Retour aux articles →

SP.A : la base parle

Les socialistes flamands ont fait étudier de manière scientifique leur propre base de mandataires, de membres et d’électeurs par l’Université de Gand. C’est la première fois qu’un parti politique donne une vue détaillée et systématique du profil structurel et culturel de sa base électorale et militante Cet article présente les principaux constats de cette enquête, mais cela ne donne qu’une vue approximative des caractéristiques et de la structure d’opinion du parti social-démocrate en Flandre. Pour plus de détails et une analyse approfondie nous renvoyons au livre : P. Vander Weyden, Koen Abts, De basis spreekt. Onderzoek naar de leden, mandatarissen en kiezers van de sp.a, Leuven Acco, 2010.

Qui sont-ils ?

Les chiffres montrent qu’un double fossé caractérise le SP.A. D’abord, il y a une ligne de fracture qui traverse la base du parti, entre les membres âgés et ayant fait peu d’études et les membres jeunes ayant un haut niveau de formation. Ensuite, il y a une forte différence de profil entre une base relativement âgée et un groupe de mandataires relativement jeunes. L’analyse de la structure démographique du parti montre que le profil social général des membres va se modifier en profondeur au cours de la prochaine décennie. D’une part, cette base va se réduire en raison d’une pyramide des âges inversée, et d’autre part ce parti populaire avec un nombre relativement important d’ouvriers, de peu qualifiés, et de pensionnés, va évoluer de plus en plus vers un parti plus élitiste où la base traditionnelle verra sa place se réduire. Le SP.A a l’image d’un parti laïque. Or il est frappant de constater que sur le plan des conceptions philosophiques, sa base est fort pluraliste. Le profil philosophique des mandataires s’en éloigne fortement : près de la moitié des mandataires se définissent comme laïques. Les chiffres montrent par ailleurs que la socialisation politique d’un grand nombre de membres et de mandataires se passe encore toujours au sein du milieu familial, avec des indications selon lesquelles ce processus se passe surtout via le père. L’hypothèse selon laquelle la socialisation « familiale » n’aurait plus cours pour les jeunes générations est donc largement démentie. Ce qui révèle une faiblesse : le SP.A pêche de manière importante dans des eaux connues et se révèle moins efficace pour attirer de nouveaux membres en dehors de son réseau traditionnel. Sur base du niveau d’implication on peut distinguer quatre types de membres : les membres sur papier, les membres passifs, les membres supporters et les membres actifs. Les membres sur papier (30%) paient leur cotisation et en restent là. Les membres passifs (20%) ont un petit peu plus de contacts avec le parti et ses mandataires. Les membres supporters (30%) eux ont des contacts fréquents : ils sont en fait les véritables ambassadeurs du parti dans leur milieu de vie où ils portent son message et le défendent. Dans leur environnement direct ils essaient de persuader leur famille, amis, et connaissances, d’adhérer aux points de vue du SP.A et de les convaincre de voter pour lui. Enfin les membres actifs (20%) sont eux partout : ils vont aux réunions de section et aux congrès, ils s’informent sur les prises de position du parti, ils distribuent les journaux des sections, ils recrutent des membres et ils en convainquent d’autres de voter pour le parti aux élections. Ce qui porte à réfléchir est le fait que ce ne sont pas les jeunes générations qui sont actives dans le parti, mais bien la couche des 45 à 65 ans.

Que pensent-ils ?

Le raisonnement selon lequel les mandataires ne seraient pas en phase avec les conceptions sociales et les valeurs des membres n’est pas confirmé par l’enquête. Celui selon lequel le sommet du parti ne serait pas assez à gauche non plus. C’est tout le contraire. Les mandataires se placent résolument plus à gauche que les membres. L’écart par rapport à l’électorat flamand, qui a plutôt un positionnement de droite modérée, est par contre confirmé. Lorsqu’on se penche sur les thèmes politiques prioritaires des membres et mandataires, on peut constater une grande convergence au sein du parti. L’emploi, les soins de santé, les pensions et la lutte contre la pauvreté sont avancés par les deux groupes comme les thèmes les plus prioritaires du parti. Le « core business » de la sécurité sociale et de l’État-providence reste donc vraiment actuel pour la social-démocratie. En ce qui concerne les thèmes nouveaux ou secondaires, il y a par contre une différence de vision entre les membres et les mandataires. Les mandataires accordent plus d’importance que les membres aux thèmes énergétiques et environnementaux ainsi qu’à l’équilibre entre le travail et la famille, tandis que les membres du SP.A mettent plus l’accent sur le thème de la criminalité comme thème secondaire dont le parti devrait se soucier. En ce qui concerne la ligne de partage socio-économique, on relève que la population flamande accorde de l’importance à la réduction des écarts de classes, à la diminution des inégalités de revenus et au rôle actif des pouvoirs publics en cette matière. Chez les membres et mandataires du SP.A ce souci d’égalité est plus prononcé. Tous les mandataires et 80% des membres estiment que le système actuel de sécurité sociale est le meilleur qui soit pour garantir le bien-être de chacun. Ce qui n’empêche pas une critique sérieuse sur le fonctionnement effectif de l’État-providence. Dans ce contexte tant les membres que les mandataires plaident pour un État social plus actif. Il est frappant de constater ici l’absence de différence par rapport à l’opinion publique flamande. La critique de l’État-providence rejoint fortement la question de l’inclusion et de l’exclusion, aussi bien chez les membres du SP.A que dans la population flamande. C’est surtout le thème des étrangers qui provoque une division au sein de la base. Pas moins d’un sixième des membres estime qu’il ne faut pas donner aux immigrés la même protection sociale et les mêmes droits qu’à ceux qui appartiennent à notre peuple (« het eigen volk »). Au sein de l’électorat flamand cette proportion monte à environ 25%, ce qui contraste fortement avec l’opinion des mandataires SP.A : ceux-ci ne sont que 5% à estimer que les immigrés doivent avoir moins de droit. La thématique de la société multiculturelle et multi-ethnique est quant à elle source de dissensions au sein du parti, aussi bien entre les membres eux-mêmes qu’entre les membres et les mandataires. Le fossé sur ce plan entre le sommet et la base est peut-être encore gérable parce que les sentiments ethnocentriques les plus forts se retrouvent chez les membres les plus âgés et chez les moins actifs. Le fossé entre les mandataires et l’électorat paraît par contre dramatique : la question idéologique qui se pose ici est de savoir si ce fossé peut être surmonté : il n’y qu’environ 25% des Flamands qui ont des opinions aussi cosmopolites que les mandataires du SP.A. Sur l’approche de la criminalité, la base du SP.A et la population flamande ne diffèrent pas : les deux groupes plaident pour une approche musclée mais ont cependant foi dans les peines alternatives. Les mandataires SP.A soutiennent également cette approche alternative même s’ils sont moins partisan de l’exclusion complète des peines de prison et d’une approche très sévère des jeunes. Ce qui frappe chez les membres c’est que l’attitude musclée à l’égard de la criminalité est fortement corrélée avec les mêmes caractéristiques que celles qui expliquent l’insatisfaction culturelle. Les membres peu qualifiés, catholiques, et plus âgés, sont plus répressifs et ethnocentriques. La pyramide des âges place à cet égard le parti devant une réelle difficulté car ce profil idéologique est beaucoup moins présent chez les jeunes membres. La vision de la base du SP.A à propos des thèmes environnementaux et des mesures à prendre ne s’écarte de nouveau pas fort de celle de l’électorat flamand. Dans l’ensemble les mandataires sont quant à eux plus verts que les membres qui ont plutôt une attitude ambiguë. Sur le plan éthique par contre, il y a une forte unité de vue : les membres comme les mandataires sont explicitement progressistes. Ils le sont plus que la population flamande même si celle-ci est, de manière générale, raisonnablement progressiste en cette matière.

Le fonctionnement du parti

La base du SP.A est relativement satisfait de la conduite du parti. Derrière cette satisfaction se cache cependant une certaine critique à l’égard de son fonctionnement et de sa ligne politique. Un tiers des membres considère en effet le mode de prise de décision comme peu transparent, tandis que la moitié des membres se plaint du manque d’ouverture, et un quart des membres estime le parti trop professionnel et trop gestionnaire. Ce qui frappe c’est que ce sont les mandataires qui sont plus critiques sur l’organisation actuelle du parti que les membres. On trouve une autre différence marquante entre membres et mandataires lorsqu’on les interroge sur l’objectif principal du parti. Les mandataires sont moins attachés à la participation à une majorité que les membres et plaident plus pour l’attachement aux principes. Ce qui n’empêche pas les membres comme les mandataires de faire le choix d’un parti pragmatique. Il n’y a donc pas de soutien à une évolution vers un parti plus radical, plus dogmatique, ni pour un parti populiste qui jetterait les principes par-dessus bord pour obtenir des voix. La base se prononce donc pour une position nuancée, donc difficile, d’équilibre. Nous retrouvons cette nuance dans la vision des mandataires et des membres sur l’ouverture du parti vers les sympathisants qui n’en sont pas membres. Il y a une grande ouverture possible sur le plan de la discussion, mais moins lorsqu’on en vient aux prises de décision : là c’est l’appartenance formelle qui compte. Ici aussi le SP.A se trouve confronté à un exercice d’équilibre : près de la moitié de ses membres veut attirer du sang nouveau et estime la rénovation nécessaire, mais d’un autre côté le parti ne peut pas perdre son identité en attirant des nouveaux membres qui ne lui sont pas liés, ce qui semble être le cas selon beaucoup de membres.

Vision équivoque

On relève par ailleurs un thème sensible : la divergence au sein du parti quant aux principes, au message, et à la vision. D’un côté un tiers des membres estime que le SP.A a perdu ses principes, mais un autre tiers est de l’avis contraire. Plus de 40% des membres estiment que le parti ne porte pas un message clair, mais un tiers est de l’avis opposé. Ici aussi les mandataires sont plus critiques que les membres. Ce sont surtout les mandataires élus, qui doivent gérer la confrontation avec les électeurs, qui considèrent que le message actuel du parti est trop vague, trop complexe, et trop peu convaincant. Le constat interpellant que nous faisons est que la moitié des membres et des mandataires trouve qu’il manque une nouvelle génération de politiciens ayant une vision qui puisse remédier à ce défi. Pour faire court, on critique à la fois le message et les messagers. Si même une grande partie de la base de la gauche trouve que son parti à un problème par rapport à ses principes, son message et son image, ceci confirme le malaise plus large de la social-démocratie européenne. Ce que révèle surtout cette enquête, c’est que la base n’a pas une vision univoque du SP.A et de son avenir. Un sixième des membres estime que le parti ne tient pas assez compte de sa base, un tiers trouve que le parti reste bien représentatif, tandis que la moitié adopte une position médiane sceptique. Il y a plus d’unité sur d’autres points : le SP.A doit concevoir de nouvelles positions en ayant plus de dialogue avec le tissu associatif, et les liens avec les anciennes et les nouvelles associations doivent être entretenus et renforcés. Ce qui implique qu’il y a un soutien affirmé à un ancrage social fort du SP.A. La réponse à la question de savoir si le parti doit rechercher une pilarisation plus forte, donc plus de lien avec la FGTB et la mutualité socialiste, est dépendante de caractéristiques et attitudes spécifiques. C’est surtout ceux qui se réclament d’une sensibilité de gauche plus traditionnelle qui penchent pour ce choix. Par contre, par rapport à la constitution d’un front progressiste rouge-vert, il y a pas mal de divergences. La tendance des membres à s’y opposer et la grande division au sein des mandataires rendent peu évident un cartel avec Groen. Traduction et synthèse : Jean-Paul Gailly