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Wallonie : cumul à l’Élysette, décumul au Grognon

Le fait était passé quelque peu inaperçu durant cet été politiquement chargé. Au sud du pays, l’avènement des majorités fédérées a consacré la naissance d’une nouvelle espèce, d’un nouveau genre : les ministres-bourgmestres en fonction.

Paul Magnette (Ministre-président wallon, socialiste), Rudy Demotte (Ministre-président de la Communauté française, socialiste), ainsi que les ministres wallons Paul Furlan (PS) – en charge de la tutelle sur les communes ! – et Maxime Prévot (CDH) ont assumé publiquement le cumul de leur charge ministérielle avec la fonction de bourgmestre de leur ville. Aucun de ces quatre-là n’a même jugé nécessaire de travestir l’opération derrière le terme « empêché », cache-sexe dérisoire d’une domination politique désormais revendiquée. Le cumul de mandats au sein de deux exécutifs n’est pourtant pas autorisé en Belgique. Et cela au nom d’une évidence : le gouvernement (fédéral, communautaire ou régional) octroyant des subsides aux communes et/ou contrôlant leurs actes et budgets, il se doit d’être composé de personnes n’ayant aucune implication directe dans la gestion d’une municipalité. Dans le cas contraire, cela revient à être juge et partie. Ce qui ne gêne visiblement pas le quatuor précité. Ce délicat mélange des genres se manifeste à un moment particulier de la vie politique : le décret décumul est entré en application, interdisant aux trois-quarts des députés wallons de siéger à la fois au parlement régional et au sein de leur collège communal. Certes d’ici à 2018, les bourgmestres peuvent toujours se déclarer empêchés mais, pour les députés-échevins, la prestation de serment de juillet a imposé des choix cornéliens au pied du Grognon. Dans ce contexte, la double casquette coiffée au vu et su de tous par les quatre ministres est un fameux bras d’honneur adressé au parlement et à ses membres. De nature à motiver ceux qui rêvent, au sein de l’alliance PS-CDH comme dans les rangs de l’opposition libérale, d’abroger ce texte imposé par Écolo quand son poids politique le lui permettait encore. De là à imaginer que l’actuelle majorité ne détricote cette concession accordée aux verts voici cinq ans, il n’y a qu’un pas… que PS et CDH ont déjà franchi dans d’autres matières plus complexes, comme l’aménagement du territoire. À moins que son maintien ne constitue un moyen de retarder l’avènement des nouveaux ambitieux. On entend déjà les défenseurs d’un tel retour en arrière : le cumul, en concentrant moyens et pouvoir, permet de gagner en efficacité. Ce n’est pas faux : mettez quatre hommes politiques dans une pièce et il en ressortira cinq avis. Mais à cela, on rétorquera qu’il revient aux partis politiques d’orchestrer cette cohérence et d’organiser cette efficacité. Et qu’il y a belle lurette que l’efficience présumée de ce cumul officieux des fonctions n’est plus mise au service de l’accomplissement d’un projet politique au sens noble, c’est-à-dire un projet de société. Au diable la langue de bois ! Le cumul que s’autorisent ces grands hommes vise avant tout à bâtir des trajectoires individuelles. Afin de pérenniser leur hégémonie, les élus trustent les postes-clés et organisent la reproduction de leur pouvoir en occupant, scrutin après scrutin, les plus belles places des listes électorales. L’offre en politique conditionnant la demande, ces ténors de la politique se voient à chaque fois reconduit dans leurs mandats et confortés dans leur posture de ministrable. Ce faisant, le pouvoir se concentre de plus en plus entre les mains d’un petit nombre, membres « cooptateurs » et cooptés d’un cercle informel, dont on retrouve les noms dans les exécutifs qui naissent aux lendemains d’élections. Une nouvelle aristocratie politique, un nouveau haut clergé. Cette minorité cumulante trouve ainsi le moyen d’occuper les meilleures places tout en contrôlant les procédures qui permettent d’y désigner les candidats. Particratie ? Le terme paraît désormais suranné puisque ce n’est plus un appareil mais bien son sommet qui organise et reproduit de telles pratiques. On vit donc plutôt sous le règne d’une oligarchie patricratique de suffrage universel, avec la complicité naïve d’une population rendue passive par le désintérêt ou l’écœurement.