Politique
Autonomie ?
03.06.2010
Le gouffre qui sépare les attentes concrètes de la population et l’agenda politique qui se profile en Belgique est une occasion unique et douloureuse pour revenir sur les liens qui unissent l’idéal démocratique et la quête de l’autonomie individuelle et collective. Le concept d’autonomie est intimement lié au projet démocratique. Il l’est dans un sens strict parce que l’autonomie dans le domaine politique a finalement peu à voir avec l’autonomie de l’enfant ou de l’adolescent qui est évoquée dans le langage courant : celui-ci est autonome lorsqu’il est simplement jugé apte à évoluer dans son environnement sans devoir nécessairement agir sur ce dernier. L’autonomie collective dans le domaine politique relève d’un tout autre registre ! C’est la capacité d’une collectivité à être l’auteur du monde dans lequel elle vit, l’acteur de l’organisation de ce dernier, et surtout le producteur du sens qui va justifier tout ce qui précède (normes, valeurs…). Là où l’adolescent est jugé autonome pour évoluer dans le monde adulte, la société est jugée autonome lorsque l’ensemble de ses membres peut véritablement se sentir auteur et acteur du monde dans lequel il vit. L’autonomie de l’enfant est une capacité à rentrer dans un monde, l’autonomie politique est la capacité à créer un monde, à l’organiser et à l’investir de sens. C’est donc vraiment très différent ! Le concept d’autonomie est lié au projet démocratique dans un sens strict parce que l’autonomie en politique a également peu à voir avec l’autonomie lorsqu’elle est synonyme d’indépendance et de séparatisme. Au nom du droit ambigu «des peuples à disposer d’eux-mêmes», il n’est pas rare de voir le concept d’autonomie servir les objectifs les plus inavouables. Et il faut ici faire la différence, encore une fois, entre des citoyens qui veulent agir sur leur propre destin, et des gens qui veulent se séparer des autres pour des raisons ethniques ou linguistiques, ou pour des raisons de niveau de vie comme le souhaitent quelques mouvements issus des régions les plus riches d’Europe. L’autonomie politique renvoie au projet ambitieux d’une société où chacun peut véritablement penser la loi comme étant sa propre loi (autos : soi-même ; nomos : la loi). L’autonomie des séparatistes est un prétexte pour se débarrasser des pauvres, des minorités, des «assistés» ou des étrangers, aux choix… C’est donc très différent ! Si le projet de l’autonomie politique est séduisant, il semble presqu’une utopie dans le contexte politique actuel. Les partis sont aujourd’hui de véritables appareils de pouvoir, ils sont des courroies de transmission et de redistribution de ressources diverses qui font vivre des centaines de milliers d’individus. Ils n’apparaissent plus comme les relais les plus efficaces pour traduire les aspirations populaires, et à bien des égards, comme le rappelait Vincent de Coorebyter (au sujet des partis de 1918 à 1940), les partis finissent par être accusés de «ne pas représenter fidèlement la nation, de la diviser en camps rivaux qui ne s’ancrent pas dans de réelles divergences de vues ou d’intérêts, de se perdre dans des jeux d’opposition, de tactique, d’alliance (…), qui se déroulent en vase clos et ignorent la situation et la volonté du ‘peuple réel’, dont les parlementaires n’offrent qu’une image déformée et grimaçante sous la forme d’un ‘peuple légal’» V. De Coorebyter, Les partis et la démocratie, Bruxelles, Crisp, dossier n°64, p.19. Le projet de l’autonomie politique est difficile à réaliser dans un contexte institutionnel qui donne autant de poids et de pouvoir aux partis politiques. Un contexte où même les élus les plus motivés pour insuffler des réformes (et ils sont nombreux à vouloir aller dans ce sens) restent avant tout des individus qui évoluent et qui sont sous la pression des grands appareils de pouvoir, où règne la compétition pour toutes sortes de postes, et de ressources symboliques, matérielles ou financières. La professionnalisation du métier d’élu – un processus bien abouti aujourd’hui – condamne les réformistes les plus audacieux à se plier à un ensemble de règles qui rendent littéralement impossible tout changement significatif. Il n’est pas sûr que l’avenir offre de l’espoir en termes d’autonomie collective, mais la chute du gouvernement et les élections anticipées ont au moins le mérite d’afficher au grand jour les impasses d’un régime dominé presque exclusivement par des partis politiques.