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[Brésil] Economie solidaire et politique publique

Depuis une trentaine d’années, les espaces de participation politique se multiplient au Brésil, offrant aux populations, surtout les plus démunies, la possibilité d’agir pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Ici, dans toutes les sphères de la vie économique et sociale, économie solidaire rime avec participation citoyenne populaire.

Le Front national pour la défense de l’économie solidaire, créé au mois de mai 2007, fait partie des actions prises par le parlement brésilien pour la reconnaissance des stratégies utilisées par le mouvement en faveur de l’économie solidaire au Brésil. Cette décision consolide les efforts réalisés depuis 1980 pour préserver les droits de milliers de citoyens exclus du monde du travail. Si au fil du temps le mouvement social a finalement trouvé un écho au Congrès national, c’est aussi grâce au courage, à l’engagement volontaire et la persévérance de nombreux acteurs et organisations comme Caritas Brésil, au mouvement syndical, des universités, des expériences de gestion du Pari des Travailleurs ou le gouvernement de l’état de Rio Grande do Sul qui a eu l’idée de développer en 1999-2002 des chaînes de production territoriale.

Le mouvement social donne le ton

Le mouvement s’est renforcé à partir de 2002 avec l’apparition du Forum social mondial, du Forum brésilien d’économie solidaire, du Secrétariat national de l’économie solidaire (Senaes) et plus encore, en 2003, avec la création du Conseil national de l’économie solidaire (CNES). Moment historique dans l’évolution du mouvement de l’économie solidaire qui marque l’aboutissement des luttes menées sur le terrain par des hommes et des femmes à la recherche de solution pour leur survie. Dans de nombreux pays, dont le Brésil, l’économie solidaire a permis à des milliers de personnes de se hisser au-dessus du seuil de pauvreté. Une opportunité pour des individus et des familles d’améliorer leurs conditions de vie, sur le plan alimentaire, culturel ou en matière d’éducation. Au Brésil, l’économie solidaire a dépassé le stade de l’expérimentation et bénéficie de mesures d’accompagnement de la part du gouvernement fédéral qui met à contribution différents acteurs dont le Senaes qui collabore régulièrement avec le CNES dont les travaux sont axés sur cinq thématiques : commercialisation, réseaux et chaînes de production et de consommation ; crédit et finances solidaires ; formation et assistance technique ; institutionnalisation de la politique nationale et création d’un cadre légal. C’est dans ce volet qu’intervient le Congrès national. Le Parlement, en tant que représentant de toutes les couches de la population, peut et doit apporter son appui aux actions menées sur le terrain. L’économie solidaire doit relever un énorme défi : établir la justice sociale et économique.

Le gouvernement en chef d’orchestre

Tous les ministères participent d’une façon ou d’une autre à l’élaboration de politiques publiques fédérales en matière d’économie solidaire. Par exemple, le ministère du Développement agraire, par l’intermédiaire du Secrétariat du développement territorial (SDT), a mis en place le concept de « territoires de la citoyenneté ». Il s’agit d’espaces géographiques naturellement intégrés en raison de leur dynamique sociale, politique et économique. L’objectif est d’organiser les chaînes de production par l’intermédiaire de réseaux d’appui mutuel, allant jusqu’à structurer une Base de service de commercialisation (BSC) pour garantir la distribution de la production. Le programme prévoit également la mise sur pied par les états de systèmes d’appui à l’agriculture familiale (Secafes). D’autres programmes contribuent également à l’expansion de ces politiques publiques. Le programme Fome Zero (Faim Zéro), sous la responsabilité du ministère du Développement social et de la lutte contre la faim, en est un exemple. Le programme poursuit d’importantes actions en faveur de l’inclusion productive et de la sécurité alimentaire et est une référence mondiale pour les programmes d’inclusion sociale et de lutte contre la faim. Au sein du ministère du Travail et de l’Emploi, le Senaes offre le programme « Économie solidaire en développement » dont les sphères d’actions prévoient l’appui aux chaînes productives, à la création de travail et de revenu, aux banques communautaires et aux fonds de crédit rotatif, aux centres de formation, de qualification professionnelle et d’alphabétisation, aux foires de commercialisation… Le Système national de commerce solidaire est en voie d’élaboration et la confection d’une carte des entreprises solidaires est en cours par l’intermédiaire du Système national d’information sur l’économie solidaire (Sies). De plus, plusieurs états et municipalités ont créé leurs propres organismes responsables de l’implantation de politiques publiques d’économie solidaire.

Le parlement joue sa partition

Pour mener à bien toutes ces politiques, il faut un cadre légal et institutionnel. Deux projets de lois sont en cours d’évaluation au Congrès national. Le premier, déjà approuvé par la Chambre des députés, est actuellement évalué au Sénat et est analysé par la Commission des questions sociales. Ce projet de loi propose de réglementer l’organisation et le fonctionnement des coopératives de travail. Il inclut aussi l’instauration d’un Programme national de soutien aux coopératives de travail (Pronacoop), qui rendrait disponibles des lignes de crédit avec les ressources du Fonds de soutien aux travailleurs (Fat), du budget fédéral, en plus des autres ressources qui seraient allouées par le pouvoir public. Les ressources du Pronacoop pourraient être administrées non seulement par les banques officielles, mais aussi par les banques coopératives et les coopératives de crédit. Pour cette raison, le Front parlementaire pour la défense de l’économie solidaire est en constant dialogue avec les sénateurs pour assurer l’adoption de cette loi. Un autre projet prévoit la création du Conseil national de finances populaires et solidaires dont la principale finalité sera l’accompagnement et l’appui technico-administratif du secteur coopératif dans le domaine de la gestion financière, des technologies de crédit, des systèmes informatiques, de la formation de cadres techniques, de la gestion administrative et autres activités inhérentes. De plus, le projet de loi complémentaire réglemente le fonctionnement des banques populaires qui pourront, entre autres activités, capter les dépôts bancaires et l’épargne, opérer des titres de capitalisation et des investissements, recevoir des paiements et donner des quittances. La proposition est en cours d’évaluation par la commission du travail de la Chambre des députés. Puisqu’il s’agit d’un thème d’une extrême importance, une audience publique est prévue pour approfondir le débat sur le sujet, de façon à donner la plus grande visibilité au contenu de la future loi. Nous sommes conscients que l’économie solidaire ne peut pas à elle seule éliminer les inégalités imposées par le système de valeurs capitaliste, mais elle peut et doit contribuer à humaniser les processus relationnels entre le capital et le travail. Il ne s’agit pas d’éliminer les conflits inhérents à ces relations, mais au contraire de montrer les différences et formuler les alternatives existantes.