cache la forêt. 4) Des initiatives pour revoir les systèmes de dépôt de garantie pour les adapter à la réalité de l’intégration financière et au développement d’établissements financiers intervenant dans plusieurs États sont avancées. Nous le demandions avec insistance et jusqu’ici la Commission considérait qu’il était urgent d’attendre. 5) Sur les fonds souverains Fonds de placements qui gèrent les biens financiers d’un État et les investissent dans des placements variés (actions, obligations, immobilier…) qui sont en général de long terme , une réflexion est engagée qui pourrait conduire à l’adoption là aussi d’un code de conduite. En attendant, après les inquiétudes manifestées au regard des secteurs stratégiques que ces fonds pourraient détenir, certains oublient la stratégie de conquête des entreprises occidentales dans les réseaux d’eau ou d’électricité de pays en développement et les grandes banques d’investissement aux abois les appellent à la rescousse ! 6) Il est proposé de renforcer les mécanismes d’alerte précoce au niveau du FMI mais aussi de la coordination des superviseurs européens (CEBS, CEIOPS et CESR). L’efficacité de tels mécanismes qui reviennent à mettre sur un paquet de cigarettes «fumer tue» reste limitée. Cela dit, si des progrès peuvent êtres accomplis dans ce domaine, il n’y a pas de raison de les refuser. Pour autant que ces propositions ne doivent pas servir d’alibi à ceux qui ne veulent pas sérieusement traiter le problème là où il doit l’être, c’est-à-dire dans les structures de supervision que ce soit aux États-Unis ou en Europe. Au delà de ces pistes qui font aujourd’hui consensus mais dont on vient d’examiner les limites, il est vraisemblable que le marché répondra assez naturellement par un retour à des produits plus standard et à une re-intermédiation. Mais d’autres chantiers doivent également être ouverts : La transparence et la régulation d’entités engagées dans la prise de risque excessive, tels que les fonds alternatifs et les fonds de capital investissement doivent être organisées. Les normes comptables qui favorisent l’évaluation à la valeur de marché ne doivent pas être généralisées alors même que le marché peut disparaître à tout moment par manque d’acheteurs comme on l’a vu au cours de l’été 2007. La question de politique fiscale d’incitation à l’endettement doit être examinée, de la même manière qu’une action internationale déterminée à l’égard des paradis fiscaux qui servent de refuge aux montages financiers les plus opaques et les plus risqués devrait être engagée. De plus, des actions devront être entreprises au regard des modes de rémunération des intermédiaires qui interviennent aux différents stades du conditionnement de produits financiers ou dans celle des gestionnaires de fonds alternatifs et de capital investissement. Les enjeux en termes de concurrence doivent également être examinés. Est-il normal que la Commission européenne s’acharne à découpler les activités de grands groupes industriels dans le domaine énergétique et qu’en revanche, elle refuse d’engager la moindre action à l’égard des agences de notation, des sociétés d’audit ou des grandes banques d’investissement ? L’essentiel réside dans l’organisation de contre-pouvoirs et donc d’une régulation mais aussi d’une supervision adaptées qui permettent notamment une meilleure prévention et gestion des crises. Si l’on regarde pourquoi Goldman Sachs, l’une des plus anciennes et plus importantes banques d’investissement, a pu se retirer des segments les plus risqués du marché à temps ou ce qui s’est passé à la Société générale, la réponse est la même. Chez Goldman Sachs, le responsable des études avait d’abord une vision globale des marchés, disposant de davantage d’informations que les superviseurs et surtout de l’oreille du PDG de la banque dont il est très proche. À la Société générale, au-delà de la fraude, les alertes n’ont pas été assez fortes au regard des enjeux de profit. Dans les éléments, qui, en Europe, sont sur la table, tout ce qui permettra d’avancer doit être pris. Il reste qu’à terme, on imagine mal comment la question du rôle de la BCE en tant que superviseur des grandes banques pour la zone euro pourrait ne pas être posée alors qu’elle intervient comme préteur de dernier ressort mais que ce sont les autorités nationales qui collectent les informations des établissements avec des structures et des exigences totalement variables. En attendant, il faut renforcer les moyens de coordination des superviseurs nationaux, harmoniser les données qui doivent être collectées par eux et donner à leur coordination des pouvoirs autonomes. Il faut aussi progresser pragmatiquement dans la supervision des acteurs trans-frontières en prenant garde de maintenir l’objectif d’une optimisation du dispositif sans attendre la prochaine crise, lorsque la pression de l’urgence liée à la crise actuelle sera retombée.
Qui peut agir ?
L’autorégulation ayant clairement montré ses limites, et les questions en jeu étant d’intérêt public, rien de tout cela ne sera possible sans un engagement fort des responsables politiques. De ce point de vue, il faut relever les enjeux d’une discussion sur ces questions à l’Eurogroupe alors que la BCE intervient comme préteur de dernier ressort et de la présidence française à venir de l’Union européenne. La question de l’achèvement du marché financier par l’élaboration d’un dispositif de supervision cohérent et adapté à la réalité du développement du marché européen était déjà sur la table avant le déclenchement de la crise de l’été 2007. Cela n’avait malheureusement pas fait partie du mandat du Baron Lamfalussy lorsqu’il avait en 2000 été chargé d’élaborer le plan d’action des marchés financiers. Depuis, ce chantier restait donc ouvert. La crise rend cet agenda d’autant plus important. Il n’a de chances d’aboutir que s’il est porté au niveau politique le plus haut comme l’Allemagne a su au cours de sa présidence porter le sujet de l’énergie. Mais dans un système financier international de libre circulation des capitaux, l’action doit aussi être internationale. Or, en la matière, il y a deux acteurs principaux, l’Union européenne et les États-Unis. Traditionnellement rétifs à une meilleure maîtrise de la sphère financière, du fait du lobbying des banques d’investissement de Wall Street, les États-Unis vont y être plus sensibles sous la pression de la crise actuelle. Il faut donc profiter de cette occasion pour les convaincre d’agir enfin. Pour cela la position européenne doit être claire et forte. Or la réglementation des services financiers est de compétence européenne. Il est temps de mettre sous pression le commissaire responsable de ces questions et la Commission européenne, qui a le droit d’initiative, doit assumer ses responsabilités en la matière et faire évoluer la réglementation selon les axes évoqués ici.
Inventer de nouveaux outils financiers
Le dénouement de cette crise n’est pas encore connu. Ce qui paraît pourtant déjà certain, c’est qu’elle marque un nouvel âge de la globalisation où l’inflation, du fait du prix des «commodities», sera de retour alors qu’au cours des dix ans qui viennent de s’écouler elle a conduit à une baisse des prix. Cela va obliger les banquiers centraux à arbitrer entre taux de change et inflation rendant leur vie plus difficile. Cela devrait conduire à de vrais ajustements et en particulier à : une baisse de la consommation des ménages américains, question difficile à résoudre sans traiter la question de la pauvreté dans ce pays ; un modèle chinois de consommation qui ne soit pas le modèle américain ; un regain de régulation et de supervision. L’une des questions que nous devons nous poser est celle de savoir si nous sommes capables de susciter l’invention des outils financiers qui permettront d’utiliser utilement la bulle financière qui est en train de se constituer autour des «commodities», produits agricoles et énergétiques, au service du plus grand nombre, des emplois et du développement durable pour lesquels des investissements importants doivent être réalisés. Saurons-nous trouver le niveau de régulation et de supervision adapté pour corriger le marché ? Saurons-nous optimiser cette prochaine bulle financière pour la mettre au service du financement de l’économie non financière ?