Politique
Allemagne : la fin de l’altermondialisme ?
30.10.2008
Le demi-échec du contre-sommet de Heiligendamm de 2007 marque-t-il le début de la fin pour le mouvement alter allemand ? L’enjeu écologique serait-il en train de l’emporter avec lui ? Et y a-t-il lieu de s’en émouvoir ou bien de constater que cet avatar n’est finalement qu’une nouvelle étape pour ce mouvement social ?
Ne parlons pas de mouvement en crise : c’est la nature même des mouvements sociaux que d’évoluer, d’être en perpétuelle transformation – et de changer la société où ils s’inscrivent. Quand nous parlons de mouvement «en crise», nous ne faisons que le reconnaître. Les mouvements se définissent par des processus de devenir et de transformation. Il est donc trop général et trop banal d’user d’un tel vocabulaire. Ce sont les processus concrets qui définissent le mouvement qu’il nous faut étudier pour déterminer où il va. Considérons dès lors les deux processus principaux qui définissent le champ de la pratique du mouvement altermondialiste en Allemagne aujourd’hui. Tout d’abord la mobilisation du contre-sommet du G8 à Heiligendamm en 2007. En second lieu nous interrogerons l’émergence de Die Linke, ce parti politique qui résulte de la fusion du parti de gauche essentiellement est-allemand PDS (Parti pour un socialisme démocratique) et du parti ouest-allemand WASG (Alternative électorale pour la justice sociale), formé lui-même d’anciens membres de la SPD (le parti social-démocrate) et de syndicalistes de gauche.
Heiligendamm, une demi-réussite
Avant Heiligendamm, les mouvements de protestation altermondialistes associés aux différents sommets n’atteignaient plus l’intensité qu’ils avaient connue au début du XXIe siècle (surtout dans les pays industrialisés). Au lieu de faire trembler les puissants, ils étaient devenus des évènements marginaux, réprimés et à peine remarqués (pensons aux sommets du G8 aux États-Unis en 2004 et en Russie en 2006). Parfois même, comme ce fut le cas à Gleneagles (Écosse) en 2005, ils se transformaient en grand-messe pour un programme néolibéral caché derrière des motifs humanitaires. Il suffit de se rappeler de la campagne «Make Poverty History» pour s’en convaincre Make Poverty History signifie : Faites que la pauvreté appartienne à l’histoire, donc au passé. St. Hodkinson, «Inside the Murky World of the UK’s Make Poverty History Campaign» (Plongée dans les eaux troubles de la campagne en Grande-Bretagne), Red Pepper, 2005. En Allemagne, le mouvement altermondialiste s’est alors dit qu’il fallait tirer les leçons de ces évènements. Au cours de la mobilisation pour le sommet de Heiligendamm, tous les secteurs du mouvement ont travaillé ferme pour surmonter les vielles divergences et éviter de se diviser. Block G8, la coalition qui chercha à organiser des moyens de bloquer le sommet, rassemblait plus de 200 organisations et sa composition allait de groupes autonomes d’extrême gauche à des associations religieuses. Même si Attac-Allemagne en tant que réseau ne soutenait pas les barricades, il fut significatif de voir que des centaines voire des milliers de ses membres y participèrent. En fait, toute la «chorégraphie de résistance» mise en place pendant ces journées fut celle de la coalition la plus large de forces altermondialistes qui se puisse imaginer. Elle comptait y compris des membres de Die Linke. Et ses participants espéraient que ce processus permettrait au mouvement de renaître de ses cendres après le déclin évoqué, renforcé par la répression de toute contestation après le 11 septembre 2001 et la défaite du mouvement contre la guerre. D’autres alliances avaient aussi été conclues. Un mois avant le sommet, l’État allemand avait lancé un assaut de grande envergure contre les courants les plus radicaux qui mobilisaient pour Heiligendamm. Il s’est attaqué à plus de 40 centres de coordination avec comme justification une législation antiterroriste récemment adoptée. La réaction fut immédiate. Non seulement une manifestation de plus de 5 000 libertaires autonomes de gauche s’organisait à Berlin en moins de 24 heures mais en plus une large solidarité pour la gauche radicale s’est manifestée au sein de la bourgeoisie éclairée. Enfin, tous les partenaires de la mobilisation étaient tombé d’accord pour que l’objectif des actions principales soit de «délégitimer» le G8, et non – comme à Gleneagles – de demander qu’il ait encore plus de pouvoir (ce qui est implicite dans l’exigence «Make Poverty History»). Pourtant, même si le mouvement s’était prémuni contre la répression et la cooptation, il ne s’attendait pas à ce qui s’est produit. Heiligendamm a été un échec d’un point de vue stratégique. Alors qu’il avait cherché à délégitimer le G8 en traitant du rôle de l’institution dans des domaines aussi divers que l’immigration, l’agriculture mondiale et le militarisme, le G8 (mené par la Chancellière Angela Merkel) a changé de terrain et abordé un problème pour lequel le mouvement altermondialiste allemand n’avait pas de réponse : le changement climatique. En se présentant comme l’institution par excellence capable de s’attaquer à ce «problème commun à l’humanité», le G8 a réussi, d’un coup de baguette magique, à rendre nulle et non avenue l’opposition que cherchaient à créer les mouvements et a du même coup à reconquérir pas mal de légitimité.
Transformation identitaire
Au vu de cette étrange dualité de réussite et d’échec pour Heiligendamm, quelle est aujourd’hui le statut de la critique altermondialiste en Allemagne ? Le destin «défectueux» de bien des mouvements sociaux est venu hanté l’altermondialisme allemand. On peut se demander ce que ressentent les écologistes qui ont tenté pendant des décennies de faire prendre conscience du problème que constitue le changement climatique alors qu’ils constatent désormais que c’est devenu la marotte des discours politiques, pour servir évidemment la modernisation du capital mondial et les mécanismes de décision plutôt que pour relayer les idées de la réflexion écologique elle-même. Après Heiligendamm, Attac a fait valoir que sa faiblesse actuelle, le sentiment d’une dérive politique et d’un manque d’objectifs clairs étaient dûs au fait que sa critique s’est imposée comme élément central de la société : Horst Köhler, l’actuel président de la république fédérale allemande, a récemment traité les marchés financiers de «monstres». Le parti Die Linke, même s’il ne reprend pas explicitement ses positions, a gagné des sièges lors d’élections parlementaires régionales ces derniers mois, dépassant même les sociaux-démocrates pour arriver à la deuxième place dans quelques landers d’Allemagne de l’Est. Son expansion spectaculaire s’est produite dans l’espace laissé vide par la sociale-démocratie qui se déplace pour sa part vers la droite dans un glissement inspiré par le New Labour britannique. Ce genre de déplacement correspond à une offensive néolibérale entraînant un mécontentement politique et social profond. Mais à quelques exceptions près au niveau local, et mis à part l’existence d’un «bureau de liaison avec les mouvements sociaux» au sein du parti, il y a peu de liens organisationnels et programmatiques concrets entre le parti et le mouvement social. On peut même parler d’une méfiance et d’une suspicion certaines de la part du second à l’égard du premier. Ainsi, du point de vue des «alters», il est inacceptable que le dirigeant de Die Linke, Oscar Lafontaine, précédemment social-démocrate de gauche, joue sur un racisme latent dans la classe ouvrière allemande en soulignant le danger que représentent la concurrence des travailleurs immigrés, comme le font aussi par exemple depuis des années les syndicats aux États-Unis. Dès lors, s’il est vrai qu’une partie de la traditionnelle méfiance qu’entretiennent les «alters» à l’égard du politique a pu être surmontée grâce au processus de Heiligendamm, il reste faux de présenter Die Linke comme un parti altermondialiste. Nous l’évoquions, si l’altermondialisme a pénétré différents niveaux de la société, c’est dans des formes de discours et d’organisations qui sont bien loin des objectifs de départ du mouvement. C’est pourquoi il y a aujourd’hui tant d’interrogations au sujet de la nature d’Attac elle-même mais aussi quant à la direction à prendre pour le mouvement «alter» de façon plus générale. Il convient ici de mentionner deux évolutions importantes. La première d’entre-elles est qu’Attac envisage de radicaliser sa critique et de passer de la mise en cause d’un néolibéralisme dépassé – dont l’échec est désormais reconnu même dans les pages du Financial Times M. Wolf, «The rescue of Bear Sterns marks liberalisation’s limit», Financial Times. La citation complète dit : «Rappelez-vous le vendredi 14 mars 2008 : c’est le jour où est mort le rêve d’un capitalisme mondial de libre-échange», 26 mars 2008 – à une véritable critique du capitalisme. La seconde renvoie à la tentative de lier les mouvements allemands à un mouvement mondial pour le climat inspirée par l’échec politique partiel de Heiligendamm. L’enjeu est de s’impliquer dans ce qui promet d’être une mobilisation de masse contre le sommet du climat à Copenhague en 2009. Cet évènement pourrait représenter pour le mouvement écologique de défense du climat ce qu’a été Seattle pour l’altermondialisme. A ce titre, il est peut-être exact de dire que le vieux mouvement altermondialiste est mort. Mais comme le veut l’adage, si tant que l’on accepte de l’adapter : le mouvement est mort – vive le mouvement !