Elections 2024 • Politique
Communales 2024. À Bruxelles, les victoires empêchées du peuple de gauche
17.10.2024
Le PS sera-t-il frappé durablement du sceau infamant de fossoyeur de l’union des gauches à l’issue des négociations postélectorales dans les communes bruxelloises, dont il ressort grand gagnant? Les manœuvres socialistes visant à reléguer les écologistes dans l’opposition aux côtés du PTB là où une majorité progressiste pouvait voir le jour laisseront en tout cas un goût amer à bien des électeurs et électrices.
Comme le 9 juin dernier, les forces progressistes ont dominé les élections communales du 13 octobre en région bruxelloise. Leurs scores cumulés atteignent la majorité absolue dans 10 communes sur 19, dont cinq des six de plus de 70 000 habitants. Dès le lendemain du scrutin, c’est pourtant vers la droite que le PS s’est tourné, en optant pour une tripartite traditionnelle avec le MR et les Engagés là où elles étaient possibles, à Anderlecht, Ixelles et Bruxelles-Ville1.
La systématicité de ces unions laisse peu de doutes sur le fait qu’en dépit des dénégations, elles interviendraient dans le cadre d’un accord global visant à constituer un maximum de majorités « miroirs » entre niveaux local et régional bruxellois. À quelques exceptions notables, les partenaires de négociation PS, MR et Engagés ont ainsi optimisé leur présence dans les communes, à la plus grande fureur de ceux qui n’en sont pas. « Le PS ne fait de majorité progressiste que lorsqu’il y est obligé, comme à Saint-Gilles, mais partout ailleurs, il fait le choix de soutenir des partis conservateurs. » constatait, dépité, le bourgmestre Ecolo d’Ixelles Christos Doulkeridis, évincé par l’implacable trio malgré une surprenante première place. « Au final, les Bruxellois•es ont voté à gauche, mais ils auront un Collège de droite. » enchérissait sur X son coreligionnaire malheureux et 1er échevin sortant à la Ville de Bruxelles, Benoît Hellings, lui aussi victime de la « coalition pollution ». À Schaerbeek, où la tripartite traditionnelle n’est pas majoritaire, le PS semble compter sur le soutien d’Ecolo, mais il n’a pas daigné contacter le PTB, qui était en mesure de faire l’appoint et s’était déclaré disponible, comme dans la plupart des autres communes.
Certes, les élections communales constituent le moins polarisé des scrutins. Les compositions des majorités locales tendent à avoir leurs propres raisons politiques que la raison idéologique ignore, ce du fait de la saillance de multiples enjeux particuliers, des affinités personnelles, ou des questions de gouvernance. Les lignes de démarcation politiques n’y sont pas pour autant absentes, mais elles fracturent parfois profondément la gauche elle-même, comme en atteste la saga Good Move. Par ailleurs, si les convergences programmatiques entre PS, PTB et Ecolo sont réelles, celles-ci étaient loin d’avoir lié leur sort, à l’inverse du MR et des Engagés. L’idée d’une union naturelle entre les trois formations qui du reste, est inédite en Belgique francophone, tandis qu’elle reste anecdotique en Flandre, demeure donc, dans une certaine mesure, une vue de l’esprit.
Une inhabituelle polarisation idéologique
Cela étant, la campagne communale 2024 a pris une tournure plus idéologique que d’ordinaire. La proximité avec le scrutin régional, fédéral et européen de juin, en particulier, a contribué à donner à ces élections des allures de 2e tour. Ainsi donc, si le président du PS Paul Magnette a bien appelé à « ne pas prendre la campagne en otage pour en faire un enjeu national », le MR a au contraire cherché à reproduire la campagne polarisée qui lui avait tant réussi en juin ( « 50 nuances de gauche… et nous »). « Il faut éviter un éparpillement des voix du centre, et du centre droit, qui profiterait aux partis de gauche » expliquait le chef de file des libéraux bruxellois David Leisterh, décidé à parachever sa victoire relative de juin, lors de l’annonce de présentation de listes communes avec les Engagés et Défi.
La petite musique, à gauche, appelant à faire des communes des bastions de la résistance progressiste face à la droite gouvernementale a également contribué à « installer le match ».
Du côté gauche, le fait que de nombreuses majorités sortantes se composent d’attelages fondés sur un socle PS-Ecolo, que ce soit à Ixelles, Anderlecht, Bruxelles-Ville, Saint-Gilles, Koekelberg ou Forest, a concouru à cette polarisation. Sans faire office de mariage à vie, ces alliances, plutôt cohérentes sur le plan idéologique, ont été généralement assumées et défendues par les deux partenaires.
La petite musique, à gauche, appelant à faire des communes des bastions de la résistance progressiste face à la droite gouvernementale a également contribué à « installer le match ». Très présente dans le discours du PTB, la volonté de saisir cette ultime fenêtre de tir électorale pour barrer la route au rouleau compresseur néolibéral, a été relayée par plusieurs collectifs citoyens. Parmi ceux-ci, Forest à Gauche, soutenu par la revue Politique. Avec d’autres, il fut à l’initiative d’une assemblée citoyenne tenue le 5 octobre, à laquelle ont participé des mandataires et candidats PS, Ecolo et PTB, sensibles à l’idée d’une « convergence des gauches ».
Par-delà ces initiatives, force est de constater que l’idée d’une union progressiste était, à tout le moins, dans l’air du temps. Même au PS, pour qui la question d’une coalition avec le PTB ne se posait officiellement pas, certains ténors locaux ont affirmé qu’ils privilégieraient cette piste, à l’instar du bourgmestre de Saint-Gilles Jean Spinette.
Car c’est bien l’axe MR-Engagés, qui a servi, au PS comme aux autres partis de gauche, d’épouvantail tout au long de la campagne. « Deux visions de la ville s’opposent. Les partis de droite défendent une approche nostalgique, axée sur le passé, en jouant sur le sentiment que « c’était mieux avant ». Quant à moi, je veux incarner la modernité, avec une ville tournée vers l’avenir, portée par un projet progressiste et solidaire » déclarait ainsi le bourgmestre socialiste Fabrice Cumps le 16 septembre. Avec un aplomb rétrospectivement déconcertant, le président du PS régional, Ahmed Laaouej, affirma quant à lui, à deux jours du scrutin : « Voter PTB, c’est faire le jeu du MR ». Un message abondamment relayé par les candidats socialistes, et qui, au lendemain du vote, a dû résonner douloureusement chez bien des électeurs de gauche convaincus sur le tard des vertus du « vote utile ».
Campagne à gauche, alliances à droite
La promptitude du PS à balayer un clivage gauche-droite qui lui fut si utile pour remporter le scrutin, sitôt celui-ci passé, rendent périlleuses ses tentatives de démontrer qu’il n’a pas, selon l’expression chère au PTB, privilégié « la lutte des places à la lutte des classes ».
Entendre les « signaux de l’électeur » ? Ceux-ci sont par définition multiples et équivoques, et force est de constater que l’un d’entre eux, la progression relative de la droite, a été monté en épingle, quand d’autres ont été mis sous le boisseau, comme la percée du PTB ou l’étonnante résistance d’Ecolo.
Le caractère étriqué des potentielles coalitions de gauche à Anderlecht, Bruxelles-Ville et Ixelles ? Ahmed Laaouej avait lui-même critiqué la culture des larges majorités pour mieux justifier le projet d’alliance entre Ecolo, le PS et Défi, majoritaire de seulement deux sièges, qu’il privilégiait à Schaerbeek.
Le refus des Engagés de se « déscotcher » du MR, qui aurait rendu un attelage de type « olivier » impossible ? La droite unie n’a jamais été confrontée à un début de tentative du Boulevard de l’empereur de constituer un bloc progressiste avec Ecolo, qui aurait disposé d’un meilleur rapport de force dans toutes les localités concernées.
Plutôt que de neutraliser les effets de la régression sociale et environnementale qui sera probablement impulsée depuis la région, la formation de majorités miroir au niveau communal pourrait au contraire contribuer à faciliter leur mise en œuvre.
Quant au fait que la symétrie entre région et communes contribuerait à une collaboration harmonieuse entre les niveaux de pouvoir, rien ne dit que celle-ci serve in fine les catégories populaires, au regard de l’inclinaison droitière du gouvernement régional en devenir. David Leisterh avait, à cet égard, été limpide sur l’importance pour lui de disposer des leviers municipaux : « Il est essentiel que cette victoire régionale puisse compter sur le bras armé des communes. […]Si tu diriges la Région, mais que tu as les 19 communes contre toi, tu n’arriveras pas à la réformer. » Plutôt que de neutraliser les effets de la régression sociale et environnementale, qui sera probablement impulsée depuis la région, la formation de majorités miroir au niveau communal pourrait donc, au contraire, contribuer à faciliter leur mise en œuvre.
L’image du PS encore un peu plus écornée
L’image du PS ne sortira pas indemne de ce round de négociation, pourtant particulièrement prolifique au regard de ses intérêts partisans. Il aura, par exemple, le plus grand mal à défendre de façon crédible sa doctrine écosocialiste après avoir livré, comme à Ixelles, la mobilité à des libéraux déterminés à détricoter le bilan des Verts aux affaires. Prétendre incarner le bouclier social tout en ayant offert la présidence du CPAS le plus important de la capitale au MR bruxellois pourrait se révéler tout aussi ardu.
Celles et ceux qui attendaient de nouvelles majorités communales qu’elles fassent office de contre-pouvoirs à la droite en garderont, à n’en pas douter, une rancune tenace. Il n’est pas dit que le retour du « cœur qui saigne », d’ici quelques années, parviendra à l’apaiser.