Politique
Concurrence
10.12.2004
CONCURRENCE: Il est de bon ton de dire qu’elle s’est exacerbée dans un monde globalisé. Être concurrentiel serait désormais pour chaque entreprise une question de vie et de mort. Les salariés sont donc sommés par leur direction d’accepter une nouvelle baisse des salaires, un accroissement de l’intensité du travail ou une augmentation du temps de travail, sans quoi l’entreprise perdrait sa compétitivité. Refuser la proposition patronale reviendrait alors à accepter la fermeture de l’entreprise et la perte des emplois. Quel délégué syndical pourrait-il refuser de signer un accord qui, sinon, priverait les salariés de leur travail? Prenons la firme de courrier express DHL qui, pendant l’automne 2004, aura mis le pays sans dessus dessous. Il ne semble pas que DHL souffre exagérément de la concurrence de ses rivales. Pourtant, elle a mis en concurrence différents pays, régions et aéroports. Qui de Zaventem, Vatry, Leipzig, Bierset ou de Cologne peut lui donner les meilleurs avantages en termes d’infrastructures aéroportuaires, de communications, de personnel et de tolérance au bruit pour bénéficier de son implantation? Comme ni le gouvernement fédéral, ni les gouvernements des régions, n’ont accepté d’augmenter les vols nocturnes et les nuisances dans la proportion demandée par DHL et d’empoisonner encore plus la vie des habitants, non seulement les nouveaux emplois (à temps partiel, à bas salaires, à durée déterminée et à horaires flexibles) iront ailleurs, mais Zaventem se verrait aussi privée de 1700 emplois dans les prochaines années. Il faudrait donc aux autres régions pressenties d’avoir des pouvoirs publics plus dociles et moins regardants quant à la détérioration de leur environnement pour «gagner la guerre économique» et mériter en récompense l’implantation de DHL sur leur territoire. Autre exemple : VW décide de diminuer ses coûts de 30%. Pour ce faire, la multinationale met ses différents sièges européens en concurrence. Déjà en temps normal, chaque fois qu’une proposition de la direction n’est pas rencontrée ou que les syndicats deviennent trop revendicatifs dans une usine, des quotas de production sont transférés vers d’autres sièges. Pour «mériter» de pouvoir monter à Bruxelles la nouvelle Golf, les travailleurs avaient déjà accepté une intensification plus grande de leur travail et la région avait cédé des terrains de la STIB près de l’usine VW de Forest pour que celle-ci puisse mieux se déployer. Ce deal n’aura cependant pas suffi. Maintenant c’est sous la menace des suppressions d’emplois que l’on discute. En cédant aux injonctions de la direction, les pertes d’emplois ne dépasseraient pas quelques centaines, laisse à présent entendre la direction. Quelle délégation syndicale pourrait résister aux injonctions patronales et risquer le transfert des activités de l’entreprise sur un autre site? La question est donc moins celle de la concurrence que se livrent les entreprises entre elles, que la mise en concurrence par celles-ci de plusieurs sites pour accueillir leurs activités. Les marchandises, les services, les capitaux et les informations sont désormais mobiles dans l’espace mondial alors que le travail comme les ressources naturelles restent relativement immobiles. Dès lors la compétition marchande traditionnelle se double d’une compétition entre les territoires pour attirer les investisseurs. Le libéralisme qui imprègne désormais les politiques gouvernementales, ne met pas tant en concurrence les entreprises, mais permet au contraire à celles-ci, en situation de monopole ou de concurrence oligopolistique, de mettre en concurrence les territoires et les États. Les politiques publiques se trouvent en conséquence réduites à déstabiliser l’emploi et à démanteler les protections sociales.