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Autogouvernement. Comment refaire de nos communes un haut-lieu de démocratie ?

Illustration : Simpacid.
Illustration : Simpacid.

Les villes et communes belges sont-elles vraiment ce haut lieu de démocratie ? Certes, les politiques locales mises en place peuvent s’avérer progressistes ou bénéfiques, mais avez-vous eu l’impression une seule fois de réellement décider de mesures communales ? À moins que vous ne soyez l’échevin·e, ou bien encore le ou la bourgmestre…

C’est un paradoxe. En Belgique, la commune est le niveau de pouvoir le plus proche de la population. En même temps, elle se trouve placée sous la tutelle de la région dans laquelle elle se situe géographiquement – soit la Wallonie, la région bruxelloise ou la Flandre –, ainsi que de l’État. Cette situation lui confère une autonomie politique et financière extrêmement limitée.

Un immense potentiel démocratique

Historiquement, la commune ne s’est pourtant pas toujours cantonnée à ce rôle d’unité politique subordonnée. Au contraire, elle a parfois joué un rôle d’organisation politique majeur. Que cela soit le système de « dème » dans la Grèce antique, la place prise par les communes dans les transformations sociales lors de la période médiévale, le soulèvement des comuneros en Espagne, les communes ont constitué une forme structurante de l’organisation politique et sociale à travers les siècles.

De plus, en période d’ébullition sociale, les communes s’avèrent être un lieu crucial d’organisation politique : depuis les révolutions françaises (tant la Commune de Paris de 1792 que celle de 1871) ou les town meetings pendant la révolution américaine, aux assemblées spontanées de quartier créées en Argentine en 2001.

Le mouvement kurde a entamé depuis 2012 la construction d’une société fondée sur des communes autonomes confédérées.

Depuis les années 2010, ce sont les « mouvements des places » qui reprennent le f lambeau de cette activité politique : l’on citera ainsi Occupy Wall Street, les Indignados, Nuit debout, mais aussi le mouvement des Gilets jaunes témoignant d’une véritable relocalisation de la politique, selon les mots du politiste Laurent Jeanpierre. Ces soulèvements au départ de la commune ne sont cependant pas qu’éphémères.

Au Chiapas, en Amérique centrale, les zapatistes ont fait sécession de l’État mexicain et s’organisent depuis 1994 sur une superficie égale à celle de la Belgique, sans État central mais bien à partir d’assemblées communales. Au Rojava, dans le territoire au nord de la Syrie, le mouvement kurde a entamé depuis 2012 la construction d’une société fondée sur des communes autonomes confédérées, afin d’administrer les quatre millions d’habitant.es. Elle montre ainsi une voie alternative à celle de l’État-nation, pour la libération du peuple kurde.

Une triste mise à l’écart

Malgré la richesse de ces expériences qui montrent la potentialité de la commune comme site d’organisation politique, elle demeure envisagée comme l’unité politique de dernier plan. Pire, elle est cantonnée, malgré sa taille, à exercer le peu de pouvoir qu’elle possède de la même manière que l’État, à savoir la démocratie représentative. Ainsi, le corps électoral communal est invité à voter périodiquement pour des représentant·es qui, une fois élu·es, seront en charge de décider à la place de la population des affaires qui la concernent.

Or, s’il est considéré comme un fait incontestable que la taille de l’État-nation moderne rend matériellement impossible de rassembler les individus dans un même lieu pour délibérer et exercer directement le pouvoir, requérant ainsi l’existence de représentant·es séparé·es de la population, tel n’est pas le cas de la commune. C’est d’ailleurs ce raisonnement qui a animé les Pères fondateurs aux États-Unis dans la création du gouvernement représentatif.

Seule unité territoriale où le peuple peut se réunir et prendre des décisions en face-à-face, la commune ouvre les possibles.

Dans le Federalist Paper n° 14, Madison écrit : « La véritable distinction entre une démocratie et une république (…) est que dans une démocratie, le peuple se réunit et exerce le gouvernement en personne ; dans une république, il se réunit et l’administre par ses représentants et ses agents. Une démocratie sera par conséquent confinée à un endroit plus restreint. Une république peut s’étendre sur une grande région ».

Dès lors qu’elle est la seule unité territoriale où le peuple peut se réunir, délibérer et prendre des décisions en face-à-face, la commune ouvre en réalité les possibles, pour repenser non seulement où le pouvoir est exercé, mais surtout comment il est exercé.

Comment rendre le pouvoir au peuple ?

Si, depuis les dernières décennies, l’idée de consulter les citoyen·nes sur des questions locales par un conseil de quartier ou une consultation populaire locale n’est plus marginale, celle de permettre à la population de s’assembler pour décider directement des affaires qui les concerne l’est en revanche beaucoup plus.

Conférer un rôle institutionnel au peuple assemblé est défendu par le projet communaliste théorisé par Murray Bookchin.

En effet, elle rentre en contradiction avec le principe fondamental de nos sociétés, organisées selon le gouvernement représentatif qui, selon les mots du théoricien politique Bernard Manin, n’accorde aucun rôle institutionnel au peuple assemblé, conférant ainsi tout le pouvoir à l’assemblée de ses représentant·es.

C ’est cette idée – conférer un rôle institutionnel au peuple assemblé – qui est défendue par le projet communaliste théorisé par Murray Bookchin. Celui-ci invite à concevoir la commune comme lieu où le peuple peut s’assembler, délibérer et prendre directement des décisions en face-à-face sur les affaires publiques, plutôt que de laisser cette tâche à des représentant·es professionnel·les de la politique.

Pour les questions qui dépassent la commune, ces assemblées locales pourraient s’organiser en conseils confédéraux, composés de délégué·es envoyé·es par chaque assemblée communale avec des mandats impératifs – soit une liste d’instructions précises décidées par l’assemblée – et révocables – permettant la destitution et le remplacement de la déléguée si elle ne respecte pas les termes de son mandat.

Ne pas se laisser faire par le discours dominant

Le cadre de cet article ne permet pas de développer ce système politique alternatif, et encore moins de le défendre face aux nombreuses objections que cette proposition doit certainement, et légitimement, susciter chez la lectrice ou le lecteur – je renvoie pour cela à ma thèse « Théorie et pratique de la démocratie directe communaliste. L’autogouvernement par le peuple assemblé ». Cependant, peut-être aura-t-il tout de même pu ébranler la croyance et les discours dominants, selon lesquels le système représentatif et étatique actuel représente le sommet de ce que l’idéal démocratique peut offrir.

Voter tous les six ans pour des élu·es qui décideront à notre place – est-ce là tout ce que l’on peut attendre de la démocratie communale ?

Dans le cadre des élections communales du 13 octobre, considérées comme « un grand moment de démocratie locale » selon le ministre bruxellois des Pouvoirs locaux, Bernard Clerfayt, l’on peut donc se demander : voter tous les six ans pour des élu·es qui décideront à notre place au sujet de questions qui nous concernent au niveau local – est-ce là tout ce que l’on peut attendre de la démocratie communale ?

Dans le contexte de crise de la démocratie représentative, ne pourrait-on pas plutôt partir de cette entité politique sous-estimée qu’est la commune ? Et, grâce à la potentialité offerte par sa taille, pouvoir changer le mode d’exercice du pouvoir, répondre à l’aspiration populaire à la démocratie, voire atteindre l’autogouvernement ? Seule l’action collective et démocratique pourra y répondre.