Politique
Claudio Pazienza ou le plaisir de la pensée et du cinéma
17.11.2010
Il y avait comme une évidence à faire place à l’excellente revue Images documentaires.Voir le site .ici, y compris pour les modalités d’abonnement dans cette rubrique consacrée à l’image. Nous partageons les mêmes préoccupations dans l’analyse du rôle du sens de l’image. Et, naturellement, dans ce cas précis, de l’image dans le cinéma documentaire. D’autant que la dernière livraison de la revue est consacrée à Claudio Pazienza.Pour ceux qui ne connaissent pas Claudio Pazienza et son œuvre, voir .ce site qui vous en donnera une idée , l’un des cinéastes (italo-) belges parmi les plus créatifs et talentueux de notre pays. Pour introduire son dossier, Images documentaires rappelle comment Jacques Mandelbaum, le critique du Monde présentait Pazienza à l’occasion d’une rétrospective de son œuvre : « On serait tenté de définir en l’honneur de Claudio Pazienza, après l’italo-américain façon Scorsese, une catégorie cinématographique italo-belge qui serait à la précédente ce que la souveraine placidité est à l’extrême nervosité (…). S’il fallait définir synthétiquement cette œuvre, ajoutait Mandelbaum, on dirait volontiers qu’elle a la digression pour méthode, le détournement pour philosophie et le composite pour esthétique (l’Italie et la Belgique, encore) ». On ne saurait mieux dire ! En ajoutant que chez Pazienza, il y a une double bi-culturalité : italo-belge, évidemment, mais aussi une belgo-belge grâce à sa double connaissance de la culture francophone et néerlandophone, lui dont les parents immigrés italiens (acteurs essentiels dans ses films tant qu’ils furent en vie) s’installèrent dans le Limbourg – le père était mineur. Il serait heureux et bénéfique de revoir aujourd’hui le film de Pazienza réalisé en 1997, Tableau avec chute (dans le cadre de la soirée thématique sur Arte : « La Belgique, le pays où Icare s’est noyé ») pour confronter l’image qu’il nous en donnait à celle qui serpente aujourd’hui dans la sphère politico-médiatique. Non pas pour y voir plus « clair » ou pour approcher ce que l’on considère généralement comme le « réel », car Pazienza explique bien dans un entretien avec Jean-Louis Comolli que « le réel tel qu’il a été pris en otage par le documentaire (naturaliste, ndlr), c’est au fond dans cet espoir qu’il a de fragmenter et de saisir, une fois pour toutes le monde, de le comprendre (…). Je me rends compte, ajoute-t-il, que ce qui m’intéresse dans mes films c’est de réinjecter de l’opacité (…). Au fond, une chose donnée n’est visible que si, en partie, on la réinvente, on la complète. Ce qui me hérisse dans l’étroitesse du terme « réel » – surtout dans l’acception qu’en a le documentaire naturaliste – c’est qu’il y a un méta-message insidieux à l’œuvre : le monde – au fond – on n’a qu’à le subir. » Et à propos de « l’opacité » qui pourrait intriguer ceux qui ne connaissent pas le cinéma de Claudio Pazienza, il ajoute « qu’il ne s’agit pas de voiler mais d’introduire quelque chose du côté du langage (même de l’artifice) qui rappelle que c’est du langage qui œuvre. Un langage, une forme qui rappelle que le « sujet » n’est pas épuisable tout en transmettant une vérité. En ce sens, dit-il encore, mes films penchent davantage du côté du plaisir de la pensée, de l’agitation de la pensée que de l’épuisement du sujet. » Dans le même numéro d’Images documentaires, le philosophe et écrivain Jean-Paul Curnier qui évoque le « burlesque savant » à propos d’un autre film de Pazienza, « Esprit de bière », parle de son cinéma comme d’une « ethnologie en sens inverse ». « Il part de ce que l’on est censé savoir ou avoir compris sur telle ou telle chose et le confronte au réel jusqu’à s’y perdre, jusqu’à l’absurde s’il le faut, jusqu’à l’explosion de toute idée acquise. » Impossible, ici, en quelques lignes de passer en revue la filmographie ou tous les fondements de son écriture mais oui, cette « ethnologie en sens inverse », ce « burlesque savant », mais aussi ce « plaisir de la pensée » et le plaisir du cinéma, naturellement, résument bien l’art de Claudio Pazienza.