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Un paysage en trompe l’oeil

Du Brésil au Bénin en passant par la Colombie, l’Afrique du Sud, la République démocratique du Congo, le Cameroun, le Sénégal, le Burkina Faso, la France et la Belgique, partout se pose la question du développement des agrocarburants. Souvent, est-elle débattue dans des cercles de décision trop restreints et des coulisses inaccessibles. Rarement, donne-t-elle lieu au développement de politiques claires et à leur application dans les pays du Sud, laissant libre cours à des initiatives multiples en dehors de l’encadrement nécessaire pour que cette nouvelle source d’énergie et de revenus puisse être une chance pour les petits agriculteurs. Ce dossier tente de dessiner le développement actuel des agrocarburants dans différents pays d’Afrique et d’Amérique latine mais aussi d’Europe afin d’en cerner les enjeux, les répercussions actuelles et à venir pour l’agriculture familiale, soit beaucoup de risques et quelques opportunités (voir premier article). Le manque d’information des paysans du Sud est palpable. Le débat mobilise de nombreuses informations techniques qui varient fortement d’une étude à l’autre, d’une culture à l’autre, d’un pays à l’autre et du tout au tout. C’est donc notamment une question de cultures et certainement un débat d’experts qu’il est essentiel de démocratiser. Des organisations paysannes témoignent au fil de ces pages de ce qui se déroule dans leur pays respectif. Pour l’instant, le modèle retenu et privilégié se calque sur celui de la production des matières premières agricoles à destination du marché international : l’agrobusiness. Ce qui, en terme de sécurité et de souveraineté alimentaire, ne laisse rien présager de bon. L’expérience sud-africaine démontre cependant que la mobilisation de la société civile peut porter ses fruits. Le document stratégique sur les agrocarburants du gouvernement sud-africain, après avoir été guidé par une approche industrielle en vue de l’exportation, se concentre désormais davantage sur l’intégration des petits exploitants et sur la consommation locale. Au Burkina Faso, de nombreuses expériences se développent au départ du jatropha, une plante réputée pour ne pas concurrencer les cultures vivrières car elle s’accommode de terres dégradées. Mais dans les faits, des surfaces importantes, et pas des moins arables, lui sont consacrées. Les organisations paysannes tentent de sensibiliser leurs membres afin de ne pas sacrifier leurs céréales. Au Sénégal, la Fédération des ONG revendique une concertation avec l’État à propos de l’implication des petits agriculteurs dans la production, sur laquelle mise le pays afin de réduire sa facture énergétique. En RD Congo, les paysans témoignent d’une impression de déjà vu. Ils craignent d’être happés par une nouvelle culture pour ensuite être à nouveau laissés pour compte. Le Bénin est à l’étude : le gouvernement béninois a en effet lancé des recherches afin d’évaluer les possibilités de développement du secteur des agrocarburants sans peser plus encore sur la sécurité alimentaire. Mais alors que les résultats de ces études n’étaient pas encore connus, des projets conséquents de cultures étaient déjà à pied d’œuvre. Des organisations régionales en Afrique de l’Ouest émettent de sérieuses craintes pour les consommateurs vulnérables mais entrevoient des opportunités de relance durable de la production locale via le développement des bioénergies, dont les agrocarburants. La recherche de la rentabilité dans un contexte hautement concurrentiel sur le marché international des agrocarburants ne fait que renforcer la compression des coûts de production qui pèse sur les conditions de travail, comme c’est le cas en Colombie, où les travailleurs sont à la dérive et où le salariat .est. en voie de disparition. Ce dossier met en lumière le besoin urgent de protéger les droits des petits agriculteurs face aux problèmes fonciers et d’accès aux ressources qu’ils connaissent déjà et risquent d’être aggravés dans une majorité de cas. Car ce marché exerce une pression sur les terres, comme le montre l’exemple du Brésil, dans le cadre d’un modèle d’agrobusiness renforcé. Pour autant, le gouvernement a mis en place un programme de soutien à l’agriculture familiale au sein de la production de biodiesel. Au Cameroun, la façon dont se développent actuellement les agrocarburants via l’huile de palme accentue non seulement l’insécurité alimentaire des plus démunis, mais également l’insécurité foncière des paysans. Au Burkina, ces derniers sont amenés à céder des terres sans contrepartie ni connaissance de cause. L’énergie éolienne, qui n’exerce pas une pression aussi aiguë sur les terres, n’est pas envisagée comme une alternative aux énergies fossiles à la mesure des agrocarburants et les bons vents de l’Afrique demeurent sous-exploités. En termes de bilan environnemental, les résultats sont loin de ceux obtenus par l’éolien et on peut se poser la question : les agrocarburants sont-ils «verts»? Les processus de production utilisent encore trop souvent des énergies fossiles et rendent nuls, voire négatifs, les réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Il se peut également que des déchets importants et peu compatibles avec des objectifs d’assainissement de l’environnement soient produits de concert avec les agrocarburants. Certains projets innovants, comme l’utilisation de la glycérine obtenue en quantité lors de la production du biodiesel dans la pétrochimie verte permettent d’en atténuer les conséquences néfastes, mais attirent néanmoins l’attention sur le fait que toute la filière de production des agrocarburants doit être envisagée afin de mesurer ses impacts sur l’environnement. Au Nord et dans d’autres pays, les buts de promotion des agrocarburants, principalement dans le secteur du transport, suscitent de nombreuses controverses et donnent lieu à des débats intenses autour des objectifs européens. Ces politiques ont aiguisé les appétits des investisseurs qui se bousculent au Bas Congo ou ailleurs. Il apparaît urgent de réguler ce marché en expansion où, selon leur business, les industriels se situent entre croisade et ruée vers l’or vert. Actuellement, la Belgique est en chantier afin de ne pas être prise de court par les objectifs européens qui devraient être obligatoires pour les États membres à l’horizon 2020. Pour autant, la production belge est envisagée dans le cadre d’un circuit relativement court d’approvisionnement en matières premières. Les organisations paysannes au Nord revendiquent comme priorité de relocaliser l’agriculture. Tout est effectivement une question d’échelle et d’optique. À un niveau local, il s’avère que les agrocarburants peuvent injecter de l’énergie dans les machines agricoles et les entreprises, le transport des denrées, électrifier des villages et soulager les zones reculées éprouvées par les difficultés à y accéder. Au Sénégal, le petit village de Ndionène se rêve en grand, et les villageois espèrent un jour voir leurs moulins fonctionner à base de leur production d’huile de jatropha. À Bwamanda en Équateur, une province difficile d’accès en République démocratique du Congo, un projet de production locale de semi biodiesel, qui pourrait soulager cette région privée d’accès à l’énergie en dehors de prix exorbitants, a débuté. Plus près de chez nous, les autorités lilloises utilisent les biodéchets municipaux pour que les bus roulent au vert. Il faut certainement pouvoir recentrer ce débat énergétique Nord/Sud sur les chances qu’il pourrait représenter pour le développement local. Car de l’aveu d’analystes de tous bords, penser remplacer l’énergie fossile par les agrocarburants n’est que chimère. Et ne remet pas en cause la question qui se tapit en fond de ce décor en trompe l’œil : n’est-il pas temps, dans les pays développés et émergents, de remettre en cause nos besoins en énergie sans cesse croissants ?