Politique
Charleroi : la nuit des longs coûteux
12.06.2006
Le philosophe germano-américain Erich Fromm soutenait, voici un demi-siècle, qu’il entre dans l’intérêt de l’État de créer des individus absolument déprimés car il serait plus simple de gouverner et de manipuler des citoyens assoupis. Une certaine classe politique carolorégienne a donné l’impression, ces dernières semaines, d’être totalement acquise aux théories de M. Fromm, tant elle s’est ingéniée à donner de la région une image méphitique. Quatre échevins ont été inculpés et deux placés en détention; inculpé pour des faits étrangers à son activité politique, un député permanent s’en est pris à un magistrat avec des invectives de bandit sarde pris de boisson. Au fil des jours, la presse ou le Parquet révélait des informations, en bouquets, en brassées, en gerbes, sur des pratiques n’ayant qu’un lointain rapport avec des principes de bonne gouvernance ; dans des domaines aussi divers que le logement social, la collecte des immondices et le sponsoring sportif. Cette prolifération de scandales a puissamment écorné l’image d’une région qui, pourtant, n’avait pas ménagé ses efforts pour la métamorphoser. Ironie de l’histoire, c’est son cœur de cible, «Charleroi la sportive», qui part en vrille aujourd’hui puisqu’il apparaît que ce label s’est forgé au détriment de l’éthique. Pour parler comme un publicitaire: en termes d’image de marque, c’est un désastre Ce qu’a bien perçu le bourgmestre de Charleroi, l’honnête Jacques Van Gompel, en offrant sa démission au président de son parti … Bien qu’il s’en défende avec la dernière énergie, c’est l’homme-fort de Charleroi, Jean-Claude Van Cauwenberghe, qui est sur la sellette, comme s’il personnifiait à lui tout seul une époque, ses fastes, ses pompes et ses dérives. Nul ne contestera que c’est sans doute exagéré et par là même injuste, mais on sait le poids des symboliques et leur sévérité irrémédiable Ainsi, Valery Giscard d’Estaing a-t-il traîné l’image des diamants tout au long de sa carrière. L’opinion est sceptique quand elle entend l’ancien ministre-président en appeler au redressement des valeurs, un peu comme on entend sur les scènes d’opéra des sexagénaires mafflues déplorer les attentats commis sur leur vertu. Même si l’on peut suivre Erich Fromm lorsqu’il dit qu’un citoyen quelque peu abattu est moins enclin à protester, il nous faut pourtant observer que cet abattement agit comme certains psychotropes qui, à doses excessives, provoquent des effets inverses. Ainsi, toutes ces affaires ébrouent les consciences, réveillent un débat démocratique jusqu’ici léthargique : dans les conversations de rues comme sur les forums Internet. Mieux : le quatrième pouvoir, la presse, a nettement décidé d’être plus que le partenaire inoffensif des trois autres : la probité et la rigueur des commentateurs forcent le respect. Enfin, et c’est sans doute le plus encourageant, c’est au sein même de la classe politique que l’on assiste à l’émergence d’une relève extrêmement critique par rapport à ces pratiques navrantes. Singulièrement c’est à l’intérieur du Parti socialiste que ces rénovateurs sont les plus ardents. Quelques quadras De jeunes parlementaires comme Eric Massin, Ingrid Colicis, Paul Ficheroulle ou l’échevin Marc Parmentier, pour ne citer que les plus en vue qui, au nom même de l’idéal socialiste, refusent que leur parti soit réduit à un appareil à fabriquer des privilèges puis à les confisquer et à se les répartir. Le moment est sans doute venu pour eux de devenir davantage qu’une promesse de renouveau.