Travail
Accord UBT-Uber : l’uberisation du syndicalisme
09.12.2022
Cet article fait partie d’un ensemble de réactions publiées conjointement. Elles reposent d’abord sur un article de Jean-Paul Gailly et comprend également une réaction de la CSC et de l’UBT-FGTB.
Le 21 octobre dernier, nous avons appris, par voie de presse, l’accord secret entre le patron de la centrale syndicale UBT-FGTB et les dirigeants de la plateforme Uber[1.A. Cloot, « La FGTB signe un accord “historique” avec Uber », Le Soir, 21 octobre 2022.]. Le Collectif des coursier·e·s, présent sur le terrain depuis 2016, a dénoncé cet accord dans la foulée[2.K. Michiels, « Pourquoi “l’accord de désaccord” entre la FGTB-UBT et UBER devrait être déchiré immédiatement », Révolution, 31 octobre 2022.].
Un accord historique ?
Le timing de sa signature permet de penser que l’entreprise cherche avant tout à redorer son image, écornée par les Uber files qui mettent en évidence des années de lobbying à la limite d-e la légalité[3.P. Bérastégui, « Les “Uber files” : une opération de lobbying mondiale », Etui, octobre 2022.]. Cet accord a lieu dans un contexte bien particulier : quand l’Union européenne, sous l’impulsion parlementaire, et le gouvernement belge aspirent à donner un cadre à la relation entre les livreurs et la plateforme qui les emploie. L’accord UBT-Uber cherche avant tout à mystifier l’opinion publique en donnant l’image d’une entreprise capable de « dialogue social »[4.A. Dufresne, « La stratégie politique d’Uber : lobbying et dialogue social », Gresea, novembre 2022]. Et cela alors que l’accord a été signé sans consulter ses travailleurs : quelle ironie[5.Fr. Moreels, « Enfin un syndicat qui défend les droits de tous les chauffeurs : taxis et Uber ! », UBT, octobre 2022] !
Le président de l’UTB, Franck Moreels, qualifie cet accord secret d’historique[6.Maxime. Kouvaras, « Déchirez l’accord secret », Zintv.]. Au-delà du mépris que représente sa décision vis-à-vis des travailleurs eux-mêmes, nous nous demandons quelle capacité de négociation le syndicat détiendra puisque la présence de l’UBT dépend de la volonté des dirigeants d’entreprise ? Le Collectif des coursier·e·s n’a jusqu’à présent jamais eu besoin d’un accord secret pour rencontrer les représentants de l’entreprise.
M. Moreels affirme aussi qu’il y aurait enfin un syndicat présent pour représenter les chauffeurs et les livreurs, alors même que son organisation n’était pas sur le terrain toutes ces années durant et que le Collectif des coursier·e·s ainsi que United Freelancers (UF, section d’indépendants liés à la CSC) se mobilisent depuis des années. Nous cherchons avant tout à mobiliser les travailleurs et à constituer une base solide pour que les représentants des livreurs aient la force du nombre dans le cadre d’une négociation collective, et non d’un dialogue social. C’est pourquoi, nous avons mis en place dernièrement un lieu d’accueil : la Maison des livreurs. Ce lieu sert à fournir tous les services nécessaires : réparation de vélo, conseils syndicaux et administratifs, etc. Nous y avons mis en place des permanences trois fois par semaine en front commun avec l’UF-CSC, les Jeunes FGTB et le Collectif des coursier·e·s. Même si ce n’est pas toujours simple, nous travaillons en bonne intelligence avec les syndicats et cherchons avant tout à gagner la confiance des livreurs. C’est grâce à un travail concret auprès des travailleurs des applis que nous arriverons à les inclure dans la négociation pour l’amélioration des conditions de travail. L’intérêt des travailleurs à la trappe
Sur le fond de l’accord, l’UBT-FGTB annonce trois objectifs clés : la représentation, l’amélioration des conditions de travail et l’aide dans les procédures d’appel. Il met de côté les deux questions essentielles que sont le statut des livreurs et la rémunération. Au-delà de ça, intervenir de manière officielle pour défendre a posteriori les travailleurs injustement déconnectés de l’application représente un précédent historique grave. La présence du syndicat légitime un mode opératoire brutal : le licenciement sauvage ou la déconnexion dans le langage de la plateforme américaine.
Nous ne pouvons que supposer que, lorsqu’il y aura un problème, le syndicat cherchera à vendre une carte d’adhérent se transformant en service, payant, de réclamation de la société Uber… Sur la représentation, nous refusons qu’une centrale puisse nous représenter sans notre accord. Et la question de l’accès aux données de la part d’un permanent syndical est profondément choquante. Surtout lorsqu’on sait à quel point l’entreprise a outrepassé la loi concernant les données pour faire de la répression syndicale[7.A. Dufresne et C. Leterme, « Travailleurs de plateforme. La lutte pour les droits dans l’économie numérique », Gresea, avril 2021].
Cet accord représente en somme la caricature d’un syndicalisme d’accompagnement plus proche du patronat que des travailleurs. Il crée un cadre social sui generis sur la base d’un accord secret et de représentation non consentie. Face à cette trahison, nous continuerons à nous mobiliser car comme le dit Martin Willems : « Le syndicalisme ne meurt jamais, les syndicats parfois. »
Un mot de l’UCLB
L’UCLB Union des chauffeurs limousine belge est une association créée par des chauffeurs pour défendre leurs droits et leurs statuts.
Après plusieurs années d’incertitudes à revendiquer une réforme de l’ordonnance taxis/LVC[8.LVC : Location de voitures avec chauffeurs. (NDLR)], jamais l’UBT-FGTB n’a été présente aux côtés des chauffeurs LVC pour les soutenir ou les écouter ! Pourtant nous avons organisé plusieurs manifestations qui étaient toujours médiatisées. Aujourd’hui on apprend que l’UBT-FGTB signe un accord avec Uber, l’une des plus grandes plateformes partenaires des chauffeurs LVC. Cet accord est tenu secret – alors qu’il nous concerne – sans aucune approche ou concertation avec les chauffeurs ! Où était ce syndicat lorsque les chauffeurs étaient en danger et avaient besoin de soutien ? Que contient cet accord ? Pourquoi Frank Moreels va nous représenter et pas un autre syndicat ? Trois questions sans réponses que nous posons publiquement sans avoir de réponse de la part d’un syndicat qui veut nous représenter mais reste muet face à nous.
(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY-NC 2.0 ; pancarte lors d’une grève de livreurs à Londres en avril 2021, prise par duncan cumming.)