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Assumer un discours progressiste

Comment évaluez-vous l’accueil que reçoivent les propositions du Réseau pour la justice fiscale (taxe sur les grosses fortunes, suppression du secret bancaire…) au sein des partis politiques progressistes ? L’impôt sur la fortune a figuré parmi les revendications du PS lors de la dernière négociation gouvernementale. Le secret bancaire est partiellement écorné depuis le 1er juillet 2011 : dorénavant, lorsque l’administration dispose d’un indice de fraude fiscale ou qu’elle envisage, en raison de signes et indices d’aisance, de déterminer la base imposable, elle pourra s’adresser aux banques qui auront l’obligation de fournir tous les éléments requis. C’est un progrès, mais qui nous laisse encore loin de la situation française, par exemple. Il y a donc certes des frémissements, mais qui ne sont clairement pas à la hauteur des enjeux actuels, d’une part, du discrédit éclatant que la crise financière a apporté à l’idéologie néolibérale, d’autre part. Il y a pour le moment un espace d’opportunité relativement inédit depuis trente ans, même si force est de reconnaître qu’il est encore très insuffisamment occupé politiquement.

« Dans le contexte actuel, renoncer à une augmentation des recettes fiscales revient à dire son peu d’attachement à la notion même de service public. »

Il y a également une différence notable entre, d’une part les programmes des partis politiques, d’autre part les discours qu’ils tiennent dans les médias, et enfin les positions qu’ils tiennent dans les négociations et les points sur lesquels ils sont prêts à céder. Les programmes sont souvent beaucoup plus progressistes que les discours, comme si demeurait la crainte d’être traité d’enragé taxatoire. Nous avons de bons contacts avec les représentants des partis avec lesquels nous travaillons, mais l’argument du gouvernement de coalition est trop souvent brandi pour expliquer le peu d’avancées en matière fiscale. Du côté syndical, heureusement, tant la FGTB que la CSC continuent à assumer un discours clair sur une alternative fiscale – de façon même encore plus forte et explicite depuis la crise. On peut comprendre la difficulté de tenir un discours clair en matière de fiscalité dans le contexte d’un matraquage anti-imposition incessant. Mais qu’en est-il dans les actes ? Il y a certes des avancées et l’annonce de la priorité accordée à la lutte contre la fraude fiscale dans la Déclaration de politique générale du gouvernement est à saluer. Mais force est de constater que parmi la cinquantaine de recommandations émises par la Commission d’enquête parlementaire de 2009 sur la fraude fiscale L’intégralité du rapport et des recommandations est accessible en ligne : www.dekamer.be. (NDLR).., il n’y en a encore qu’une minorité qui a été transformée en loi ou arrêté, et une minorité encore plus faible qui a été mise en œuvre. Mais au-delà des textes, c’est tout le fonctionnement et la gestion du SPF Finances qui est à revoir. À titre d’exemple, au cours de l’année 2012, 1300 personnes quitteront l’administration fiscale pour partir à la retraite. Seules 500 d’entre elles seront remplacées. Pour un gouvernement qui prétend placer la lutte contre la fraude fiscale au cœur de ses priorités, c’est un signal pour le moins ambigu. Par ailleurs, il est de notoriété publique que ce manque de moyens produit des effets inégalitaires : si on ne passe rien aux salariés, puisqu’il est facile de les contrôler, on est en revanche beaucoup plus laxiste avec toute une série de mesures d’ingénierie fiscale – dont la limite avec la fraude est ténue –, notamment parce qu’il est beaucoup plus coûteux de s’y attaquer. Dans ce domaine, on en est encore à lutter avec des arcs à flèches contre des bombes nucléaires. Précisément, une des propositions d’Edoardo Traversa, dans ce dossier, consiste à faciliter la mobilité professionnelle entre secteurs public et privé afin de rééquilibrer quelque peu les forces en présence : comment jugez-vous cette proposition ? Ce ne serait pas ma première priorité. Dans le cadre actuel, beaucoup plus et beaucoup mieux pourrait être fait : la gestion des ressources humaines du SPF Finances est déplorable. Les compétences individuelles et les profils de fonction sont très mal appariés. Récemment encore, des experts fiscaux, qui s’étaient spécialisés pendant de longues années pour travailler à Bruxelles sur l’impôt des sociétés, ont été amenés à travailler sur l’imposition des salariés, lors de leur mutation à Liège. Il y a là un scandaleux gaspillage de compétences et d’expertise. Il est vrai, par ailleurs que, si du temps où Philippe Maystadt était ministre des Finances, des recrutements spécifiques avaient été effectués pour travailler dans le domaine de l’impôt des sociétés, plus rien à ma connaissance n’a été fait en ce sens depuis lors. D’éventuelles mesures volontaristes en matière de lutte contre la fraude, et en particulier en matière de revenus du capital, ne risquent-elles pas de se fracasser contre l’écueil de la mobilité du capital et de l’absence d’harmonisation européenne ? Ce dossier est évidemment crucial. On devrait pouvoir imaginer un dispositif de type « serpent fiscal européen », sur le modèle du serpent monétaire : des taux d’imposition minimum et maximum y seraient fixés, dans une fourchette relativement restreinte. La très grande majorité des États et des citoyens y gagneraient par rapport à la situation actuelle – cette course au moins fiscal qui pénalise tout le monde, à part peut-être les gros contribuables et les grandes entreprises. Mais il est vrai que l’idéologie néolibérale continue à orienter les politiques européennes depuis le cimetière des idées. Les espoirs de progrès en la matière sont d’autant plus réduits qu’en matière fiscale, c’est la règle de l’unanimité qui prévaut. Quelques avancées se font toutefois jour : la Commission européenne travaille par exemple actuellement sur une directive qui établirait une base commune – ce qui ne signifie évidemment pas un taux commun – en matière d’impôt des sociétés. Le militantisme fiscal reste relativement discret en Belgique. Il l’est nettement moins aux États-Unis, par exemple, où il prend la forme du Tea Party ou du Tax Relief Day (ce jour de l’année où les citoyens cessent prétendument de travailler pour l’État). Craignez-vous de voir débarquer ce genre d’activisme chez nous ? Heureusement, la Belgique a été jusqu’ici plutôt épargnée par ce type de mouvements démagogues. Mais on ne peut toutefois que se désoler de ce que le débat sur la fiscalité soit encore largement relégué dans les marges. De plus, des mouvements ouvertement hostiles au principe même de l’impôt ou à sa progressivité existent, dans les partis flamands surtout. C’est très clair à la N-VA, mais aussi au VLD, qui avait discuté lors d’un de ses récents congrès la proposition de flat tax, un taux d’imposition unique et donc non progressif pour tous les revenus à partir d’un certain seuil. Combien de partis sont-ils prêts, aujourd’hui à annoncer avant les élections qu’ils augmenteront les impôts et à préciser pour qui ? Or, dans le contexte actuel, renoncer à une augmentation des recettes fiscales revient à dire son peu d’attachement à la notion même de service public. Propos recueillis par Edgar Szoc.