Politique
Belges et musulman·e·s, le défi de l’inclusion
24.11.2017
Le phénomène est vieux comme le monde. Des gens quittent leur pays et s’installent dans un autre. Au début, ils restent entre eux et, au fil du temps et des générations, ils deviennent citoyens de leur nouveau pays, se mélangent avec les autres tout en conservant certains traits culturels tandis que d’autres s’estompent.
Pour autant, ce n’est jamais facile. Ici on se sent envahi, là on s’accroche à ses bagages identitaires. Des cultures s’entrechoquent et génèrent de part et d’autre un sentiment d’insécurité. Et, de part et d’autre, la tentation est forte de se réfugier dans « l’entre-soi » – et celui des beaux quartiers est probablement mieux cadenassé que celui des quartiers populaires dont les discours populistes dénoncent le «communautarisme».
Cet « entre-soi » a beaucoup d’avantages. On s’y sent à l’abri des différences qui nous intriguent et des comportements qui nous menacent dans nos habitudes et nos certitudes. Mais quelle société prépare-t-on ainsi ?
Avec les affirmations musulmanes contemporaines, le problème a pris des proportions démesurées en connection directe avec la géopolitique. Même à notre corps défendant, nous avons été contaminés par la rhétorique de George W. Bush pour
qui le monde est le théâtre tragique de la lutte du Bien – l’Occident chrétien ou laïque – contre le Mal – le monde musulman, d’ici et d’ailleurs. Car, dans cette lecture paranoïaque, nos concitoyen·ne·s musulman·e·s sont invariablement envisagé·e·s comme les possibles complices de l’horreur.
Le simple fait de se prénommer Saïd vous rendra d’emblée suspect de « radicalisme » et tous les gages que vous donnerez de votre bonne intégration ne feront qu’accréditer le soupçon de dissimulation.
Il faut l’acter : les musulman·e·s sont parmi nous et le resteront. Mieux : ils/elles font partie de nous. Leurs
parents, leurs grands-parents étaient des « immigré·e·s » qui aspiraient à l’égalité des droits. « Nos » musulman·e·s d’aujourd’hui sont belges et l’égalité en droit leur est acquise. Mais pas encore en dignité, puisque leur religion et les pratiques culturelles qui y sont associées – notamment dans l’habillement, l’alimentation et la gestion du temps – n’ont toujours pas droit de cité.
Vouloir une « société inclusive », c’est accepter de s’ajuster dans l’échange à ces différences, pour autant qu’elles soient respectueuses des droits humains. Et, plus profondément, c’est accepter que la culture et les représentations des un·e·s et des autres soient modifiées par le jeu naturel des interactions. Cette démarche est opératoire partout : au travail, à l’école, dans la vie associative et dans la vie politique. Partout où du « faire-ensemble » peut se nouer. Dans ce dossier, on en explore quelques facettes parmi d’autres, sans ignorer la dimension proprement religieuse.
Il y a une raison particulière pour que la gauche fasse sienne cet objectif de « société inclusive ». En majorité, les personnes musulmanes appartiennent aux classes les plus subalternes de la société, celles dont Marx et Engels suggéraient que leur émancipation sera leur œuvre propre[1.« L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », Manifeste communiste, 1848. Une maxime qui peut s’appliquer à tous les groupes dominés.] . Il s’agit de se tenir à leurs côtés. En refoulant ce paternalisme qui est la marque la plus insidieuse du mépris.
Ce dossier a été coordonné par Maryam Benayad, France Blanmailland, Henri Goldman et Erdem Resne.