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Communales 2024. Au lendemain des élections, des discours qui en disent long

Montage Politique – Illustrations © Canva
Montage Politique – Illustrations © Canva

Le refrain est bien connu. En Belgique, après des élections, tout le monde gagne. Vraiment ? Une analyse du politologue François Debras.

C‘est le soir des élections. Je sors mon crayon, j’allume la télévision, je surfe sur les réseaux et j’écoute les différentes prises de parole des président·es de parti lors de la soirée électorale du dimanche 13 octobre. Les résultats tombent petit à petit, les responsables politiques prennent chacun·e à leur tour la parole. Communes gagnées, communes conservées, chacun·e arbore ses trophées. Mais chacun·e à sa façon. Petit tour d’horizon…

Ecolo et ses militant·es

Marie Lecoq et Samuel Cogolati s’expriment l’un après l’autre, en duo. Quand l’un prend la parole, l’autre acquiesce. Tous les deux en chemise et veston. Il n’est pas question ici de parler de victoire, mais il n’est pas question non plus d’utiliser le mot défaite. Il s’agit d’un « rebond par rapport au 9 juin ». Mais comment trouver des chiffres mobilisateurs, des chiffres encourageants ? Les résultats ? Non. Le porte-à-porte c:’est « à plus de 250.000 portes » que les militant·es du parti sont allés frapper pour écouter et partager avec les électeur·rices. 

Les termes les plus présents dans leur discours, c’est bien ceux-là, « militant·e », « militantisme ». Les deux coprésident·es remercient les militant·es pour leur travail, leurs actions, leur mobilisation. La « reconstruction » du parti se fera à partir du « terrain ». Dans un discours, ce qui est dit est ce qui ne va pas de soi. Une façon peut-être, pour Ecolo, de répondre à la critique selon laquelle le parti se serait éloigné de la société civile qui l’a vu naître. Ecolo reste « uni », reste « debout ». Loin du « duel de coqs » et du « bla bla », un seul mot d’ordre : créer des « bastions de solidarité ».

Les Engagés, tout en nuance

Premier prix de l’ambiance dans la salle. Chants, cris, hurlements, sauts, le bonheur est partout présent jusqu’au sourire, tout le long de son allocution, de Maxime Prévot qui porte une chemise et un pull. Ethos différent. 

Premier prix de l’ambiance dans la salle.

Le président cite les villes et les communes conquises et évoque une grande « victoire », des progressions et la « remontada » du parti. Oups, pardon, du « mouvement ». Les Engagés, c’est, comme le président l’affirme, un « mouvement citoyen positif ». Durant son allocution, Maxime Prévot ne remercie pas les militant·es. Le cœur de son intervention porte sur les « citoyens ». C’est d’ailleurs le terme le plus utilisé. Les citoyens qui ont accordé leur confiance aux Engagés. Les citoyens qui ont rejoint le mouvement. Les citoyens qui rejettent le « conflit » et préfèrent la « nuance », « l’écoute », la « bienveillance », le « bon sens ». Nous entendons une série de termes colorés positivement et venant confirmer les discours du parti qui, déjà pendant la campagne, étaient concentrés davantage sur le consensus que sur l’opposition. Une marque de fabrique de Maxime Prévot qui devra gouverner avec des personnalités aux discours bien plus polarisants… 

Le Mouvement réformateur (MR) sur la vague

Georges-Louis Bouchez est en costume, cravate bleue sur chemise blanche. Pins du drapeau belge. Sérieux. Il n’est pas à Mons. Il n’y a pas de militants, pas de public. Contrairement aux autres président·es, il ne prend pas la parole depuis son fief mais depuis Bruxelles, devant des journalistes présents pour l’interviewer. Le président du parti a mené une campagne nationale, souhaitant surfer sur les résultats du 9 juin. Tout naturellement donc, il se rend à la capitale, au siège de parti, pour « avoir une vue d’ensemble ». 

Le réel contre l’imaginaire, une figure de légitimation classique du discours politique.

Le discours est critique. Georges-Louis Bouchez revient sur les victoires du parti mais aussi sur les défaites de son principal opposant, le Parti socialiste (PS), citant des bourgmestres perdant leur mayorat.  Il se dit aussi « surpris » par l’analyse des médias : « C’est une confirmation des résultats du mois de juin », « on progresse partout ». Il enjoint les journalistes présents à regarder le « réel », la « réalité » plutôt que de « refaire des récits ». Le réel contre l’imaginaire, une figure de légitimation classique du discours politique. 

Le discours continue et le PS est, de nouveau, attaqué. Des métaphores sont lancées. C’est une « vague bleue ». Et, lorsqu’un journaliste lui pose la question de son résultat à Mons, il répond que « ce sont des vagues successives, et les vagues érodent toujours, même les pierres les plus solides ». 

Le Parti socialiste (PS) et ses candidat·es

Paul Magnette se présente en chemise et veston. Il est à Charleroi et prend la parole devant ses supporter·rices. Il répond directement à son adversaire, Georges-Louis Bouchez : « la vague bleue s’est fracassée contre le mur rouge ». 

Citer les prédictions défavorables, les mauvais sondages pour le parti et l’histoire d’une « Wallonie qui aurait basculé » renforce les victoires obtenues.

Le président du parti socialiste ne remercie pas en premier les militant·es, comme chez Ecolo, ni les citoyen·nes, comme chez les Engagés, il remercie les 4500 « candidat·es » pour leur investissement et leur énergie durant la campagne qui ont touché des milliers d’électeur·rices. Paul Magnette remercie également les citoyen·nes mobilisé·es dans les bureaux de vote, sans elles et eux, pas de « démocratie » ! 

Le discours est professoral et structuré et se divise en trois parties : prévisions, réalisations et leçons. Citer les prédictions défavorables, les mauvais sondages pour le parti et l’histoire d’une « Wallonie qui aurait basculé » renforce d’autant plus les victoires obtenues. Le discours parle des candidat·es, de leur proximité de terrain avec les électeur·rices, du projet du parti socialiste et des pourcentages gagnés. L’intervention se termine, un grand sourire aux lèvres et les bras levés au ciel, sur la « remontada ». C’est la victoire ! Mais s’il y a remontée, c’est qu’il y a eu chute, non ? 

Le Parti du travail de Belgique (PTB) et sa campagne permanente

Veston et T-shirt. Professionnel et authentique. La rue dans le parlement. Le parlement dans la rue. Logique du double discours, dans la forme mais aussi dans le fond. Le PTB est le seul parti national, c’est donc dans les deux langues que s’exprime Raoul Hedebouw, passant sans cesse d’une à l’autre. Quelques mots en français, quelques mots en néerlandais. Il n’y a pas à dire, ça impressionne toujours. 

Le président ne s’adresse ni aux militant·es, ni aux citoyen·nes, ni aux candidat·es mais bien sûr à ses « camarades » ! C’est le terme le plus utilisé de son intervention. Chacune de ces appellations renvoient à des idéologies différentes et des stratégies discursives calculées qui forgent l’imaginaire de ces formations politiques.  

Le président ne s’adresse ni aux militant·es, ni aux citoyen·nes, ni aux candidat·es mais à ses « camarades » !

Pour le PTB, la campagne n’est pas terminée. C’est une campagne permanente. Le président rappelle certains éléments de son programme comme les questions du logement et de la précarité. Pour parler de son parti, il évoque un « enracinement », une « progression », une « percée ». Autrement dit, le parti progresse. On ne peut plus l’arrêter, il va continuer à croître. Le discours est résolument tourné vers l’avenir avec des appels à la « participation » dans des majorités afin de répondre à la critique formulée par ses opposants selon laquelle le parti rejetterait ses responsabilités.Moment plus solennel, Raoul Hedebouw évoque également le taux d’abstention en Flandre, une interrogation sur la mobilisation des jeunes et mentionne un « déficit démocratique », autant de chantiers auxquels il faudra répondre.

Une défaite, quelle défaite ?

L’exercice est bien rodé, personne n’admet vraiment une défaite. Toutefois, au-delà des styles rhétoriques propres à chacun·e, j’observe aussi une façon différente de concevoir la politique. Pour les militant·es ? Pour les citoyen·nes ? Pour le parti ? Pour les candidat·es ? Pour les camarades ? Dites-moi à qui vous vous adressez, et je vous dirai pour qui vous avez voté.