Politique
Alters et politiques italiens
23.04.2008
Faites de rapprochements, d’alliances objectives ou bien, a contrario, d’hostilités réciproques, les relations entre politiques et mouvement «No global», une nouvelle génération d’activistes radicaux, varient au gré du contexte politique. Inventeurs du désormais célèbre et européen premier Mai des précaires (Euromayday), les alters italiens restent parmi les plus actifs d’Europe.
Il est nécessaire de retourner à Gênes en 2001 pour étudier l’évolution du rapport entre le mouvement «No global» et la gauche parlementaire (et syndicale). Sur place, la première génération de gauche de l’après-guerre froide, en particulier les Tute bianche Littéralement : Tuniques blanches (de part la couleur des habits que portaient leurs membres portaient dans les manifestations). NDLR : Mouvement social actif entre 1994 et 2001 (notamment lors des protestations contre le FMI et la Banque mondiale à Prague en 2000) pratiquant la désobéissance civile inspirée des pratiques zapatistes (EZLN). (Wikipédia) , issues des centres sociaux italiens NDLR: A l’origine il s’agit de lieux désaffectés occupés illégalement par des collectifs affichant leur fort ancrage à gauche et leur volonté de palier aux carences de l’État. Ils sont, entre autres, devenus «des lieux de rencontre, de conflit, de symbiose des différentes pratiques alternatives (…). Ils sont soumis à une dure répression et sont (…) considérés comme des vitrines culturelles de nouvelles formes de terrorismes». (A. Fumagalli, «Histoire des mouvements anti-globalisation en Italie», Multitudes, n°10, 2002) , et les libertaires-anarchiques d’Indymédia et des collectifs hacker. Influencés par la tradition autonome de «Septante-sept» NDLR: Soit 1977, date a laquelle des membres de divers groupements gauchistes se rassemblent autour des idées du philosophe italien Toni Negri. On les appela les «Autonomes» et par le présent zapatiste du Mouvement de Seattle, les Tute Bianche étaient parvenues à unir les espaces sociaux occupés et autogérés des grandes villes italiennes : Milan, Rome, Turin, Naples et Bologne.
La fin de l’innocence
Les années nonante avaient été une saison de grande expérimentation et de grande popularité des centres sociaux italiens et leur culture alternative s’était alors étendue à tout le reste de la société, du hip hop au piercing, de la théorie critique à la solidarité métissée. La presque totalité du mouvement était réunie dans le cartel du «Genoa Social Forum», où, à côté des Tute Bianche et des centres sociaux, se trouvaient l’associationnisme équitable, les syndicats de base, les réseaux de défense des immigrés. Les partis défilaient et se forçaient à mener profil bas. L’opinion commune à l’époque était qu’ils devaient suivre le mouvement ou disparaître. Parmi les organisations syndicales traditionnels, seuls les métallos de la FIOM avaient pris part aux manifestations de Gênes, alors que la CGIL du futur shérif de Bologne, Sergio Cofferati, refusait dédaigneusement d’approcher la génération no global. Les Verts se trouvaient dans le réseau pacifiste Lilliput, alors que Rifondazione communista NDLR: parti communiste italien créé en 1991 sur les cendres du PCI, membre du gouvernement Prodi II (17 mai 2006-24 janvier 2008) avait expédié les Jeunes communistes au camping du stade Carlini, le quartier général des Tute Bianche, qui seraient sauvagement chargées par les carabiniers dans l’après-midi du 20 juillet, journée qui vit l’assassinat de Carlo Giuliani et déchaîna la pire violence d’État à l’encontre de personnes sans défense depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les forces de police étaient commandées par Gianfranco Fini, vice-premier ministre d’alors, ancien fasciste et fidèle allié de Silvio Berlusconi lors des élections du 13 et 14 avril 2008. Ce jour consacra non seulement la fin de l’innocence d’une génération entière mais aussi la fin des Tute Bianche. Dans un mouvement dont tous se repentiront par la suite, les leaders des Tute Bianche, dont Luca Casarini de Venise et Francesco Caruso de Naples, décidèrent de se dissoudre et de créer un nouveau mouvement avec les Jeunes communistes : les Disobbedienti Les Désobéissants , qui, durant les deux années qui suivirent se retrouvèrent en première ligne des protestations pacifistes contre les bombardements en Afghanistan et, surtout, contre l’invasion anglo-américaine de l’Irak épaulée par l’Italie de Silvio Berlusconi et l’Espagne de José María Aznar. Le secrétaire de Rifondazione communista, le cultivé et vaniteux Fausto Bertinotti, avait mis au point un beau coup : il sortait de l’isolement politique (on lui attribuait la responsabilité du retour de Silvio Berlusconi pour ne pas avoir donné ses votes au premier gouvernement Prodi) et il se couvrait du martyr de Gênes (accusant pourtant le black bloc NDLR: Mouvement directement inspiré des mouvements d’ultra-gauche européens dont les acteurs s’habillaient en noir, étaient masqué-e-s et combattaient la police dans la rue. Un Black Bloc est composé d’un ensemble d’individus ou de groupes affinitaires, qui se regroupent de manière spontanée ou organisée à un moment donné, à l’occasion de manifestations ou actions politiques. (Voir Darkveggy, Black Bloc, au singulier ou au pluriel, mais de quoi s’agit-il donc ?, éditions turbulentes, 2005, pp. 3-4) dans ses déclarations), faisant passer la génération altermondialiste italienne dans le camp communiste. Jusqu’en 2004, les communistes utilisèrent la marque no global dans les slogans de leurs propres campagnes électorales.
Ouvertures…
Aux élections européennes de 2004, le président du Forum social de Gênes, Vittorio Agnoletto, fut élu parlementaire européen de la Gauche européenne, formation qui unit Die Linke, Rifondazione communista, Izquierda unida, le PCF et une pléthore de partis communistes plus ou moins déstalinisés. Et aux élections parlementaires de 2006, Francesco Caruso du réseau «No Global» de Campanie, fut élu sur les listes de «Rifondazione» (grâce à la nouvelle loi électorale qui conférait aux partis le pouvoir de déterminer leur représentant au parlement), comme Daniele Farina, le porte-parole du premier et plus célèbre centre social italien, le Leoncavallo de Milan. Les centres sociaux du Nord-Est (Padoue, Venise, Vicense et d’autres villes de Vénétie, du Trentin et du Frioul-Vénétie-Julienne), dont le porte-parole était – et est encore – le charismatique Luca Casarini, avaient au contraire établi à temps des rapports avec les Verts, entrant dans l’administration communale de Venise et allant constituer l’aile gauche à l’intérieur du petit parti des écologistes italiens. À la différence de la tradition communiste, hiérarchique et centraliste, les Verts sont fédérateurs et ouverts aux «contaminations» externes (je me suis moi-même présenté sans succès comme candidat Vert non global au conseil municipal de ma ville, Milan).
…puis fermetures
L’hostilité des Padovani NDLR: Appellation générique des réseaux et centres sociaux de la Vénétie et du nord-est de l’Italie. Ils s’inspirent de la pensée de Toni Negri et de l’autonomie italienne, dont la ville de Padoue était l’épicentre envers «Rifondazione» depuis la fin 2003 ne dérivait pas de leurs traditionnelles alliances tactiques avec l’écologisme politique (ils avaient, du reste, donné vie aux Disobbedienti avec les communistes), mais du fait que Fausto Bertinotti, sentant le Palazzo résidence du président de la République. Métaphore italienne pour se référer au pouvoir se rapprocher (il serait nommé président de la Chambre en 2006) proclama que Rifondazione avait fait le choix de la non-violence et donc excommunia explicitement tous ces altermondialistes qui ne voulaient pas s’adapter à la nouvelle ligne de conduite, exactement au moment où tant d’eux étaient mis en accusation pour les faits de Gênes et pour les nombreuses actions, manifestations, mobilisations, qui, entre 2001 et 2004 secouèrent et agitèrent la société italienne. Cela mena dans les faits à la disparition des Disobbedienti et à l’ouverture d’une nouvelle phase dans la politique hérétique italienne.
Success stories
Un autre mouvement qui s’est développé en partielle polémique avec les communistes et la CGIL, et leur vision travailliste et industrielle de la société, est celui de la MayDay Parade et de Saint-Précaire. À partir de 2001, se tient à Milan un premier mai des précaires et des immigrés qui a su créer un nouveau discours autour de la précarité et des conditions de travail des jeunes et des immigrés, en créant de nouvelles formes de lutte sociale mélangeant médiactivisme non global et agitation d’inspiration anarco-syndicaliste. Depuis 2003, la MayDay parade bat en affluence (avec presque cent mille participants) les tristes célébrations officielles du premier mai, oeuvre des syndicats confédéraux (le réformiste CGIL, le catholique CISL et le modéré UIL). Dans le même temps s’organisent des manifestations de précaires contre le coût de la vie de Rome en novembre 2004, Saint-Précaire et MayDay sont touchées par l’onde répressive qui mena à l’incroyable verdict de Gênes : la police absoute pour la boucherie accomplie et les manifestants d’ores et déjà condamnés à un siècle de prison et à un million de dommages et intérêts pour «avoir porté atteinte à l’image de l’Italie à l’étranger». Après l’élection du second gouvernement Prodi au printemps 2006, le mouvement no global italien revint rapidement à ses positions traditionnelles niant à la représentation parlementaire d’autres rôles que ceux de valium du conflit et de légitimation des institutions politiques et économiques construites dans l’intérêt des élites financières du pays. Deux indubitables succès de cette nouvelle approche furent les très réussies contestations de George Bush et de Jospeh Ratzinger à Rome, qui eurent respectivement lieu en juin 2007 et en janvier 2008. Les réseaux non globaux romains, pour leur part, restent très actifs, notamment au sien de la Sapienza, principale université de la capitale, riche d’un grand nombre de militants. Après être parvenus à envoyer des représentants politiques laïcs à la Commune en 2001, il poursuivent aujourd’hui la construction de mouvements anticléricaux de poids et de vivacité substantiels. Et c’est toujours à Rome que la tendance féministe-anarchiste a surgi avec force à partir des centres sociaux, dans la grande manifestation qui eut lieu en novembre 2007 contre les violences exercées sur le corps des femmes. À cette occasion des ministres et parlementaires de centre-gauche et de droite ont été chassés des studios de la télévision alors même qu’ils pontifiaient la manifestation (qu’ils n’avaient pas organisée) par des jeunes militantes vraiment furieuses, bien décidées à ne plus rien déléguer à un pouvoir politique toujours plus esclave des désirs du Vatican.