Politique
Changement pour l’égalité (CGé) : 40 ans d’éducation permanente
20.01.2011
C’est le courant « éducation permanente » qui l’emportera assez vite. Son premier bébé : les Rencontres pédagogiques d’été (RPE). Un stage résidentiel de 10 jours où se côtoient des enseignants de tous niveaux et de tous réseaux, mais aussi des étudiants, des parents, des travailleurs des centres psycho-médico-sociaux… Un dispositif qui suscite remises en question, rencontres en profondeur, autogestion, innovations. Impensable à l’époque. Après pareil bain de jouvence, on pouvait effectivement prévoir quelques remous dans les classes et les écoles des participant(e)s. Et même au-delà. Les Rencontres pédagogiques d’été réunissent depuis lors, et chaque année, entre 200 et 300 participant(e)s. C’est un vivier d’innovateurs/trices, de contestataires, de préfet(e)s, de formateurs/trices, de créateurs d’outils… Très vite, elles se sont ouvertes aux travailleurs sociaux des écoles de devoirs, de l’alphabétisation, des maisons de quartiers… Elles ont aussi servi de modèle à pas mal d’universités ou rencontres d’été à venir… 1980 – La CGE est enfin reconnue comme organisation d’éducation permanente. Dix années de travail pour obtenir du ministère de la Culture de l’époque un permanent et un très modeste subside de fonctionnement. Le pluralisme, le refus de s’identifier à un pilier, ça ne paie pas ! Cette reconnaissance va permettre à un groupe de militants qui travaillent en milieux populaires de lancer le périodique Echec à l’échec (qui est devenu aujourd’hui Traces de changements). C’était une époque où on appelait un chat un chat : l’hécatombe scolaire des enfants des familles populaires faisait réagir et agir les militants (qui n’ont pas attendu les enquêtes Pisa !). Pour faire « échec à l’échec », il fallait partager des pratiques novatrices dans les classes, alerter l’opinion, secouer les politiques, encourager les acteurs de terrain en donnant écho à leurs efforts, difficultés, réalisations… Il fallait parfois aussi ouvrir des yeux sur des réalités interpellantes en organisant des cycles de conférences ou de formations comme, par exemple, « Ecoles et immigration », « Ecoles et crise », « Maternelles et milieux populaires ». Originalité de ces initiatives : elles sont le fruit d’un partenariat entre associations d’horizons divers (Ligue de l’enseignement, Mrax, Ligue des familles, Education populaire…).
Sur le terrain politique la CGE revendiquera avec d’autres plus de moyens pour la réforme de l’enseignement professionnel, la création de zones d’éducation prioritaires. Elle dénoncera vigoureusement les coupes sombres des années libérales (Damseaux, Bertouille, Tromont) et le financement de la communautarisation très mal préparée par le couple Spitaels-Deprez. Elle s’opposera violemment aux exécuteurs des basses œuvres C’est-à-dire le dé-financement de l’enseignement francophone : le couple Grafé-Ylieff. 1990 – Les fameuses grèves de 1990 ont mis en avant des revendications que la CGE portait depuis son origine. Elles ont encore rapproché les enseignants des différents réseaux. Elles auraient pu déboucher sur des fronts communs plus larges, avec les autres « métiers du cœur ». Mais les corporatismes l’ont emporté. Comme l’ont écrit deux des observateurs les plus lucides du mouvement, « au lieu de porter sur un projet éducatif, le débat sur l’école a été dominé par l’argument budgétaire… Le « malaise », longtemps décrit comme le vrai détonateur du mouvement, est resté entier. Les réformes annoncées dans l’accord de novembre passeront pour des changements, attendus, certes, mais mineurs, épars, sans cohérence, distillés au compte-gouttes, et sans commune mesure avec les espoirs de changements profonds qui animaient les manifestants. Ces espoirs – énormes et déçus – ont abandonné l’école dans un climat de morosité » P. Bouillon et B. Lechat, Enseignement, de la grève à la négociation, EPO, 1991. L’éducation permanente n’autorise pas la morosité ! Elle requiert des analyses solides, des initiatives adaptées aux contextes nouveaux, en veillant à ne jamais renier ses priorités. C’est ce que CGE a réalisé au long des années 1990. En poursuivant et en intensifiant le travail de formation et en élargissant les publics et les partenariats. La proximité avec Lire et Ecrire, les écoles de devoirs, ATD-Quart monde, le GFEN Groupe français d’éducation nouvelle , les groupes de pédagogies institutionnelles et tant d’autres… a renforcé la conviction qu’il fallait mettre le paquet dans les écoles en milieux populaires.
À travers son périodique et quelques livres solides (A l’école de l’interculturel, Apprendre la démocratie et la vivre à l’école, Tous intellectuels), la CGE a continué à valoriser les pratiques novatrices et à les soumettre au regard critique de camarades-experts. À noter aussi un indice capital de la vitalité d’un mouvement : le renouvellement de ses forces vives. Les camarades-militants-fondateurs ont petit à petit passé le flambeau à des jeunes tout aussi engagés et sans doute plus professionnels. Toutes ces évolutions ont permis de cerner encore mieux les défis de l’école dans une société en crise profonde. Et les alliances indispensables. 2000 – « Changements pour l’égalité » = CGé ! Il était temps de traduire l’évolution du mouvement. Travail délicat et nécessaire. Travail collectif qui a permis de confirmer les priorités et d’ouvrir de nouveaux champs de recherches. Le travail d’interpellation du politique s’est intensifié. Parfois seule, parfois avec d’autres (la plate-forme de lutte contre l’échec), CGé a dénoncé les multiples effets d’annonce et analysé des réformes en trompe l’œil (discriminations positives). Mais, c’est le travail de propositions qui l’emporte toujours. Il se traduit entre autres par le lancement d’une collection de petits livres : « L’école au quotidien ».Une dizaine de titres aux éditions .Couleur livres. Il s’agit de productions collectives basées sur des récits de pratiques, dans les classes ou en formations d’adultes. Avec des mises en perspectives et des propositions stimulantes. Tous les projets (Rencontres pédagogiques, formations, Traces, livres, centre de documentation…) sont portés par des équipes de militant(e)s. C’est capital tant pour la dynamique démocratique interne que pour la richesse de la production collective. C’est encore dans cet esprit que s’est organisée la première manifestation du 40e anniversaire : « Melting classes » (l’interculturel à l’école et ailleurs). Une exposition interactive, fruit de la collaboration de plusieurs associations proches. Dans un lieu fort : La Fonderie, à Molenbeek, où se cultive en permanence la mémoire des luttes des travailleurs. D’autres activités ont suivi pour creuser la thématique « Cultures et classes en changements ». Reste la question cruciale : quand le politique prendra-t-il vraiment la mesure des changements structurels et profonds martelés, répétés par tant d’acteurs de terrain depuis bien plus de 40 ans ? L’éducation permanente s’inscrit dans le combat séculaire pour la dignité, pour l’émancipation et pour l’égalité.