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Débat à Bruxelles. Faut-il dépasser le plan « Good Move » par la gauche ? 

Illustrations : © Simpacid
Illustrations : © Simpacid

C’est peu de le dire : les questions de mobilité ont semé la zizanie, à gauche, dans la capitale. De façon plus ou moins marquée selon les communes, c’est l’application locale du plan régional de mobilité Good Move qui a cristallisé ces tensions. Mis en place par le parti socialiste (PS) et Ecolo, en majorité, afin de favoriser la mobilité douce, le projet a été décrié dès ses origines comme élitiste et antisocial par le PTB, rejoint  en fin de législature sur ce thème par les socialistes. 

Pour faire le point sur ce qui rapproche et sépare les partis de gauche à la veille du scrutin du 13 octobre, nous avons demandé à trois candidats-bourgmestre issus de différentes communes bruxelloises de se répondre, par courts billets, à propos de leur vision de la mobilité. 

(Illustration : Simpacid)

BENOIT HELLINGS, tête de liste écolo à Bruxelles-Ville

En tant qu’échevin du climat à la Ville de Bruxelles, je suis convaincu que la mobilité est un enjeu central dans notre transition vers une ville plus durable, inclusive et résiliente. Les questions de mobilité sont indissociables des enjeux de santé publique. Chaque année, à Bruxelles, près de 1.000 décès prématurés sont directement liés à la mauvaise qualité de l’air en ville. Grâce à notre nouveau plan de circulation dans le centre-ville et l’introduction de la Zone de basse émission (LEZ), nous avons réussi à réduire de 35% les niveaux de dioxyde d’azote, l’un des principaux polluants, qui serait responsable d’un cas d’asthme sur quatre chez les moins de 18 ans. Il est impératif de poursuivre sur cette lancée dans toute la ville, afin de continuer à protéger nos aînés et nos enfants, qui sont les principales victimes de cet air pollué.

« Chaque année, à Bruxelles, près de 1 000 décès prématurés sont directement liés à la mauvaise qualité de l’air en ville. »

La qualité de l’espace public et la manière dont il est aménagé jouent aussi un rôle fondamental dans la création d’une ville où chacun peut se déplacer librement et en toute sécurité. Nous devons renforcer la connexion entre les quartiers en créant un réseau de rues jardins, agréables et sécurisées, tout en appliquant le principe “STOP”, qui place les piétons, les cyclistes et les transports publics au centre de nos priorités d’aménagement.  

Le développement d’une infrastructure cyclable sûre et continue est essentiel pour encourager la mobilité active. Nous souhaitons poursuivre la création de pistes cyclables séparées des voitures et des piétons, tout en augmentant les espaces de stationnement pour vélo sécurisés. De plus, nous voulons renforcer les initiatives visant à démocratiser l’usage du vélo, notamment par des projets d’accompagnement et de sensibilisation. Quant aux transports publics, il est important de veiller à améliorer l’accessibilité des stations pour les PMR, à rationaliser le réseau de bus dans les quartiers étroits du centre et à encourager l’intermodalité par la création de « mobility hubs ». Tout cela, en poursuivant le développement des parkings de dissuasion en périphérie et en promouvant l’usage des voitures partagées.

(Illustration : Simpacid)

PATRICIA POLANCO, tête de liste PTB à Anderlecht

Je lis votre volonté, Benoit Hellings, d’améliorer la mobilité à Bruxelles. Cependant, lle plan régional de mobilité Good Move, bien qu’ambitieux sur le papier, s’avère être un échec en matière de gestion du trafic et de mobilité dans la pratique. Il se contente en effet de déplacer le problème du trafic, sans réellement apporter de solutions efficaces et durables aux travailleurs contraints d’utiliser leur voiture. Il ne suffit pas de placer des blocs de béton et de fermer des rues pour réduire le trafic automobile. Nous voulons offrir des alternatives positives de transports en commun et de mobilité douce plutôt que culpabiliser la population avec des mesures punitives ou des projets imposés sans concertation. 

Le PTB, fort de ses récentes victoires électorales, plaide pour une vision de la mobilité qui repose sur des alternatives positives plutôt que sur des mesures punitives. Le parti se bat dans les conseils communaux et les parlements régionaux pour mettre en place une mobilité douce et des transports en commun accessibles à tous. Il réclame notamment une augmentation de l’offre de transport en commun et la gratuité de ces services, une mesure qui a déjà fait ses preuves dans de nombreuses villes européennes. Bien que les transports en commun soient de la responsabilité de la Région, les communes ont également un rôle crucial à jouer. 

« Le PTB plaide pour une vision de la mobilité qui repose sur des alternatives positives plutôt que sur des mesures punitives.»

Le déplacement le plus rapide et durable est celui qu’on ne doit pas effectuer. Ainsi, pour réduire l’utilisation de la voiture, la commune doit assurer que dans chaque quartier se trouvent un logement, une école, une crèche, des infrastructures sportives ou encore la possibilité de faire ses courses. De cette manière on peut empêcher les longs déplacements qui nécessitent souvent la voiture. De plus, la commune doit prévoir et décider des grands choix en termes de mobilité, en concertation avec ses habitants. C’est une logique à l’opposée de celle du quartier Biestebroeck à Anderlecht, qui devrait accueillir entre 12 000 et 15 000 habitants, mais pour lequel aucune ligne de transport en commun n’est encore prévue. Des leviers d’action sont donc disponibles au niveau communal pour participer à cette transition collective de la mobilité qui ne laisse personne de côté.

(Illustration : Simpacid)

CHARLES SPAPENS, tête de liste PS à Forest

Je pense, pour ma part, que chacun doit pouvoir se déplacer en toute sécurité, et par le moyen de transport qui lui convient. La mobilité doit être au service de toutes et tous, être socialement juste et répondre aux enjeux environnementaux. Il ne faut pas dresser les citoyens les uns contre les autres. 

Revenons au dénominateur commun : nous sommes tous piétons à un moment ou à un autre. Il est donc essentiel que l’espace public assure la sécurité de tous, et en particulier des usagers faibles en renforçant, par exemple, la rénovation des trottoirs, la protection aux abords des écoles ou en délimitant mieux les pistes cyclables. L’espace public doit également permettre la rencontre, le repos et la détente, et intégrer les enjeux environnementaux comme la gestion de l’eau pour lutter contre les inondations, ou bien encore la végétalisation contre les îlots de chaleur. Car l’espace public ne se résume pas à la mobilité : il doit être le jardin de toutes et de tous.

« La participation ne doit pas être limitée aux plus avertis. »

Pour revenir sur l’application des mesures de mobilité, qui ont fait polémique, nous devons aussi impérativement revoir la manière dont nos concitoyens viennent nourrir nos décisions en la matière. Il est important de nous assurer que la participation ne soit pas limitée aux plus avertis, et prenne en considération le quotidien des plus précarisés. Intégrer les citoyens dans les processus décisionnels est d’autant plus intéressant qu’il a été démontré que lorsque des mesures sont prises en concertation, elles sont plus ambitieuses et mieux acceptées. 

Nous devons veiller aussi à un meilleur partage entre les usagers et les différents modes de déplacement, encourager la marche et le vélo, et poursuivre nos démarches auprès de la Région bruxelloise, pour une meilleure desserte en transports en commun, les rendant plus accessibles, ce qui permet de fluidifier le trafic pour celles et ceux qui doivent se déplacer en voiture. 

L’enjeu de santé publique que représentent les questions de mobilité est indéniable. Dépolluer l’air que nous respirons, par exemple, est une absolue nécessité et l’écrasante majorité des Bruxellois·es attendent des pouvoirs publics que nous agissions pour protéger nos enfants.

L’espace public revêt aussi un énorme enjeu d’égalité. Il est tout aussi capital pour moi, en tant que candidat-bourgmestre socialiste, que les mesures de mobilité ne viennent pas alourdir les nuisances dans les quartiers les plus densément peuplés, qui sont souvent les plus précarisés.

BENOIT HELLINGS

J’aimerais dire tout d’abord que je me félicite de lire que nous nous accordons, avec les autres partis de gauche, sur le principe de l’importance accordée à la mobilité et à la santé publique à Bruxelles. Chez Ecolo-Groen, nous avons toujours défendu une approche ambitieuse et cohérente de la mobilité à Bruxelles. Si, dans certaines communes, nous avons pu collaborer efficacement avec le PS, notamment à la Ville de Bruxelles avec Philippe Close, ou à Forest avec vous, Charles Spapens. Cependant, nous constatons malheureusement qu’ailleurs, le PS s’oppose souvent à des mesures nécessaires pour permettre une mobilité durable. À Molenbeek, Schaerbeek, Anderlecht ou Koekelberg, votre parti, Charles Spapens, semble plus réticent, parfois même démagogique, face aux réformes pourtant urgentes et qui se trouvent soutenues par les citoyens. Ces blocages sont d’autant plus regrettables qu’à Bruxelles-Ville, Ixelles ou Forest, cette collaboration entre les majorités rouges et vertes a permis de nombreuses avancées concrètes, comme la transformation du piétonnier du centre-ville, aujourd’hui largement acceptée. Si le Parti socialiste reste un partenaire pour le financement des transports en commun, il est essentiel de rappeler qu’améliorer les fréquences et l’offre ne suffit pas, si les bus et les trams continuent de se retrouver englués dans les embouteillages. Soutenir les transports en commun implique donc de prendre des décisions courageuses pour désengorger les axes clés, un aspect trop souvent négligé par le PS dans certaines communes.

« Soutenir les transports en commun implique donc de prendre des décisions courageuses pour désengorger les axes clés. »

J’aimerais aussi répondre à Patricia Polanco. Je voudrais lui dire que ses critiques des mesures de mobilité, notamment des mailles Good Move, par elle et par son parti, le PTB. ne reflètent pas la réalité. Les évaluations montrent clairement que le trafic de transit a diminué, sans être déplacé vers les rues résidentielles. Les transports en commun circulent plus librement, et le nombre de cyclistes augmente chaque année. De plus en plus de Bruxelloises et de Bruxellois abandonnent la voiture pour des alternatives plus durables. Le changement en matière de mobilité n’est jamais facile et nécessite du courage politique. Là où le PTB entretient la polémique, nous prônons un accompagnement responsable et rigoureux des citoyens. Si votre parti, Patricia Polanco, soutenait réellement les usagers des transports en commun, il soutiendrait des mesures pour fluidifier la circulation des bus et des trams, plutôt que de bloquer les réformes sous couvert de démagogie. Quant à la « ville à 10 minutes » que le PTB défend, elle est déjà une réalité à la Ville de Bruxelles. À Neder-Over-Heembeek, nous avons accompagné la croissance démographique avec des infrastructures nouvelles : écoles, espaces verts et une ligne de tram structurante. C’est précisément ce modèle de ville durable et équitable que nous continuerons de promouvoir à Bruxelles.

PATRICIA POLANCO

Mais justement, contrairement à Ecolo, au PTB, nous ne pensons pas qu’il s’agisse dans ce cas-ci, d’une question d’accompagnement. Ce n’est pas parce que les gens ne sont pas assez « éduqués » sur le fait que l’on doit réduire l’utilisation de la voiture qu’ils continuent de la prendre, mais parce que les pouvoirs publics ne leur mettent pas à disposition des alternatives viables. Si l’on prend l’exemple du développement des transports en commun de qualité et gratuits, il faut rappeler que malheureusement votre parti, Charles Spapens, et le vôtre, Benoit Hellings, ont tous deux voté et participé à l’augmentation des prix de la STIB à la Région.

« Imposer de ne plus pouvoir utiliser sa voiture à coup de blocs de béton, ce n’est pas notre modèle. »

Par ailleurs, il est vrai que dans certains quartiers l’application du plan Good Move a permis de réduire l’utilisation de la voiture. Mais à quel prix social ? Imposer de ne plus pouvoir utiliser sa voiture à coup de blocs de béton, ce n’est pas notre modèle. 

Vous avez raison, Charles Spapens, de dire qu’il a été démontré que les mesures prises en concertation avec les citoyens sont plus ambitieuses et mieux appliquées. Nous regrettons toutefois de voir que, pour votre parti, les actes ne suivent pas la parole, car le PS a accepté, voté et appliqué ce même plan Good Move avec Ecolo, sans concertation avec les citoyens.

Quant au fait d’avoir l’ensemble des magasins et commerces nécessaires proche de chez soi, de sorte qu’il ne faille pas utiliser la voiture, c’est en effet une avancée positive, mais ça n’est une réalité que dans certains quartiers. Voilà pourquoi, avec le PTB, nous défendons l’élargissement de ce projet partout, également dans de nouveaux quartiers comme celui de Biestebroeck à Anderlecht, où il n’est pas encore en place et où Ecolo-Groen est pourtant en majorité. Avec le PTB, nous visons une mobilité durable, parce qu’il y a une urgence climatique et un impact important sur la santé des Bruxellois et Bruxelloises. D’ailleurs avec Médecine Pour Le Peuple Molenbeek, la maison médicale du PTB, où je travaille, nous avons participé avec le BRAL à une étude sur la qualité de l’air. Ensuite nous sommes allés sur le terrain, informer dans les écoles, et avons trouver des solutions ensemble, avec les parents. C’est parce qu’il est fondamental que nous effectuions cette transition dans notre mobilité, qu’il est indispensable de l’effectuer avec les gens, et en offrant de réelles alternatives.

CHARLES SPAPENS

Je vous rejoins sur ce point, Patricia Polanco : la mobilité pour tous·tes, ça reste notre priorité pour moi et le Parti socialiste. Et cela implique d’entendre tout le monde. Je suis bien entendu pour une politique de mobilité ambitieuse, mais certainement pas en faisant fi des besoins de toute une partie de la population. Un pas en avant qui se fait sur une base fragile, c’est le risque de deux pas en arrière par la suite.

Un pas en avant qui se fait sur une base fragile, c’est le risque de deux pas en arrière par la suite.

C’est malheureusement ce qui a pu être observé dans certains quartiers de différentes communes, en raison d’un manque de concertation ou de projets inadaptés. A Forest, dans le quartier des Primeurs, on a appliqué des principes d’apaisement, il y a 10 ans, et aujourd’hui personne ne les remettrait en question. Il peut arriver qu’on se trompe et si on a laissé le temps suffisant pour tester les dispositifs, il n’est pas interdit de revenir en arrière.

Vivre dans un quartier apaisé, tout le monde en rêve, mais ma principale inquiétude, qui est aussi celle du PS, ce sont les changements hâtifs ou mal concertés, qui entraînent des répercussions négatives sur toute une partie de la population bruxelloise et en particulier dans les quartiers les plus denses et les plus pauvres, qui cumulent les nuisances. Reporter le trafic sur ces quartiers n’est pas une option pour nous. 

Pour les changements en mobilité il faut donc écouter, concerter et enfin trancher, en prenant nos responsabilités, même si cela ne satisfait évidemment pas tout le monde.

À Forest, ma priorité, c’est aussi de construire, comme à Bruxelles-Ville, une “ville à 10 minutes”, c’est-à-dire une ville de proximité, une ville à pied. C’est pour moi et mon parti un formidable moyen de désengorger et fluidifier le trafic, notamment pour les transports en commun, et d’améliorer la qualité de vie de nos habitants. 

Je finirais sur une remarque.  Je m’étonne quand même un peu, Patricia Polanco, de vous lire, quand vous nous parlez d’augmentation des tarifs de la STIB, alors que le PS s’est toujours battu pour plus de gratuité des transports en commun et que nous l’avons effectivement obtenu pour les seniors et les étudiants. Ce sont pourtant des exemples concrets de notre politique volontariste de mobilité.