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En débat. Affaiblir la LEZ ? Inacceptable… en particulier pour les plus précaires

Montage Politique (Detail, Bermix Studio. Unsplash)
Montage Politique (Detail, Bermix Studio. Unsplash)

La rédaction de Politique a reçu de nombreuses réactions à l’article de François Perl au sujet du prolongement de l’autorisation des véhicules les plus polluants à Bruxelles. Nous publions ici une carte blanche de Pierre Dornier, directeur de l’Asbl « Les Chercheurs d’Air », qu’il envisage comme un complément.

Le MR, Les Engagés et le PS veulent retarder la prochaine étape de la Zone de Basses-Émissions (LEZ) de deux ans. La raison avancée ? Donner du temps aux Bruxellois·es pour changer de véhicule. Cette approche est à la fois inappropriée et dangereuse. Elle surestime le besoin de posséder une voiture et ralentit la lutte contre la pollution de l’air, ce qui nuit particulièrement aux plus précaires. Explications.

Les trois partis francophones partent du principe qu’une voiture qui n’aurait plus le droit de circuler à partir du 1er janvier 2025 doit être remplacée par une autre, moins polluante. Et qu’il faut donc laisser du temps aux Bruxellois⸱es pour procéder à ce changement (bien que cette échéance ait été communiquée depuis 2018).

Des centaines de Bruxellois·es meurent prématurément chaque année à cause de la mauvaise qualité de l’air.

Or très souvent, la possession d’une voiture n’est pas un besoin, car d’autres options de mobilité existent en Région de Bruxelles-Capitale : la marche, le vélo, les transports en commun ou encore « l’autopartage » en font partie. Ces alternatives sont moins polluantes, mais aussi moins coûteuses. Elles sont donc particulièrement intéressantes pour les ménages avec de faibles revenus.

Mauvaise nouvelle : la pollution de l’air tue

La volonté du MR, des Engagés et du PS d’affaiblir la Zone de Basses-Émissions est également problématique, car elle ralentit la lutte contre la pollution de l’air. Nous savons pourtant que des centaines de Bruxellois·es meurent prématurément chaque année à cause de la mauvaise qualité de l’air.

Plus de 100 médecins ont d’ailleurs récemment signé une carte blanche pour demander de mieux protéger la santé des Bruxellois·es, entre autres en gardant le calendrier initial de la LEZ. En effet, cette dernière est l’outil le plus efficace pour lutter contre la pollution de l’air, dont la source principale est le transport routier.

Les quartiers les plus pauvres ont tendance à être les plus exposés à la pollution.

Les enfants et les populations défavorisées sont les plus à risque face à cette pollution. Les premiers car leur métabolisme est encore en développement. En Région bruxelloise, ils sont pourtant très concernés par la mauvaise qualité de l’air. Nous venons en effet de montrer dans un nouveau rapport que plus de 100 écoles maternelles et primaires sont exposées à des concentrations en NO2 entre deux et trois fois supérieures à la recommandation de l’OMS.

Les publics défavorisés sont également très vulnérables à la pollution de l’air et doivent être particulièrement protégés. En effet, la santé des ménages les plus pauvres est souvent fragilisée par une difficulté à accéder à la médecine préventive, à une nourriture de qualité, à un logement sain, à des activités physiques, ou encore à des espaces verts et de détente. Respirer un air pollué affaiblit encore un peu plus cette catégorie de la population. De plus, les quartiers les plus pauvres ont tendance à être les plus exposés à la pollution.

Outre l’impact sanitaire, la pollution de l’air a également des conséquences économiques. Chaque année, elle coûte, à l’échelle régionale, plus d’un milliard d’euros. Des dépenses qui pourraient autrement être utilisées pour aider, directement ou non, les plus précaires justement.

Il faut améliorer la LEZ plutôt que l’affaiblir

Ceci étant dit, il est indéniable que la LEZ n’est pas parfaite, et ce principalement pour deux raisons.

Tout d’abord, quid d’une personne qui aurait réellement et fréquemment besoin d’un véhicule interdit dans la LEZ et qui n’a pas les moyens d’en changer ? Dans ce cas, la Région bruxelloise doit l’aider financièrement.

Elle peut le faire grâce à la mise en place d’un système de leasing social par exemple, comme ce qui existe en France. Pour une mensualité basse, il est possible de bénéficier d’un véhicule sans l’acheter. À la fin du contrat, soit la personne décide de rendre la voiture, soit elle en fait l’acquisition. Mais ce genre d’aide doit être strictement limitée aux Bruxellois⸱es qui ont besoin d’une voiture et qui n’ont pas les moyens d’en acheter une nouvelle. Et seules les voitures électriques petites et légères doivent être incluses dans ce type d’accompagnement.

Il n’est pas normal que les ménages aux faibles revenus doivent s’embêter à trouver des alternatives

Ensuite, la mesure de la LEZ n’est pas à même de régler tous les problèmes de pollution. Nous savons par exemple que les véhicules électriques émettent des particules fines et ultra-fines (ces dernières ne sont pas visées par une réglementation) à cause de l’abrasion de pneus et des freins.

De plus, il n’est pas normal que les ménages aux faibles revenus doivent s’embêter à trouver des alternatives, parfois compliquées, à l’utilisation de la voiture privée, alors que les classes moyennes et supérieures peuvent, sans trop de difficultés, se payer une voiture électrique.

Enfin, la pollution de l’air n’est pas le seul problème. Les émissions de CO2 et les accidents de la route sont également des réalités et ce ne sont pas les SUV, même électriques, qui vont apporter une solution.

Il serait beaucoup plus raisonnable de mettre en place une “période pédagogique” de six mois, durant laquelle les véhicules ne reçoivent pas une amende, mais un rappel.

La LEZ doit donc être accompagnée par d’autres mesures, qui réduisent le trafic routier (quartiers apaisés et rues scolaires par exemple), qui réduisent le poids et la taille des voitures (tarification progressive de stationnement comme à Lyon et à Paris), ou encore qui visent à développer les transports en commun et la mobilité active (trams en site propre, pistes cyclables séparées, etc).

Et si nous avions besoin d’un peu de flexibilité ?

Les problématiques soulevées par la LEZ ne sont pas simples, mais si des ajustements peuvent être nécessaires, un report de deux ans est inacceptable. Pour rappel, plusieurs centaines de personnes meurent prématurément chaque année à cause de la mauvaise qualité de l’air.

Il serait beaucoup plus raisonnable de mettre en place une “période pédagogique” de six mois, durant laquelle les véhicules en infraction ne reçoivent pas une amende, mais un rappel de la réglementation. Cette phase transitoire, du 1er janvier 2025 au 30 juin 2025, permettrait de rendre le prochain jalon plus flexible et acceptable. De plus, elle augmenterait l’harmonisation des calendriers de la Zone à faible émission (ZFE) bruxelloise et des ZFE d’Anvers et de Gand. Le tout sans affaiblir la LEZ dans ses fondements.