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Vive la transition ? ! Changer la société sans prendre le pouvoir (présentation)

Lancé il y a moins de dix ans en Angleterre, le mouvement de la Transition* s’est à présent étendu dans l’ensemble des régions du monde. Des citoyen-ne-s ordinaires combinent leurs efforts pour produire leur propre électricité, pour mettre sur pied des ateliers de réparation permettant de prolonger la durée de vie des objets, pour échanger des vêtements ou des jouets, pour développer des potagers collectifs ou pour s’inscrire dans des chaînes courtes. Ils y consacrent leurs soirées et leurs weekends.

Le phénomène est-il politique ? Au sens partisan du terme, certes non. Mais il l’est en un sens plus profond : il interroge notre être-ensemble et notre rapport à la Cité.

Le phénomène est-il politique ? Au sens partisan du terme, certes non. Mais il l’est en un sens plus profond : il interroge notre être-ensemble et notre rapport à la Cité. Il introduit une exigence démocratique renouvelée, à la fois en opérant un transfert du savoir des experts vers les individus et en prenant appui sur une démarche d’intelligence collective qui prend au sérieux l’idée démocratique originelle – celle de citoyens qui sont coauteurs des systèmes qu’ils habitent. À la suite de l’introduction du coordinateur de ce thème, Olivier De Schutter, ce dossier est divisé en deux parties. La première donne la parole aux acteurs de la Transition. Le lecteur pourra découvrir, sur le site de la revue, une interview de Rob Hopkins, cofondateur du mouvement de la Transition au départ de sa ville de Totnes (Angleterre), dans laquelle celui-ci n’esquive aucune des questions difficiles que le mouvement affronte. Il pourra également lire la contribution de Josué Dusoulier et Isabelle Van Driessche, qui rappellent les origines du mouvement et son historique, au départ des menaces auxquelles il s’est voulu une réponse. Olivier Chaput et Dora Snoy évoquent les processus d’intelligence collective sur lesquels les initiatives de transition visent à prendre appui, au départ de l’idée que c’est du croisement des savoirs et des perspectives que l’innovation peut surgir. Le dossier présente aussi, sous la forme d’un cas d’étude, une réflexion par Christian Jonet et Pascal Marcq autour de l’expérience de la « Ceinture aliment-terre » liégeoise. Celle-ci, lancée fin 2013, illustre les rapports que ces initiatives peuvent entretenir avec les autorités publiques locales. Enfin, Nathalie Grosjean et Vincent Wattelet, transitionnaires eux aussi, se penchent sur l’énigme que constituent les motivations des personnes qui consacrent du temps et de l’énergie à s’unir afin d’inventer des solutions en matière de mobilité, d’énergie ou d’alimentation. La deuxième partie du dossier réunit des contributions de chercheurs. Noémie Baudoin et Benoît Galand rappellent comment, à condition d’être repensée fondamentalement, l’école peut former des esprits critiques, voués à interroger l’autorité et les paradigmes dominants et prêts à voir l’autre comme une personne avec qui coopérer plutôt que comme un concurrent. Étienne Verhaegen rappelle le rôle central qu’occupe la notion de « communs » dans les initiatives de transition et dans l’économie collaborative qu’elles contribuent à mettre en place et il relève certaines ambiguïtés de cette référence. Émeline De Bouver, en écho en quelque sorte au texte de Grosjean et Wattelet, décrit les conclusions qui se dégagent de sa recherche sur les simplicitaires, qui professent adhérer à la sobriété – heureuse et choisie –, refusant l’injonction de consommer que les codes de notre société nous adressent. Finalement, le dossier met en scène les perspectives contrastées de Pablo Servigne et de Geoffrey Pleyers sur les rapports entre les crises (la crise écologique se combinant à d’autres) et l’espoir d’une transition vers une société différente, plus altruiste. Tandis que Servigne part de l’hypothèse d’un effondrement civilisationnel imminent dont il s’agit dès à présent de préparer l’« après », Pleyers souligne la nécessité d’une structuration des mouvements sociaux afin que les chocs à venir ne soient pas, une fois de plus, une opportunité pour le système dominant de se renforcer encore. * On écrira « Transition » avec une majuscule quand il s’agira du mouvement qui s’est donné ce nom. Ce Thème a été coordonné par Olivier De Schutter.