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Une santé de moins en moins individuelle

Le secteur de la promotion de la santé est face à une réalité qu’elle obseve de mieux en mieux : les facteurs biologiques n’influent pas autant que les déterminants généraux (social, environnement…) sur la santé. De son côté, la mondialisation impose une modification profonde des stratégies en faveur de la santé, avec la nécessité de coopération forte entre acteurs.

Ce n’est pas en quelques pages que l’on pourra débattre de tous les défis auxquels est confronté le secteur de la promotion de la santé. J’aimerais surtout développer deux idées : la place des déterminants de la santé et l’impact de la mondialisation. Dans un premier temps, il important de revenir sur les conditions de création ou de production de la santé. On parle actuellement, dans une perspective sociale et écologique, des déterminants de la santé. Mais où en est-on aujourd’hui d’un point de vue de la recherche ? Et quel est l’impact réel de ces déterminants sur la santé? Il y a plusieurs classifications pour ces déterminants. J’ai choisi celle qui reprend des éléments qui sont communs à plusieurs modèles. On voit surtout la présence de facteurs environnementaux, qu’ils soient sociaux, physiques, économiques, ainsi que ceux liés à l’organisation du système de soins. On parle par exemple des valeurs sociales et culturelles, de la distribution de revenus dans la population, de la sécurité et de la salubrité du logement, de la sécurité de l’environnement, de l’environnement politique avec les politiques sociales, l’emploi et le chômage, et l’organisation des services et des programmes ainsi que leur disponibilité et leur accessibilité. Le deuxième groupe de facteurs sont les agents intra-individuels et intra-personnels, c’est-à-dire les dispositions biologiques (facteurs génétiques, maladie, âge, sexe…) ou psychologiques des individus (perception de soi, compétences sociales…). Dans un troisième groupe, on retrouve tous les facteurs qui font un lien entre les deux facteurs précédents, c’est-à-dire la manière de gérer ces facteurs intra-personnels par rapport à une série d’éléments environnementaux. Dans cette interface entre l’individu et l’environnement, on trouve la gestion du stress, les styles de vie et les comportements de santé.

Les co-déterminants de santé

Il est très difficile actuellement de dire quelle est la contribution spécifique de ces facteurs à l’amélioration de notre état de santé. D’autant plus qu’il existe une interaction très complexe entre les différentes catégories de facteurs, les liens de causalité ne sont pas nécessairement directs et leur impact potentiel sur la santé peut se faire à long terme. C’est pour cette raison que nous préférons parler de co-déterminants, pour ne pas oublier que les déterminants eux aussi ont un impact entre eux et que l’impact sur la santé n’est pas qu’un impact direct. De la même façon, nous ne savons toujours pas quelle est la traduction socio-biologique de ces déterminants sur la santé, c’est-à-dire quels sont les mécanismes à l’œuvre entre les déterminants sociaux et la biologie humaine. Quelques études nous montrent qu’en termes d’espérance de vie, et dans une perspective de santé publique, donc de population, les déterminants génétiques ont un impact fort peu marquant : l’héritage génétique expliquerait 5% du fardeau total de la maladie. D’autres études nous montrent que l’apport du système de soins en matière de gains dans l’espérance de vie est seulement d’à peu près de l’ordre de 20%. Ce qui nous montre bien que l’impact des autres facteurs tels que les facteurs sociaux et économiques est très significatif dans la sphère sanitaire. Actuellement, l’hypothèse la plus plausible serait que les facteurs sociaux et économiques, comme la distribution des revenus, la cohésion sociale, le capital social, qui ont été des co-déterminants sous-estimés, ont non seulement des impacts sur les comportements individuels mais ont aussi et surtout des répercussions biologiques directes par des mécanismes qui ne sont pas encore bien identifiés. Le dernier constat ouvre une piste de travail : le développement d’interventions basées sur le changement structurel et social pour aller au-delà des seules interventions sur les comportements individuels afin d’améliorer ou maintenir la santé des populations. Ceci implique une évolution de nos pratiques souvent ancrées sur les changements de comportements individuels, comme l’alimentation, l’activité physique, la consommation de substances… Ceci ne veut pas dire qu’ils doivent être négligés mais qu’ils sont clairement moins pertinents dès lors que nous appréhendons, comme nous l’avons vu précédemment, toute la palette des co-déterminants de la santé. Dans cette même perspective, l’action sur l’environnement comme un facteur d’amélioration de l’état de santé a montré des effets favorables. Cependant, cet axe implique souvent un travail avec d’autres secteurs que le sanitaire qui ont des compétences sur ces domaines. Il ne s’agit pas seulement d’un travail intersectoriel mais bien d’un travail en réseau, c’est-à-dire un groupement organisé, non hiérarchique, avec une fixation d’objectifs et de buts communs, partagés et consensuels, une envie de travailler et de progresser ensemble avec un engagement et une confiance mutuelles.

L’impact de la mondialisation

Aujourd’hui, dans le monde, des évolutions majeures se produisent ayant des impacts significatifs sur la santé. Parmi celles-ci : les changements environnementaux, l’urbanisation, les évolutions démographiques, les progrès dans les sciences médicales et les technologies de l’information… Mais une des plus importantes reste la mondialisation. Dans ce contexte, la mondialisation représente un défi majeur pour la santé publique et suscite de nombreuses interrogations. Quelles sont en effet les conséquences de la mondialisation sur la santé ? Sur la gestion des systèmes de santé ? Sur la définition des politiques ? Comment contrôler, diminuer, prévenir les conséquences négatives sur la santé des populations d’une mondialisation aussi productrice d’inégalités et d’inéquités en matière d’accès aux soins et à la santé ? Afin de répondre aux enjeux de la santé dans le monde, la Charte de Bangkok pour la promotion de la santé, qui vient en appui à la Charte d’Ottawa, a été adoptée lors de la sixième Conférence sur la promotion de la santé, en Thaïlande, le 11 août 2005. Cette Charte a défini les principaux enjeux, les actions et engagements qui sont nécessaires à l’appréhension des déterminants de la santé dans un monde globalisé, par un appel aux nombreux acteurs intéressés (qu’ils soient du domaine économique, social, sanitaire…) qui ont un rôle critique et utile dans l’atteinte de la santé pour tous. De quoi s’agit-il ? Cette nouvelle Charte, qui ne fait pas, cependant, l’unanimité des professionnels de promotion de la santé, a tout d’abord bien établi dans son préambule qu’elle ne se substitue pas à la Charte d’Ottawa. La Charte de Bangkok s’inscrit dans un contexte de mondialisation que la Charte d’Ottawa ne pouvait appréhender lors de sa rédaction. La Charte de Bangkok souligne : — L’évolution de la situation de la santé mondiale et les défis à relever pour atteindre les buts fixés, notamment en ce qui concerne les maladies transmissibles et les maladies chroniques (cardiopathies, les accidents vasculaires cérébraux, le cancer et le diabète). — Les effets de la mondialisation sur la santé, inégalités croissantes, urbanisation rapide et dégradation de l’environnement, et les stratégies pour les maîtriser. — Elle donne une nouvelle orientation à la promotion de la santé en réclamant une cohérence politique, des investissements et la formation de partenariats entre les gouvernements, les organisations internationales, la société civile et le secteur privé dans le cadre de quatre engagements fondamentaux. Il s’agit notamment «de veiller à ce que la promotion de la santé occupe une place centrale dans le développement mondial, qu’elle fasse partie des responsabilités essentielles des gouvernements et des bonnes pratiques des entreprises, et qu’elle soit l’un des centres d’intérêt des initiatives des communautés et de la société civile.» À ce sujet, cinq pistes sont fondamentales pour la promotion de la santé et la mondialisation: — Renforcer et promouvoir une implication forte des décideurs à tous les niveaux. On ne pourra plus désormais travailler en promotion de la santé en faisant abstraction de l’implication de ces décideurs, qu’ils soient locaux, régionaux, nationaux ou internationaux. — Soutenir le nécessaire travail inter-agences, qu’il soit interministériel, intrasectoriel, intersectoriel ou autre. — Favoriser la transparence de l’impact sur la santé de politiques et d’actions, qu’elles soient sanitaires ou non. Autrement dit : comment les politiques autres que sanitaires peuvent rendre plus explicite leur impact potentiel sur la santé, que celui-ci soit négatif ou positif ? — L’avant-dernière piste relève de l’évaluation des politiques de santé et des politiques hors du secteur sanitaire dans une perspective de réduction des inégalités sociales qui ne cessent de croître. — Enfin, inciter et d’encourager une citoyenneté active en faveur de la santé. Cette réflexion nous oriente donc vers le développement d’une politique de santé publique fondée sur une justice sociale, sur un développement durable et encore et toujours sur les déterminants de la santé. Elle implique aussi pour les professionnels de promotion de la santé de plaider auprès d’autres secteurs que ceux du sanitaire, pour parvenir à mener des actions les plus efficaces possibles.