Politique
Alters grecs en queue de peloton européen
30.10.2008
L’isolement politique de la Grèce, libéré de la dictature il y a un peu plus de 30 ans, n’a pas été sans conséquence sur l’éclosion, tardive, de la militance politique altermondialiste grecque, à la fin des années nonante. Et ce n’est véritablement qu’en 2003, à l’occasion du sommet européen de Thessalonique, que le mouvement alter s’est cristalisé.
La distance géographique qui caractérise la situation de la Grèce par rapport au centre de l’Europe s’est souvent accompagnée d’un éloignement en termes politiques. En 1968 par exemple, alors que la plupart des pays européens étaient agités par des militants de toutes sortes qui voulaient changer le monde, une junte militaire était au pouvoir en Grèce et rendait impossible la moindre revendication. Une trentaine d’année plus tard, la situation politique ayant radicalement changé, il fut possible pour les militants d’emboîter le pas au mouvement alter. Nous sommes alors à la fin des année nonante, au moment où les guerres en Yougoslavie touchent à leur fin. Le sentiment d’isolation n’est plus de mise et les militants de la tendance anti-autoritaire En Grèce, le mouvement anti-autorité regroupe des groupes anarchistes de la gauche indépendante grecque. C’est un peu l’équivalent du mouvement antagoniste en Italie. La principale caractéristique de ce mouvement est son rejet de toute hiérarchie. .. (dont nous allons plus particulièrement nous occuper dans cet article) ont hâte de participer au mouvement altermondialiste. Ils se proposent d’ailleurs de le coordonner dès les premiers jours. On les retrouve déjà dans les rues d’Amsterdam en 1997 pendant les manifestations contre le sommet européen, souvent présentées comme l’une des premières de la mouvance altermondialiste. Mais ils allaient participer en beaucoup plus grand nombre encore aux mobilisations ultérieures comme celles du Carnaval contre le Capital à Londres en 1999 et celles contre le FMI et l’OMC à Prague en 2000. La participation de militants grecs à ce type de mobilisations internationales a atteint son apogée lors des manifestions contre le G8 à Gênes en 2001. Ils furent quelques milliers à traverser l’Adriatique pour renforcer l’évènement de leur présence. Deux ans plus tard, en juin 2003, eut lieu la seule mobilisation altermondialiste internationale tenue en Grèce : il s’agissait de protester contre le sommet européen à Thessalonique et dans la péninsule de Chalkidiki. L’importance de la mobilisation, l’esprit qui l’animait et la coopération presque sans précédent parmi les différents courants militants, d’une part, la brutalité de la répression policière pendant et après les manifestations, d’autre part, ont laissé des souvenirs marquants. Cette mobilisation est restée une référence obligée pendant pas mal de temps pour toutes les composantes du mouvement social d’opposition dans le pays,
Théssalonique, an 1
C’est le jeudi 19 juin 2003 qu’ont débuté ces fameuses mobilisations de Thessalonique, dans une ville investie par des milliers de policiers. Le soir de ce premier jour avaient lieu deux manifestations : l’une voulait s’opposer à la forteresse Europe et l’autre était une action de solidarité avec les immigrants. Chacune a rassemblé quelque 5 000 participants. Le lendemain, les actions contre le sommet se sont poursuivies : des milliers de manifestants anti-autoritaires ont débarqué dans la péninsule de Chalkidiki. Deux blocs ont tenté de forcer la zone rouge. Une fois le premier cordon de police dépassé, ils se sont fait attaquer aux gaz lacrymogènes et à coups de matraque. Au même moment, environ 2 500 personnes se rendaient à la limite de la municipalité de Florina à la frontière macédonienne afin de remettre de la nourriture aux 700 Romanichels à qui l’accès en Grèce avait été refusé. Mais là encore, d’importantes forces de police s’interposèrent. Lors de la manifestation principale le samedi 21 juin 2003, les deux blocs anti-autoritaires comptaient 6 000 personnes en tout. Il y eu de nouveaux affrontements avec la police. Les gaz lacrymogènes furent à nouveau de mise, de même que la violence physique. Mais les forces de l’ordre ont cette fois en plus procédé à des centaines d’arrestations suivies de détentions préventives. Le dimanche matin 150 militants, encerclés et attaqués par la police, tentèrent d’exprimer leur solidarité avec les détenus devant le tribunal de la ville. Le parquet demanda la détention préventive pour sept des personnes arrêtées tandis que les autres étaient libérées sous caution. Une date de procès fut fixée pour deux d’entre eux, mineurs et les cinq autres manifestants emprisonnés entamèrent une grève de la faim. Des occupations d’université ont alors débuté à Athènes et Thessalonique, comme autant des pôles de contre-information et de solidarité avec les prisonniers. Il fallu cinq mois de mobilisation – et une campagne à l’ancrage populaire étonnant suscitant une énorme pression politique – avant qu’ils ne soient libérés. Le gouvernement n’arrêta pas pour autant sa machine bureaucratique et traîna les sept inculpés (dont des grévistes de la faim) devant la justice. Cela près de cinq ans après les faits, en mai 2008. Les chefs d’inculpation ont été abandonnés pour trois d’entre eux, mais les quatre autres ont été condamnés à des peines allant jusqu’à huit ans et demi de détention, avec sursis dans l’attente du jugement en appel. Beaucoup de soupçons continuent à peser sur ces condamnations qui, selon certains, reposeraient sur des accusations fabriquées de toutes pièces par la police et le parquet.
Contagion militante
Mais ces agitations altermondialistes en Grèce eurent également des conséquences positives. Bien qu’il soit difficile de les mesurer, on ne peut nier qu’il existe un lien entre la mobilisation de Thessalonique et la prolifération d’occupation d’espaces sociaux peu après. Inversément, il est tout aussi risqué d’assurer l’existence d’une relation de cause à effet directe entre les deux. Etre parvenu à rassembler des milliers de militants poursuivant des objectifs communs devait nécessairement déboucher sur le désir d’établir des bases d’activités socio-politiques et des points de rencontre plus permanents. Les liens existants entre certains groupes ont été renforcés à l’occasion de l’occupation de la Faculté de théologie et de philosophie de l’université de Thessalonique quelques semaines avant les manifestations de 2003. Et il en fut de même à l’occasion de celle de l’école de théologie par solidarité avec les sept manifestants emprisonnés. Au cours des années suivantes les lieux publics occupés de façon permanente se sont multipliés à Athènes, Thessalonique et dans d’autres villes (notamment Patras, Larissa, Volos, Héraclion et Chania). Si en Grèce la tradition d’occupation illégale est antérieure à l’apparition du mouvement altermondialiste, l’influence de celui-ci a été cruciale : la communication et la coopération avec d’autres projets similaires ailleurs en Europe a puissamment stimulé l’occupation de ces espaces. Une culture d’occupation beaucoup plus politisée et radicale est apparue. Elle est à présent partagée par des mouvements qui luttent sur des champs pourtant bien différents : le racisme, le nationalisme, le sexisme, la famille ou la religion. Que ces occupations ouvrent de nouveaux espaces géographiques et politiques à la contestation ne manque pas de préoccuper les sphères dirigeantes, tous partis confondus. Il y a eu ces derniers temps, certes, une recrudescence des attaques de groupes plus spécifiquement fascistes contre ces espaces occupés. Et il y a eu également une augmentation des actions gouvernementales coordonnées. Les auteurs de certains incendies criminels n’ont toujours pas été identifiés. Et des fuites concernant des documents de police en disent long. Nous savons dans tous les cas que celle-ci surveillait de près les évènements organisés dans ces espaces de même que les personnes soupçonnées d’y être impliquées. Dans un pays où les liens entre la police et les groupes fascistes représentent une véritable tradition, il est normal que de sérieux doutes commencent à planer. Quelles qu’aient été ses conséquences positives, l’influence du mouvement altermondialiste a été à certains égards plus mitigée que ce qui avait été espéré. Le mouvement n’est évidemment pas une panacée et l’expérience de Thessalonique a montré qu’il y avait par exemple encore du travail avant de pouvoir compter, en Grèce, sur la capacité du mouvement anti-autoritaire à développer de véritables relations sociales alternatives durables. L’une de ses premières tâches pourraient d’ailleurs consister à réduire les attitudes autoritaires encore présentes en son sein, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. À l’image du conservatisme de la société grecque, des attitudes sexistes y persistent et arrivent peut-être même en tête des défauts qui peuvent être pointés du doigt. Aujourd’hui, alors que l’on peut se réjouir de voir que l’héritage du mouvement altermondialiste devient perceptible dans la réalité quotidienne et dans la façon de penser des gens il est devenu impératif de surmonter ces faiblesses dans un processus collectif. Voilà le véritable défi à l’avenir pour les structures anti-autoritaires et autogérées.