mobilité
Aviation : les jets privés en ligne de mire
11.04.2023
Récemment, plusieurs polémiques sont venues questionner notre rapport à l’aviation, et surtout
celui des plus nantis à ce mode de déplacement. Interrogés début septembre 2022 lors d’une conférence de presse par un journaliste sur l’utilisation de jets pour les déplacements du club de foot parisien du Paris Saint-Germain, le joueur Kylian Mbappé s’est mis à rire alors que son entraîneur, Christophe Galtier, se fendait d’un commentaire ironique sur le potentiel recours aux chars à voile, plus écologiques que l’avion. S’en est suivie une tempête médiatique et politique, exacerbée par les épisodes caniculaires et les catastrophes naturelles de cet été qui ont remis le lien entre mobilité et réchauffement climatique à l’avant-plan des préoccupations.
Plus proche de nous, le Cercle de Wallonie, qui se présente comme le premier club d’affaire du Sud du pays, a envoyé une invitation à ses 1 200 membres pour une journée découverte des « taxis du ciel » (comprenez : des jets privés). Face aux réactions courroucées, l’événement initialement programmé le 23 septembre 2022 à Liège Airport n’a finalement pas eu lieu et le siège namurois du Cercle de Wallonie a été vandalisé par des militant·es, la façade de son bâtiment se voyant affublée d’un tag « Jet Privé = Terrorisme écologique ».
Des vols passés à la loupe
Depuis le mois d’août, les vols en jets privés de certains milliardaires font face à des critiques, à la suite de la création de plusieurs comptes Twitter et Instagram qui suivent ces déplacements, pour dénoncer leur empreinte carbone démesurée. Cela ne plait pas à tout le monde : le milliardaire Elon Musk, patron des entreprises Tesla, SpaceX et désormais Twitter, a proposé de payer 5 000 dollars à Jack Sweeney, afin que celui-ci ferme l’application qu’il a créée pour suivre ses voyages en jets privés. Le jeune homme de 19 ans a refusé la somme d’argent. Derrière la publication de ces plans de vol, c’est le concept d’injustice climatique qui est mis en exergue note la RTBF[1. A. Dulczewski, « Le “flight tracking” des jets privés des stars et milliardaires, nouveau révélateur de l’injustice climatique », RTBF, 19 août 2022. (En ligne.)].
Et pour cause : selon l’ONG Transport & Environnement, à cause de ces voyages privés en avion, 1 % de la population serait responsable de 50 % des émissions émises par le secteur de l’aviation. D’après une autre estimation réalisée par Transport & Environnement, un vol en jet privé sur un trajet de 500 km émet entre 4,5 fois et 14 fois plus de CO2 qu’un vol en avion de ligne, et 50 fois plus que le même trajet sur une ligne de train européenne. « Si un jet privé, de par sa taille, consomme évidemment moins de carburant qu’un avion de ligne parcourant la même distance, il transporte également beaucoup moins de passagers (de l’ordre de 150 places dans un A320, contre 7,4 places disponibles sur la moyenne des cinq jets les plus populaires […]). Alors que les “gros” avions tentent de maximiser le nombre de personnes à bord (le taux de remplissage moyen est de l’ordre de 80 %), ce n’est pas nécessairement le cas des jets privés… qui voyagent même régulièrement à vide, généralement après avoir déposé leurs clients », écrit le journal Libération[2. « Quelle est l’empreinte carbone
d’un vol en jet privé ? », Libération, 26 août 2022. (En ligne.)].
En augmentation
Alors que nombre de citoyen·nes tentent de réduire leur impact environnemental, notamment en prenant moins l’avion, le nombre de vols effectués par des jets privés en Europe a augmenté de près d’un tiers ces derniers mois par rapport à 2019, révèlent les données de l’European Business Aviation Association, qui regroupe les compagnies proposant des vols d’affaires. En juillet 2022, le nombre de vols réalisés par des jets privés en Europe a augmenté de 30 % pour atteindre près de 179 000 vols.
Selon les chiffres fournis par la Direction générale transport aérien (DGTA), le compteur était arrêté début septembre à 27664 vols privés au départ des six aéroports belges[3. J.-F. Noulet et R. Crivellaro, « Jets privés, avions d’affaires : quel est leur poids en Belgique et qu’en est-il de leur taxation ? », RTBF, 6 septembre 2022. (En ligne.)]. La DGTA ne peut pas préciser combien de ces décollages concernent des avions belges. On sait cependant que 56 jets privés sont immatriculés dans le registre national. Dans ce contexte, Groen, rejoint par Ecolo, a proposé en août dernier une taxe « d’au moins 3000 euros » par vol en jet privé en Belgique, faisant sortir de ses gonds le président du MR, Georges-Louis Bouchez. De quoi alimenter les prochains débats sur le futur de l’aviation.
(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY 2.0 ; photo d’un jet privé, prise en juin 2017 par Julien Bensliman.)