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Conférence ministérielle de l’OMC à Bali : la voie sacrée pour les pays pauvres ?

La 9ème Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui se tient du 3 au 6 décembre à Bali (Indonésie), a pour objectif de sortir le « Cycle de Doha » de l’ornière. Lancé en 2001, celui-ci avait pour mission de placer le développement des pays pauvres au cœur de l’agenda. Les divergences entre pays développés, émergents et en développement étant trop profondes, l’échéance de 2005 n’a pu être respectée. Estimant que leurs préoccupations n’ont pas été entendues, les pays en développement (PED) ont, pour leur part, claqué la porte. Dans une ultime tentative de réanimation du « Cycle comateux de Doha », l’enjeu de Bali est à présent de décrocher quelques accords partiels.

La mondialisation de l’économie, dopée par la libéralisation des échanges, est loin d’avoir bénéficié à l’ensemble des pays en développement. Les pays moins avancés (PMA), en particulier ceux d’Afrique, ont au contraire été davantage marginalisés.

Forte de la conviction que la libéralisation du commerce est vectrice de développement, l’UE et ses États membres sont favorables à la conclusion du cycle de Doha. Ce n’est pas neuf : les instances européennes placent le commerce au centre du dispositif qui vise la lutte contre la pauvreté dans le monde. A cet effet, elle plaide pour davantage d’insertion des pays pauvres dans le commerce mondial et préconise le renforcement de l’OMC pour traquer les éventuelles tendances protectionnistes. De cette façon, les instances européennes entendent instaurer un cercle vertueux entre commerce, compétitivité, croissance. Or, ce postulat procède davantage du prisme idéologique que d’une réalité avérée. L’UE fait mine d’ignorer que le commerce est également générateur de pauvreté. La mondialisation de l’économie, dopée par la libéralisation des échanges, est loin d’avoir bénéficié à l’ensemble des pays en développement. Les pays moins avancés (PMA), en particulier ceux d’Afrique, ont au contraire été davantage marginalisés. Au lieu d’œuvrer à la diversification économique de ces pays, la mondialisation les a enfermés dans une logique de spécialisation dans quelques produits d’exportation, notamment de matières premières, les rendant de facto plus vulnérables par rapport aux aléas internationaux de la fluctuation des prix. Les conclusions tirées par la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) sont sans appel. A l’épreuve des faits, celle-ci en appelle à davantage de prudence concernant la libéralisation des échanges. Selon elle, la libération des échanges hâtive entamée par beaucoup de PED au faible revenu dans les années 1980 et 1990 a mené à leur désindustrialisation prématurée et a intensifié leur dépendance et vulnérabilité aux fluctuations extérieures. A l’inverse, les pays qui ont réduit substantiellement leur niveau de pauvreté absolue sont ceux qui ont ouvert leurs économies modérément, graduellement, conformément au stade de développement de leurs possibilités de production. De même, elle souligne que « l’extrême pauvreté qui sévit dans les PMA démontre que le modèle de développement dominant, qui préconise leur intégration rapide dans l’économie globale par la libération d’échanges, n’a ni permis aux pays pauvres de réduire leur taux de pauvreté ni résolu leurs problèmes économiques et structuraux de base (…). Et ce, malgré le fait que les pays les plus pauvres au monde sont plus ouverts et intégrés dans le système commercial international que les économies avancées« . En clair, la vision qui lie les problèmes des économies pauvres à leur manque d’intégration dans l’économie globale ne se conforme pas à la réalité. A l’heure où les Etats de l’UE s’apprêtent à s’asseoir à la table de négociations à Bali pour réclamer davantage de libéralisation, il conviendrait de remettre à plat quelques idées reçues, dont celle – persistante – qu’il y aurait un lien automatique entre ouverture internationale du commerce et lutte contre la pauvreté.

Des raisons pour freiner la course de la libéralisation commerciale

Trois bonnes raisons devraient motiver les instances publiques en Europe à ne pas se lancer bille en tête dans la course effrénée de la libéralisation commerciale. En premier lieu, les questions commerciales corsètent le débat démocratique. Les droits de douane au niveau mondial n’ont jamais été aussi bas. Désormais, le processus de libéralisation des échanges s’attaque aux dits « obstacles techniques au commerce ». Comprenez les normes sociales ou environnementales, de sécurité et de santé publique ou de protection de consommateurs, édictées par les législateurs, ici ou ailleurs. Sous ce jargon commercial, se cachent donc des questions éminemment citoyennes, dont il ne pourrait être question de mettre sous le boisseau. En érigeant l’OMC comme « modèle de développement », l’UE fait du respect des droits humains des objectifs subsidiaires aux considérations commerciales. En deuxième lieu, en agitant à tous vents l’épouvantail du « protectionnisme », les pays industrialisés laissent entendre que la libéralisation commerciale est le sésame de la prospérité. Or, privilégier un modèle de développement « taille unique » axé sur une stratégie d’exportation peut s’avérer particulièrement pervers pour les populations des pays hôtes. Au Cambodge, les effets collatéraux de l’initiative européenne « Tout Sauf les Armes », qui consiste à accorder aux pays les plus pauvres un accès au marché européen libre de toutes taxes douanières ou de quotas, en constituent un exemple éloquent. Les avantages commerciaux consentis par l’UE auront indirectement dopé le processus d’accaparement des terres : ils aiguisent l’appétit d’entreprises sucrières qui expulsent des milliers de paysannes et paysans de leurs terres et vont jusqu’à détruire des villages pour produire davantage. En troisième lieu, dans un contexte de crise climatique, où la hausse vertigineuse des transports est responsable d’une émission sans cesse croissante des gaz à effet de serre, il est irresponsable d’en appeler, dans la foulée de la Conférence internationale de Varsovie sur le climat, à davantage de libéralisation du commerce extérieur, alors qu’il est générateur d’une dette écologique sans précédent. Les règles du commerce international doivent évoluer au regard de l’urgence climatique. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une économie faite de petites et moyennes entreprises, irriguant des marchés principalement locaux, régionaux et nationaux, plutôt que de continuer dans une économie dominée par des multinationales taillées pour un marché mondial. En opérant ce changement de paradigme, l’UE y gagnerait en crédibilité dans sa lutte contre le réchauffement climatique, mais également dans la mise en œuvre de l’article 208 du Traité de Lisbonne, selon lequel la priorité de l’UE est d’éradiquer la pauvreté dans le monde.

Des négociations à armes égales avant tout !

Dès lors que la Conférence ministérielle de l’OMC à Bali procède d’une vision étriquée basée sur le « Haro sur le protectionnisme ! », le « Cycle de Doha » risque de tourner en eau de boudin pour les pays pauvres. Certes, la conférence de Bali est aussi l’occasion de rééquilibrer les accords commerciaux en tenant compte des préoccupations légitimes des pays pauvres. Toutefois, il ne peut être question de faire l’économie du débat sur le bien-fondé de la fuite en avant vers davantage de libéralisation du commerce. Au minimum, il convient de procéder préalablement à une étude d’impact des accords commerciaux actuels vis-à-vis des pays pauvres pour restaurer la confiance et le dialogue entre les partenaires. Parallèlement, il est indispensable de préserver le cadre multilatéral des négociations commerciales. Sans quoi le sort des pays pauvres risque d’être funeste. En ce que la logique de négociations bilatérale et plurilatérale les fragilise davantage. Pour preuve, la profusion des accords bilatéraux internationaux, qui mettent à mal les mécanismes de flexibilité existant au sein de l’OMC, notamment en matière de propriété intellectuelle, où l’UE impose entre autres, par le biais de négociations commerciales bilatérales, des concessions aux pays pauvres qu’ils se sont refusé d’octroyer dans l’enceinte du « Cycle de Millénaire » de l’OMC. En conclusion, la marginalisation de l’OMC en faveur d’arrangements bilatéraux, régionaux et plurilatéraux ne constitue nullement une alternative. Mais si l’abandon de l’approche multilatérale est à proscrire, la réforme de l’OMC s’impose tout autant. L’enjeu étant de s’assurer que les accords commerciaux soient réellement équilibrés et conformes aux engagements internationaux pris par l’UE pour répondre aux défis sociaux et écologiques, qu’il s’agisse des objectifs du Millénaire, de la lutte contre le changement climatique ou de la préservation de la biodiversité, dans l’intérêt collectif.