Politique
Antisémitisme à l’Université libre de Bruxelles ?
24.04.2015
Le 4 mars dernier, le cercle BDS-ULB mène une action dans le cadre de la campagne « Israeli apartheid week ». Des militants montent un mur factice coupant l’avenue Héger – qui traverse le campus – en deux, symbolisant la barrière de séparation israélienne…
L’action dérape rapidement. Des slogans anti-israéliens fusent. Une militante du cercle BDSULB[1.BDS : boycott-désinvestissement-sanctions. Il s’agit d’une campagne internationale lancée par la société civile palestinienne afin de faire pression sur l’État d’Israël, qui occupe et colonise illégalement les territoires palestiniens conquis en 1967, et ses soutiens. Le cercle BDS-ULB avait été reconnu en 2012 par l’Université au terme d’une controverse qui vient d’être relancée.] semble montrer du doigt des militants de l’Union des étudiants juifs de Belgique (UEJB) et les invective : « dites coucou à l’UEJB, le mur, dites coucou à l’UEJB ». Cette retranscription des faits vient d’une vidéo postée, le lendemain, sur la page Facebook de l’UEJB. L’emballement est immédiat. La presse belge francophone se saisit de l’affaire et révèle la survenance d’« un incident antisémite à l’ULB ». Le traitement journalistique est laconique puisque la sentence prononcée se base uniquement sur les extraits vidéos postés par l’UEJB. Souvent accusées de mollesse ces derniers temps, les autorités académiques prennent le taureau par les cornes et obtiennent de l’UEJB et du cercle BDS-ULB la rédaction d’un communiqué commun d’une rare justesse. Ce communiqué fait honneur aux principes libre-exaministes de l’ULB réaffirmant le droit des deux cercles au respect et à l’expression libre de leurs opinions. Le cercle BDS-ULB reconnait le caractère maladroit de l’action de ses membres et réaffirme son rejet de l’antisémitisme, l’UEJB reconnaît que le montage de sa vidéo ne rend pas compte entièrement de l’incident. L’encre de ce communiqué à peine séchée, certains décident de remettre 1 euro dans le jukebox et ce qui n’était, au départ, qu’un incident représentatif des antagonismes pouvant exister entre cercles étudiants à l’ULB prend les proportions d’une campagne très agressive à l’encontre du rectorat et du cercle BDS-ULB, ainsi que de toute personne ou organisation tentant d’analyser ces faits autrement que par le prisme de l’antisémitisme. Il devient rapidement impossible de remettre en question le caractère « évidemment » antisémite de l’incident. Les tribunes libres du Soir et les réseaux sociaux deviennent l’épicentre de l’affrontement que mènera le camp du bien (ceux qui savent qu’il y a eu un acte antisémite à l’ULB) contre le camp du mal (les antisémites, les vrais et ceux qui s’ignorent). Au centre de cette bouillante activité, on retrouve notamment la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA) et le journaliste de la RTBF Eddy Caeckelberghs. Christophe Goossens, président de la commission juridique de la LBCA, écrit dans une carte blanche publiée par Le Soir le 11 mars : « On semble ainsi oublier le lien de cause à effet entre l’hystérie anti-israélienne et les attentats antisémites. Cette causalité est pourtant assumée par les auteurs des attentats eux-mêmes, qui ont systématiquement justifié leurs meurtres par leur opposition à la politique israélienne. » Eddy Caeckelbeghs s’exclame, le 7 mars, sur son mur Facebook : « Mais de quelle cécité et de quelle schizophrénie est-on atteint au sommet de l’ULB ? Non seulement pour prétendre à longueur d’année qu’il faut cesser d’importer le conflit israélo-palestinien qui par amalgame tue des Juifs au musée de Bruxelles mais aussi à l’école à Toulouse à l’hyper casher de Paris ou à la synagogue de Copenhague ET de laisser construire un mur d’apartheid cette année – un check point l’an dernier ! – sur l’avenue centrale du campus Solbosch et laisser BDS s’en prendre aux étudiants juifs du campus ??? L’an dernier. au check point, BDS “filtrait” les étudiants en les stigmatisant. Cette année ce fut “coucou le mur dit bonjour à l’UEJB !” » Le 27 mars, 75 anciens de l’ULB publient une carte blanche dans Le Soir enjoignant les autorités académiques à retirer leur reconnaissance au cercle BDS. Selon ces signataires, le soutien au boycott n’est pas admissible car il vise des personnes parce qu’elles sont israéliennes (et donc parce qu’elles sont juives) et, de ce fait, participe aux développements à l’ULB d’un antisémitisme sournois. La carte blanche est très largement médiatisée et reprise par l’Union des anciens de l’ULB, dont le président est justement Eddy Caeckelberghs. Le 8 avril, 200 personnes, étudiants, enseignants à l’ULB ou anciens étudiants publient, sans avoir droit à la même médiatisation, une opinion plus mesurée défendant le droit à BDS-ULB de pouvoir continuer son activité à l’ULB, rejetant fermement l’antisémitisme mais réfutant l’assimilation systématique des actions contre la politique israélienne à des actes antisémites et rappelant que s’il y avait eu un acte antisémite, l’arsenal légal de sanctions contre l’antisémitisme aurait pu être invoqué par les personnes s’estimant avoir été agressées le 4 mars.
Un journaliste se lâche…
Aborder la question du conflit israélo-palestinien sur le campus, ce serait donc non seulement « importer le conflit » mais également préparer le terrain, par l’amalgame, à des attentats antisémites. Reconstituer un check point israélien, ce serait une étape décisive avant le basculement dans la barbarie. Que cette dialectique provienne d’une association présidée par un activiste en recherche de notoriété depuis la fin de son compagnonnage politique avec le représentant autoproclamé de Marine Le Pen en Belgique est une chose Joël Rubinfeld, président-fondateur de la LBCA, fut en 2010 nommé vice-président et responsable de la communication du Parti populaire de Mischaël Modrikamen. Qu’elle soit véhiculée par un journaliste du service public, connu pourtant pour ses positions modérées et intervenant régulièrement, en cette qualité, sur le conflit israélo-palestinien, pose question. Ne serait-ce que dans le cadre d’un traitement objectif de la question du boycott sur les antennes de la RTBF. Certains ont cloué Baudouin Loos, journaliste au Soir, au pilori pour moins que ça. Les faits sont établis : des membres de l’UEJB ont été questionnés sur le soutien de leur organisation à la politique israélienne. Mettons de côté la question de la forme. Tout le monde s’entend pour reconnaître qu’elle était inappropriée. Mais la question de fond reste : est-ce que questionner l’UEJB (et donc ses membres) au sujet de la politique israélienne, c’est être antisémite ? Faut-il rappeler que l’UEJB est membre du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), branche belge du Congrès juif mondial dont une des missions principales est de défendre et reconnaître la centralité de l’État d’Israël dans l’identité juive contemporaine ? Dès lors, est-ce commettre un acte antisémite, que d’interroger des organisations (et leurs membres) qui défendent cette centralité, sur leur position face au boycott institutionnel et économique d’Israël ? L’incident de l’ULB est un prétexte qui s’inscrit dans cette tendance globale à disqualifier, en les accusant d’antisémitisme, les personnes et les mouvements politiques défendant les droits légitimes des Palestiniens dès lors que cette défense passe par une critique radicale de la politique du gouvernement israélien et en particulier des discriminations faites aux citoyens arabes, habitants ou non des territoires occupés, qui ont le goût et la couleur d’une politique d’apartheid sans dire son nom. Chaque dérapage antisémite, avéré ou monté de toute pièce, est utilisé comme pièce à charge et le procès fait à BDS, au travers de son antenne ulbiste, est cousu de fil blanc. Le boycott d’institutions ou de sociétés israéliennes devient, sous la plume de ses opposants, ontologiquement antisémite. Peu importe si des institutions, des citoyens, des universitaires juifs, qu’ils soient israéliens (dont Zeev Sternhell, peu suspect de complaisance vis-à-vis de l’antisémitisme ou du Hamas) ou de la diaspora ont décidé de le pratiquer ou du moins de le défendre. Peu importe si, contrairement à ce qu’écrivent les auteurs de la carte blanche, la campagne BDS vise bien – c’est écrit noir sur blanc dans ses statuts constitutifs – des institutions et non des personnes. Et tant pis si, parmi eux, on trouve certains intellectuels qui trouvent tout à fait normal de demander aux musulmans européens de se désolidariser individuellement de l’islam intégriste…
Un moyen d’action pacifique
L’utilisation de cette dialectique n’est pas innocente. Le boycott et les sanctions ont mis à genoux le régime d’apartheid sud-africain. C’est le seul moyen pacifique qui ouvre la perspective d’infléchir la politique israélienne et de créer les conditions d’un dialogue égalitaire entre Israéliens et Palestiniens. Sa délégitimation, aussi grossière soit-elle, est donc une priorité pour Israël et pour certains de ses soutiens extérieurs. Il est désolant de voir des personnes engagées dans les combats humanistes et ayant eu, par le passé, une attitude très critique vis-à- vis d’Israël, entrer dans cette logique. Pendant ce temps, l’antisémitisme, le vrai, prospère en Europe. En Allemagne où la recrudescence des actes antisémites (dont seulement 5% seraient imputables à des personnes issues de la communauté arabo-musulmane) inquiète les observateurs, en Hongrie et en Grèce où des partis ouvertement antisémites s’installent durablement dans le paysage politique. En France où le FN, et ses nombreux candidats antisémites, voire nostalgiques de Pétain ou du 3e Reich, représente un quart des électeurs. Le FN de Marine Le Pen que Roger Cukierman, président du Crif (la coupole du judaïsme français) qualifiait récemment d’irréprochable.