Politique
Crise à l’ULB : le syndrome de la forteresse assiégée
17.11.2010
Bandits contre conspirateurs
Le fonctionnement du conseil d’administration est bien à l’origine de la crise. Celui-ci est composé des différents corps de la communauté universitaire, avec une forte présence du corps académique et comprend quelques membres cooptés. Le CA élit son président tandis que le recteur est élu par l’ensemble du corps académique. Cette direction bicéphale autorise une tension entre le président, responsable de l’administration et des finances, et le recteur chargé de l’aspect académique de l’institution. Or, il apparaissait clairement, dès le début de leur cohabitation, que le président Jean-Louis Vanherweghem et le recteur Philippe Vincke n’avaient pas d’atomes crochus. Au fil des dossiers, les occasions de frictions n’ont pas fait défaut. Ceci n’est cependant pas suffisant pour expliquer une crise d’une telle ampleur. Pour comprendre la situation actuelle, il faut se reporter aux dernières élections du CA qui ont abouti à l’élection de plusieurs membres – étudiants, employés, techniciens, assistants, chercheurs et académiques – dans une liste intitulée « interfac ». Celle-ci est devenue majoritaire au sein du CA en opposition avec le recteur, accusé de constituer, avec les doyens, les vice-recteurs et les conseillers un pouvoir parallèle. Le vote intervenu le 20 septembre qui a abouti à recaler deux candidats du recteur pour des fonctions de vice-recteur, a été l’aboutissement de cette dynamique. Que recouvre cette opposition ? Peut-elle se réduire, à entendre les protagonistes, pour les uns à une lutte contre « les bandits » de la liste « interfac » et pour les autres à un combat contre les « conspirateurs » rassemblés autour du recteur ? Suite à la démission du recteur, on a assisté à une levée de boucliers des conseils facultaires, des assemblées des personnels administratif et technique, scientifique et académique, des motions et pétitions, soutenues même par les sections syndicales CGSP et CNE qui réclamaient la démission du CA et vouaient la liste « interfac » aux gémonies. Les élus de cette liste, majoritaires au CA, se sont ainsi trouvés sans relais et isolés au sein de la communauté universitaire.
Une majorité alternative pour quoi faire ?
Comment se fait-il que « la majorité alternative » dont se prévalait la « liste interfac », n’ait pas trouvé, comme cela s’était déjà fait précédemment, un soutien dans ce que l’on peut qualifier de gauche universitaire ? D’autant plus que cette liste cassait la majorité automatique du corps académique et partait à l’assaut des facultés et du rectorat que beaucoup considèrent, à tort ou à raison, comme les bastions du conservatisme académique. La composition de la « liste interfac » permet de comprendre le divorce entre « majorité alternative » et « gauche universitaire » et aboutit à l’isolement de la « liste interfac ». Celle-ci regroupe au CA la grande majorité des représentants étudiants, la totalité des représentants du personnel scientifique, les représentants du personnel administratif considérés comme apparentés aux libéraux, à l’exclusion des représentants dits progressistes liés aux syndicats (CGSP et CNE) et d’une minorité de représentants académiques. Si bien que cette liste ne paraissait pas reposer sur une orientation de type idéologique, mais bien sûr une grande cohérence interpersonnelle autour du vice-président du CA Fabrizio Bucella. D’emblée, la « centralité du conseil » au détriment du recteur et des facultés que proclamait « l’interfac » paraissait subordonnée à celle de porter F. Bucella à la présidence du CA en janvier, au terme du mandat du président actuel. L’intégration des écoles d’architecture Horta et La Cambre à l’ULB a envenimé les débats et a fonctionné, aux yeux d’une grande partie de la communauté universitaire, comme le révélateur des ambitions personnelles qui animaient le groupe « interfac ». Les figures emblématiques de cette liste, Fabrizio Bucella, par ailleurs directeur général de l’Institut supérieur d’architecture intercommunal (ISAI) dont fait partie l’Institut Horta, et Gregory Lewkowicz, représentant du personnel scientifique et candidat (avec succès) à un enseignement dans cet institut, ont laissé planer plus que des apparences de conflit d’intérêt que le seul respect formel des procédures n’a pas suffi à dissiper.
Le pire ennemi de l’ULB
Au moment culminant des conflits qui déchiraient l’université, le président du CA Jean-Louis Vanherweghem a voulu calmer le jeu par un entretien au journal Le Soir du 9 et 10 octobre 2010. Il affirmait que « le CA fonctionne et prend les décisions. Dans la toute grande majorité des cas, disait-il, elles se prennent au consensus ou à des majorités énormes ». Il en ressort, ajoutait J-L Vanherweghem, que « sur l’avenir de l’ULB, il n’y a pas de clans ». Il citait à l’appui de ses dires que la décision du CA concernant la constitution de l’Académie Wallonie-Bruxelles autour de l’ULB avait été prise à l’unanimité et concluait que la démission du recteur n’était pas liée à des divergences d’orientation politique mais « à des problèmes internes à l’ULB ». Dans le climat empoisonné qui régnait à l’université, il était prévisible que l’intervention du président ne pouvait apaiser les esprits surchauffés, mais devait ajouter de l’eau au moulin des animosités. N’est-ce pas précisément parce qu’aucun vrai débat ne traversait le CA que les oppositions se réduisaient aux affrontements des ambitions personnelles ? En effet, lorsque le 1er février 2002, l’ULB prit l’initiative d’un regroupement laïque par la création d’un pôle universitaire, elle avait choisi de se rabattre sur ses « valeurs », ravivant de ce fait le clivage philosophique qui segmente la société belge, sans privilégier les complémentarités scientifiques et pédagogiques dans la restructuration du paysage universitaire de la Communauté française On peut se référer sur cette question à l’excellente étude de Michel Molitor, « Les transformations du paysage universitaire en Communauté française », Bruxelles, Courrier hebdomadaire du Crisp, n°2052-2053, 2010. Ce consensus sans débat permet précisément au président d’écarter « toute relation de cause à effet » entre la crise interne de l’institution qui oppose les protagonistes et une orientation politique, unanimement partagée. L’ULB paraît se conforter dès lors dans une position de forteresse assiégée, constamment menacée par le monde chrétien, son adversaire traditionnel, et incomprise par ses soutiens potentiels, libéraux, socialistes et écologistes. Se sentant lâchée au surplus par ses alliés montois, elle craint d’être plus isolée que jamais. Son incapacité à mener un débat politique sérieux, que devraient pourtant permettre ses structures démocratiques, favorise un repli frileux qui exacerbe les rivalités internes. Dans cette configuration, le pire ennemi de l’ULB ne peut être que l’ULB elle-même.
Le nouveau management universitaire
Fabrizio Bucella a des raisons pour se plaindre de la stigmatisation dont lui et ses partisans font l’objet. Il n’y a certes pas d’un côté, comme il l’affirme au Soir (14 octobre 2010), « des personnes soucieuses de l’intérêt général libres dans leurs opinions » et de l’autre ceux « qui sont mus par des ambitions personnelles et qui obéissent à des consignes de vote ». De l’aveu des deux parties, sur les grandes questions, les décisions ont été consensuelles et les conflits ont toujours porté sur des personnes. N’est-ce pas là que se situe le problème réel ? En attendant, le 18 octobre, le CA a conclu un cessez-le-feu avant l’élection d’un recteur en décembre et d’un président en janvier. L’apport nécessaire d’une liste alternative ne devrait-il pas précisément être l’inverse ? En particulier, dans les universités aujourd’hui « gangrenées » (le terme paraît ici plus approprié que son usage dans la polémique interne à l’ULB) par le « nouveau management public », ne fallait-il pas poser les questions des évaluations qui exacerbent les rivalités, du formatage de la recherche en « projets » et de l’enseignement en filières livrées à la concurrence qui entraînent la marchandisation des connaissances ? Ces orientations se traduisent dans les budgets des institutions. Aucune référence n’est faite à ces questions par les protagonistes des différents « clans ». Cette transfiguration des débats occultés en haines corses et polémiques stériles ne serait-elle pas précisément le produit de la version universitaire des nouveaux modes de « management public » ?