Politique
Bol d’air démocratique
05.02.2008
Charleroi-démocratie («CD») : parmi les «forces vives» de la région, une initative s’est particulièrement mise en évidence depuis deux ans. Retour sur une expérience qui aura fait parler d’elle bien au-delà de Charleroi.
Quel fut le processus qui a mené «CD» à revêtir le statut «d’observatoire» des affaires carolos ? LUC DELVAL : La création du site date du début de l’été 2005 et l’idée de base n’avait rien à voir avec ce qu’elle est devenue. À l’époque, toute la population avait l’intuition que quelque chose ne tournait pas rond. Je craignais que cette perception vague amène un vote Front national massif, sur le schéma classique du vote «protestataire». Il s’agissait d’engager une réflexion sur ce danger. Quelques semaines après la création du site, éclatent les affaires. Un phénomène d’emballement d’abord médiatique, puis populaire, phagocyte tout le reste. Il s’est créé un courant auquel il était impossible de résister. «CD» fut-elle un «accélérateur de débat» qui a délié les langues et un «forum de démocratie participative» qui a permis de donner une parole politique au citoyen ? LUC DELVAL : À la première partie de la question, je peux répondre par un oui «symptomatique». La plupart des gens s’engageant dans le débat ouvert sur le site le faisaient sous couvert de l’anonymat. «Parce que moi je travaille à la ville, moi dans une association subsidiée, moi pour le CPAS… si j’apparais, je suis viré !» Le site exprimait l’étouffoir extraordinairement large qui pesait sur cette ville. Sous pseudos, les gens pouvaient dialoguer et débattre tout en sachant parfois très bien à qui ils s’adressaient. Par contre, je dois répondre par la négative à la seconde partie de la question. Seul un phénomène fut sensible : les rares personnes n’ayant pas de responsabilité politique, syndicale ou associative à être intervenues autrement que sur le mode «tous pourris» sont celles que l’on pourrait qualifier d’«expats». Des personnes qui conservent des liens familiaux ou affectifs mais qui ne vivent plus à Charleroi. L’un des gros problèmes de cette région est la fuite des cerveaux. Les jeunes partent faire des études à Liège, Louvain-la-Neuve ou à Bruxelles et ne reviennent pas. Certains d’entre eux se sont manifestés car ils se réjouissaient d’avoir un espace qui suggérait une représentation autre que celle caricaturée dans la presse. Mais pour les habitants eux-mêmes, l’impact fut marginal. Ils ont d’autres soucis dans leur vie quotidienne, souvent de l’ordre de la survie. La dépolitisation est profonde, d’une part car le niveau d’instruction moyen est bas, d’autre part parce que les syndicats ont abdiqué toute politique de formation militante. Les médias traditionnels ont dû réagir à cette incursion de «CD» dans le débat public dont ils sont censés être les garants. LUC DELVAL : Les premiers qui en ont parlé étaient les journalistes de Vivacité (RTBF). Ils voyaient leur «genre» d’information remis en cause par ce qu’ils supposaient être des amateurs et ils n’ont pas manqué de taxer «CD» de «populiste», sans, bien entendu, définir cette notion. Puis ça a évolué progressivement et on est arrivé à l’apothéose avec un dossier du Vif qui en juin 2007 classait le site parmi «les 30 personnalités qui font bouger Charleroi». C’était très flatteur, mais peut-être aussi injuste, il faut en convenir. Ce que le site a apporté fut d’une part l’explicitation d’un certain nombre de choses qui étaient terriblement maltraitées. Il tentait une remise en perspective : expliquer que la présomption d’innocence n’est pas une fable, qu’inculpé ne veut pas dire coupable. On ne trouvait pas ça dans la presse conventionnelle qui d’ailleurs induisait souvent ces confusions. D’autre part, les journalistes ont pu se servir du site pour écrire plus librement en arguant auprès de leur hiérarchie que s’ils ne révélaient pas une info, elle se trouverait sur «CD» le lendemain. L’un ou l’autre me tuyautait parfois en disant : «Il faut sortir ça car moi je ne pourrai pas le faire, ma hiérarchie est trop frileuse et/ou inféodée». Quelles traces laissera l’expérience de «CD» dans le paysage carolo ? LUC DELVAL : Une réflexion est menée actuellement au sein d’un petit groupe, qui pourrait déboucher sur une publication. Nous constatons que maintenant qu’une autre équipe municipale est installée, une mythologie «de l’avant et de l’après» apparaît. Tout ce qui s ‘est fait avant serait odieux et tout ce qui se fait à présent serait merveilleux. Or ni l’un ni l’autre n’est totalement vrai. Par ailleurs nous vivons dans un paradoxe qu’il faut traiter. Les personnes au pouvoir aujourd’hui sont peut- être aussi compétentes et plus honnêtes que les précédentes mais ce ne sont pas celles qui avaient été élues au suffrage universel. Il y a là de vraies questions politiques qui se posent et qu’il faut envisager loin des chroniques médiatiques ou des livres qui jouent sur la dimension affective du «scandale» Propos recueillis par Bruno Frère.