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Bruxelles. Dépasser « good move » par la gauche ? Chiche !

Le numéro de la revue Politique consacré à l’écologie sociale et populaire semble avoir évité le débat sur la mobilité dans la capitale belge. Selon Jean-Paul Gailly, les torts sont partagés et mettent en évidence l’importance d’impliquer la population dans les changements qui la touchent directement. 

Premier constat à Bruxelles :  contrairement à la plupart des grandes villes européennes, la quasi-totalité des quartiers populaires bruxellois se situent tout près du centre, le long de ce qu’il est convenu d’appeler « la première couronne ». Ce fait a pour conséquence qu’ils sont donc fortement impactés par une importante circulation de transit et les émissions provenant des véhicules1.

Vouloir assurer les conditions d’un droit à une ville2 apaisée et saine de tous les habitants, sans discrimination sociale, est donc une question centrale pour toute politique de mobilité urbaine à gauche.

Comme le souligne René Schoonbrodt3, toute option doit se faire à la lumière de son impact sur les plus fragiles des habitants. Et comme le soulignait Politique dans son numéro 1214 « bouger rime souvent avec inégalités ». La question de la cohérence entre la fin recherchée et les moyens utilisés à leur égard me paraît donc un critère essentiel.

Une méconnaissance, parfois délibérée, de la politique de mobilité à Bruxelles

L’actuel plan régional, conçu sous l’égide d’une majorité PS-CDH-Défi et approuvé ensuite par une majorité PS-Ecolo-Défi, comporte toute une série d’axes qui sont souvent, volontairement ou non, passés sous silence5.

Une grande partie des médias et des politiques bruxellois se sont focalisés sur quelques plans communaux de mobilité visant à réduire le trafic de transit dans certains quartiers.

Étrange de voir des leaders politiques attaquer le plan régional, alors que les actions locales avaient été confiées aux autorités locales.

Curieusement, les uns comme les autres n’ont cessé de mettre en exergue les quartiers où cette approche rencontrait de fortes difficultés, en passant quasiment sous silence les autres plans locaux qui ont abouti à des réalisations positives, comme les plans de circulation du Pentagone ou du quartier de la place Lehon à Schaerbeek.

Par ailleurs, il est assez étrange à ce propos de voir différents leaders politiques attaquer le plan régional, alors que celui-ci avait, expressément, confié les actions locales aux autorités locales ; soulignons au passage que le très discuté projet de ligne de métro 3 fait partie du plan régional « Good Move », mais là subitement la mémoire de certains fait défaut6, notamment au MR et chez les Engagés mais aussi au PS et au PTB.

Quel « bad move » ?

Une constante, au-delà des réactions dans les quartiers populaires sur lesquelles je reviendrai plus loin, c’est le discours « mainstream » dans les médias et dans la population souvent aisée de la périphérie résidentielle de Bruxelles, laissant entendre que les autorités régionales auraient comme dessein de bannir la voiture de la ville et d’empêcher d’accéder au centre urbain. Ce qui est évidemment totalement contraire à la réalité et au contenu du plan.

De manière consciente ou non, ce discours consiste à nier le droit à la ville des Bruxellois, et parmi eux particulièrement ceux des quartiers populaires, proches du centre urbain. Pour les classes sociales supérieures, la ville doit se traverser et se parcourir à grande vitesse pour leur permettre de se rendre à tel ou tel endroit prisé de Bruxelles. Toute difficulté devra, comme par miracle, se résoudre par les avancées technologiques7.

En revanche, comme l’ont souligné les participants au congrès consacré à la mobilité par la FGTB de Bruxelles en 2018,  les lacunes – pour ne pas dire l’absence – de l’offre de transport pour les travailleurs et travailleuses de nuit ne semblent attirer l’attention de personne. C’est aussi le cas des défauts d’accès à certains équipements collectifs, comme par exemple à proximité des hôpitaux, alors que celui-ci pourrait éviter des déplacements inutiles : ainsi la plupart des travailleuses et des travailleurs du secteur du nettoyage n’ont pas accès aux crèches des hôpitaux.

A gauche, des torts partagés

Lorsque l’on observe la mise en œuvre d’actions locales visant à freiner le trafic de transit pour obtenir des quartiers apaisés, ce qui frappe c’est la différence dans les méthodes utilisées, mais aussi l’aveuglement de certains décideurs locaux devant la réalité sociologique de certains quartiers : les cas de Cureghem à Anderlecht et du quartier Stephenson à Schaerbeek me paraissent à cet égard les plus frappants.

Les deux partis de gauche dite « de gouvernement » sont impliqués dans les échecs comme les réussites.

L’aveuglement en question a été à chaque fois partagé par les différents partis membres des majorités communales concernées. A contrario, dans d’autres quartiers ou d’autres communes, une approche plus souple jointe à un dialogue avec les habitants a permis d’aboutir à une solution consensuelle.

Les deux partis de la gauche dite « de gouvernement » sont impliqués dans les échecs comme dans les réussites. La gauche radicale, quant à elle, ne s’est pas montrée capable de produire des contre-propositions alternatives concertées avec les habitants ; elle s’est laissée engluer dans l’agitation populiste attisée par la droite.

La fin et les moyens d’une véritable politique écologique

Il est inutile et totalement contre-productif de s’envoyer des mots pas très doux entre partis de gauche comme nous avons encore pu le lire dans les trois contributions au dossier sur l’écologie sociale et populaire : « approche autoritaire » (dixit Paul Magnette), « mesures impopulaires » (contribution de Raoul Hedebouw), ou « productivisme fondateur » (de la part de Marie Lecocq).

Ce que le « peuple de gauche » attend, à mon sens, c’est une capacité de co-construire les changements.

Quand la législation sur la protection au travail a été mise en œuvre dans les entreprises, les patrons et la droite ont hurlé à l’immixtion et à l’autoritarisme. Aucun changement important ne s’est fait sans modifier fortement des situations auxquelles chacun·e s’était habitué·e, ni sans une capacité de trancher et de tenir bon face aux critiques. Et lorsqu’on veut une « écologie populaire », mais qu’on n’a que les mots de  « classes moyennes » à la bouche, il faut sans doute se remettre en question.

En revanche, ce que le « peuple de gauche » attend, à mon sens, c’est une capacité de co-construire les changements avec ceux dont ils veulent améliorer les conditions de vie. Les mouvements associatifs, dont notre ville est riche, comme les organisations syndicales interprofessionnelles peuvent certainement apporter une collaboration précieuse à cette co-construction.

La gauche aurait tout à gagner à développer une dynamique progressiste plus « micro » sur le terrain local

L’atout de Bruxelles est que notre Ville-région se distingue des autres grandes villes belges, parce qu’elle dispose de tous les outils nécessaires pour développer la multimodalité, n’en déplaise au leader montois  de la « droite populaire ». Les différentes offres de transport  ont atteint un niveau significatif en termes de volume, et elles sont de bonne qualité, même si leur adéquation avec la réalité vécue des habitants est encore améliorable.

En dehors des débats structurels sur l’affectation des moyens budgétaires et l’organisation globale de la mobilité, la gauche, dans ses différentes composantes, aurait tout à gagner à développer une dynamique progressiste plus « micro » sur le terrain local. Comme le souligne à raison Céline Nieuwenhuys8, «  partir de l’expérience et de la parole des plus fragilisés permet de construire des réponses qui conviendront au plus grand nombre ».

Faire de la politique donc, mais autrement.