Nouvelles technologies
ChatGPT. Un casse-tête pour l’enseignement (5/6)
30.11.2023
Faut-il interdire l’usage de ChatGPT dans l’enseignement ou l’encourager ?
Dès son lancement, ChatGPT a surpris par sa capacité à reproduire presque parfaitement la logique et l’écriture humaines. Parmi les nombreuses expérimentations visant à tester les performances du système figurent au premier rang les tests d’examens d’entrée dans de prestigieuses universités, ou portant sur des matières complexes comme la médecine, le droit et l’économie. Les résultats sont impressionnants : le système fait même mieux que des étudiants en chair et en os.
Dans le monde de l’enseignement, gérer l’usage de ChatGPT tient du casse-tête. D’un côté, si l’on interdit l’utilisation du système, cela ne garantit nullement que les étudiantes et étudiants ne vont pas s’en servir : le contrôle du respect de cette interdiction s’avérera vite impraticable. À l’inverse, si on encourage l’utilisation du système, cela pourra être considéré comme un encouragement à une certaine paresse intellectuelle, dans la mesure où, si l’apprentissage et la gestion des connaissances deviennent des tâches partagées entre les humains et les machines, cela freinera indéniablement le développement de l’esprit critique.
Une parade radicale envisageable serait d’abandonner toute forme d’évaluation par voie numérique et d’en revenir aux bons vieux papiers et stylo-plumes, que l’on avait presque oubliés. Mais cela sera-t-il suffisant ?
De plus, étant donné le nombre élevé de contenus fabriqués que ChatGPT ajoute dans ses réponses (les fameuses « hallucinations artificielles »), on devrait nécessairement en passer, pour évaluer un travail scolaire ou universitaire, par la vérification de chacun des faits qui y sont mentionnés. Imaginez le temps de correction nécessaire pour chaque copie ! Et les détecteurs ne seront d’aucune aide, car ils ne sont pas fiables. Une des pistes, pour l’enseignante ou l’enseignant, sera de se familiariser aux formulations spécifiques du langage de ChatGPT. Parce que, oui, le système suit tout de même certains modèles, certains paradigmes, dans sa logique d’écriture.
Puisque les résultats générés par le système sont fondés sur des documents existants, on pourrait aussi penser à utiliser les logiciels de détection de plagiat, qui pourraient repérer des emprunts. Mais aujourd’hui, on n’en est qu’au stade des suppositions et des expérimentations. Une parade radicale envisageable serait d’abandonner toute forme d’évaluation par voie numérique et d’en revenir aux bons vieux papiers et stylo-plumes, que l’on avait presque oubliés. Mais cela sera-t-il suffisant ?
De l’interdiction à l’intégration
Bien que les fraudes et plagiats soient sévèrement sanctionnés, des étudiantes et étudiants se sont laissés tenter par ChatGPT, de manière suffisamment intelligente pour contourner l’interdit. À l’université de Cardiff (Pays de Galles), ChatGPT n’est pas utilisé pour tricher, mais pour améliorer la qualité des devoirs, sans pour autant que l’institution ait avancé plus loin dans cette direction1. Les étudiantes et étudiants qui utilisent le système – sans le recopier mot à mot – voient leurs notes grimper de manière significative. L’université a découvert le subterfuge en constatant le nombre de connexions à l’IA générative.
Si certaines universités européennes et américaines ont banni l’usage de l’agent conversationnel, d’autres ont pris le parti de ne pas l’interdire mais de l’encadrer, en considération de ses possibilités, mais aussi de ses nombreuses limites. Aux États-Unis, Ethan Mollick, professeur à l’Université de Pennsylvanie, a rendu l’usage de ChatGPT obligatoire pour tous ses cours. Les bénéfices sont, selon lui, une responsabilisation et une amélioration des notes générales obtenues à son cours. Et puis, estime-t-il, tout le monde triche2, et être capable de maîtriser un système d’intelligence artificielle fait partie des compétences émergentes qu’il faut acquérir.
Une autre approche consiste à intégrer ChatGPT dans le parcours d’apprentissage3, tout en développant parallèlement une pédagogie critique où les qualités humaines sont valorisées. Cette approche nécessite le développement de nouvelles compétences de la part des enseignantes et enseignants, qui se verront dans l’obligation de composer avec le décalage temporel entre la rapidité du déploiement technologique et le temps plus long de l’acquisition des savoirs. Quoi qu’il en soit, la manière d’aborder ChatGPT fait l’objet de réflexions approfondies dans le secteur de l’enseignement, et cela aussi demande du temps. À l’ULB, par exemple, un groupe de travail a été installé, comprenant des représentantes et représentants de toutes les facultés, mais il n’a encore pu dégager aucune décision pour la rentrée académique 2023-2024.
Au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, quatre questions orales ont été adressées aux ministres Caroline Désir et Valérie Glatigny à propos de l’effet de ChatGPT sur l’enseignement et de sa « bonne » utilisation dans l’enseignement supérieur. Rien de très concret n’en est ressorti.
Pour le Comité syndical européen de l’éducation (CSEE), relayé par le mensuel de la CSC-Enseignement CSC-Educ, il est urgent d’engager un dialogue social entre autorités éducatives et personnels de l’éducation et syndicats « afin d’évaluer l’impact des outils d’intelligence générative, tels que ChatGPT, sur les conditions de travail4 ». Le CSEE demande également que les gouvernements intègrent sans tarder l’IA générative dans les réglementations existantes et futures sur l’intelligence artificielle. Le Comité s’inquiète des violations de la propriété intellectuelle et plaide pour intégrer les aspects relatifs aux possiblités et limites des IA génératives dans la formation initiale des enseignants.
Au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, quatre questions orales5 ont été adressées aux ministres Caroline Désir (PS, enseignement obligatoire) et Valérie Glatigny6 (MR, enseignement supérieur) à propos de l’effet de ChatGPT sur l’enseignement et de sa « bonne » utilisation dans l’enseignement supérieur. Rien de très concret n’en est ressorti, si ce n’est la prise de conscience d’une réflexion nécessaire dans le cadre plus large de l’utilisation de technologies numériques.
Plus particulièrement, une analyse est actuellement en cours afin d’évaluer l’impact des IA génératives dans le système éducatif, dans la perspective des travaux de la Commission européenne (voir le sixième article de cette série). Considérant qu’une interdiction pure et simple des IA génératives est illusoire, l’objet de cette analyse est d’en comprendre les possibilités et les limites – aussi en termes d’opportunités –, dans la perspective de leur encadrement.