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Quel avenir pour les « articles 60 » ?

À Bruxelles comme en Wallonie, les contrats de travail dits « articles 60 » – des contrats que les CPAS peuvent offrir à leurs bénéficiaires et qui permettent l’accès à une première expérience professionnelle et/ou l’ouverture aux droits au chômage – sont devenus un outil d’insertion socioprofessionnelle très important. Mais depuis quelque temps, les doutes s’amoncelaient. La régionalisation du dispositif risquait-elle de mettre son financement en danger ?

Les inquiétudes étaient grandes. L’apaisement se veut discret et modéré. On le savait depuis 2011 et la sixième réforme de l’État : les articles 60 allaient être régionalisés au 1er janvier 2015. Et comme souvent, l’argent était au coeur des débats. La question était simple : les Régions allaient-elles continuer à arroser le système à la manière du Fédéral ? Pour rappel, celui-ci fonctionnait avec une enveloppe « ouverte ». Mais la régionalisation est venue changer la donne. Chaque région dispose maintenant d’une « dotation » en provenance du Fédéral pour « ses » articles 60. À Bruxelles, on parle de près de 50 millions d’euros. En Wallonie, il s’agit d’un peu plus de 73 millions. Si d’aventure le nombre d’articles 60 devait augmenter au point de dépasser les montants de cette dotation, ce serait donc aux Régions d’éponger le surcoût engendré. Pas évident pour ces dernières alors que leur situation budgétaire est souvent présentée comme délicate. Et franchement inquiétant pour des CPAS qui, au fil des années, ont souvent fait des articles 60 un véritable outil d’insertion socioprofessionnelle. Pour rappel, les articles 60 permettent aux CPAS de fournir un emploi à une personne éloignée du marché du travail. Et par là même de la réintégrer au régime de la sécurité sociale dont elle ne bénéficie plus (voir encadré). Un outil (très) utile en temps de crise… Face à cette situation, beaucoup d’intervenants se sont inquiétés. Fin 2014 déjà, les CPAS se plaignaient d’un manque d’informations en provenance des cabinets wallons et bruxellois de l’Emploi. Des cabinets qui semblaient connaître eux-mêmes quelques difficultés de communication avec le Fédéral. À Bruxelles, le tableau prenait même des airs kafkaïens. On parlait de deux ministres compétents. Didier Gosuin (Défi), ministre bruxellois de l’Emploi se serait occupé de ce que l’on appelle les articles 60 contingent économie sociale (voir encadré). Rudi Vervoort (PS), ministreprésident de la Région de Bruxelles- Capitale, en charge des pouvoirs locaux, aurait pris en main le reste du système… Aujourd’hui, le niveau de stress semble quelque peu retombé. La situation s’est clarifiée. Même si quelques questions semblent encore en suspens.

Un budget gonflé à Bruxelles

À Bruxelles, c’est bien Didier Gosuin qui a raflé la mise pour l’ensemble du système. Le ministre a décidé d’en mettre un coup en 2016. Le budget de cette année prévoit en effet 58 millions d’euros pour le dispositif articles 60. Une augmentation importante par rapport aux près de 50 millions de la dotation fédérale. Pour faire quoi ? L’objectif de la Région est simple : faire en sorte que 10% des bénéficiaires du RIS (revenu d’intégration sociale) ou du Eris (équivalent du revenu d’intégration sociale) soient mis sous statut d’article 60. Et ce dans chaque CPAS si possible. « Certains CPAS ont une tradition de mise à l’emploi par le biais des articles 60, d’autres moins », fait remarquer Jean-Luc Bienfet, conseiller à la section CPAS de l’AVCB (Association de la ville et des communes de la Région de Bruxelles-Capitale). Une situation qui a entrainé une certaine disparité dans l’utilisation des articles 60 d’un CPAS à l’autre. L’objectif des 10% est donc une tentative de remédier à cette situation. La hausse des budgets participe quant à elle à une volonté de soutenir le dispositif. « Il s’agit aussi d’une opportunité pour les CPAS de disposer de solutions pour les personnes exclues des allocations et qui sont arrivées dans leurs services », souligne-t-on au cabinet de Didier Gosuin. Attention : cette augmentation du nombre d’articles 60 aura un coût pour les CPAS. Malgré l’intervention issue de la dotation qu’ils perçoivent pour chaque article, celui-ci leur coûte encore 10 000 à 11 000 euros par tête de pipe. En Wallonie, on parle parfois de 13 000 euros, même si ces chiffres sont toutefois compliqués à estimer. Toute augmentation du nombre d’articles 60 aura donc un impact sur les finances des CPAS. « Il s’agit de voir quelle est la marge de manoeuvre des CPAS et des pouvoirs locaux à ce niveau. Et à l’heure actuelle, il n’y a pas encore de réponse », fait remarquer Jean-Luc Bienfet. Du côté du cabinet de Didier Gosuin, on affirme que des contacts ont été pris avec les CPAS. Et que « cet aspect est pris en compte et en cours d’analyse avec eux ».

Quelques doutes en Wallonie

Du côté wallon, la situation semble également s’être quelque peu calmée. Pourquoi ? Pour Ricardo Cherenti, conseiller expert à la cellule insertion socioprofessionnelle de la Fédération des CPAS, c’est avant tout « parce qu’il n’y a pas eu d’augmentation des dépenses ». En croissance importante jusqu’il y a deux ou trois ans, le nombre d’articles 60 en Wallonie s’est progressivement stabilisé (voir encadré). Dans ce contexte, le cabinet d’Éliane Tillieux (PS), ministre wallonne de l’Emploi, déclare que la volonté du gouvernement est de continuer à financer le système à 100% de la consommation. Sans toutefois aller jusqu’à encourager l’augmentation du nombre d’articles 60 comme à Bruxelles. « Nous ne sommes pas dans un contexte budgétaire facile », nous explique-t-on. Il n’empêche, le cabinet aura tout de même du pain sur la planche. Notamment en termes d’harmonisation des subsides. Car en Wallonie, outre l’intervention issue autrefois du Fédéral, les CPAS bénéficiaient également d’un subside régional. Maintenant que la matière est régionalisée, ce subside régional côtoie l’intervention « ex-fédérale » et qui est maintenant gérée par la Région. Il existe donc en quelque sorte deux interventions régionales. Petit hic : elles disposent de réglementations qui diffèrent lorsque l’on parle de personnes étrangères ! Pour l’« ancien » subside régional, les personnes étrangères doivent disposer d’un titre de séjour à durée indéterminée. Alors que pour l’ancien subside fédéral (issu maintenant de la dotation), il peut être à durée indéterminée ou déterminée… Pas facile de s’y retrouver pour les CPAS. Au cabinet d’Éliane Tillieux, on se déclare conscient du problème. « Nous allons voir comment nous pouvons harmoniser cela ». Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra faire vite. Car, du côté wallon, Ricardo Cherenti note que beaucoup de CPAS souffrent de difficultés financières. Au point que les quelques milliers d’euros à mettre de leur poche pour financer un article 60 deviennent parfois compliqués à trouver. Acculés, ceux-ci décident alors de proposer moins de contrats articles 60. Ou de diminuer le salaire des personnes sous ce régime. Ricardo Cherenti : « Il n’y a pas d’obligation pour les CPAS de respecter un barème pour les articles 60, sauf le revenu minimum mensuel garanti. Jusqu’il y a peu, 75% des CPAS appliquaient malgré tout le barème du secteur public, contre 25% pour le revenu minimum. Aujourd’hui, c’est l’inverse »…


L’article 60 L’article 60 (de la loi organique de 1976 sur les CPAS) organise une forme d’aide sociale permettant au CPAS de procurer un emploi à une personne éloignée du marché du travail pour une période déterminée. Cette aide a pour objectif de la réintégrer dans le régime de la sécurité sociale et de la réinsérer dans le processus du travail. Le CPAS est toujours l’employeur juridique. Il peut occuper la personne dans ses propres services ou la mettre à la disposition d’un tiers employeur. Notons que certains articles 60 sont aussi destinés à l’économie sociale. Ce qu’on appelle également les emplois articles 60 « subvention majorée de l’État » permettent à des ayants droit à l’intégration sociale ou à l’aide sociale financière d’être engagés sur base de l’article 60 par un CPAS, qui peut ensuite les mettre à la disposition d’une initiative d’économie sociale et se voir attribuer une subvention majorée par l’État. À Bruxelles, le nombre d’articles 60 était de 1266 en 2000, 2177 en 2002, 3379 en 2004, 4297 en 2006, 4611 en 2008, 4719 en 2010, 5414 en 2012 et 5527 en 2014. En Wallonie, il était de 3667 en 2000, 5349 en 2002, 6720 en 2004, 7293 en 2006, 7103 en 2008, 7786 en 2010, 8118 en 2012 et 8312 en 2014. Source : SPP Intégration sociale